samedi 27 octobre 2012

Hommage à Jane

Jane est américaine. Elle vit dorénavant en Oregon, après une carrière essentiellement passée à Los Angeles. Jane aime marcher et courir et l'Oregon, c'est parfait pour ça. Elle a couru 50 marathons, entre autres. Elle marche pas mal aussi et a — naturellement — parcouru le Pacific Crest Trail. Jane aime voyager, dans le monde entier. Et marcher. La première chose qu'elle recherche dans un nouveau pays, ce sont les randonnées qu'elle peut y faire. Pour marcher.
Il y a quelque temps, j'étais entré en contact avec Jane qui recherchait des compagnons pour parcourir le sentier de Saint Jacques de Compostelle, depuis Saint Jean Pied de Port, dans les Pyrénées. 800 kilomètres de marche. Je lui avais aussitôt proposé d'être son trail angel, quand elle viendrait. Son arrivée a été retardée, parce qu'elle avait fait une chute et s'était fracturé le col du fémur. Mais ça ne l'a pas dissuadée de parcourir ses 800 km, non, non. Elle est finalement venue, seule, avec son petit sac à dos, parce qu'elle n'a trouvé personne pour l'accompagner dans sa marche.
J'ai accompagné Jane au départ à St Jean Pied de Port, au début du mois de septembre. Il faisait une chaleur torride. Elle vient d'arriver à Santiago dans le froid et la pluie d'un début d'hiver et a pu assister à la messe dominicale où huit solides gaillards balancent l'incroyable encensoir géant, le Botafumeiro, dans la nef. Ça a dû lui laisser des souvenirs inoubliables, à Jane, parce qu'elle devait à ce moment-là se sentir bien loin de Eugene, Oregon. Elle ne s'est pas arrêtée à Santiago, non, non. Elle a voulu continuer jusqu'au Cap Finisterre, contempler l'océan qui se fracasse sur cette pointe extrême de l'Europe et voir si elle apercevait son pays à l'horizon. Jane devrait être de retour chez nous aujourd'hui.
Jane a juste 76 ans.


Comment ne pas faire un rapprochement entre Jane et le personnage principal - lui aussi américain — de ce beau film, The Way, consacré au parcours exact qu'elle vient de suivre? Je vous le recommande.


jeudi 25 octobre 2012

Une sorte d'obsession

J'ai échoué dans ma tentative de parcourir le Pacific Crest Trail cette année. J'ai commis un certain nombre d'erreurs et, en ce sens, le terme d'échec est à relativiser, parce que j'ai aussi beaucoup appris. Au-delà de mes erreurs techniques (trop de poids, manque d'entraînement, pour mentionner les principales, mais c'est déjà beaucoup), j'ai été mis hors de combat par mes genoux (hiboux, cailloux, bref, vous savez...).

Je suis rentré en France avec la ferme intention initiale de repartir sur le PCT en 2013. Les investigations médicales qui ont suivi ont tristement établi que, tout bêtement, mes articulations étaient usées. Point. J'ai entendu parler d'un truc que j'ignorais totalement: mes tibias souffrent de contusions osseuses. Autrement dit, ils ont pris une branlée et sont couverts d'ecchymoses, ce que je soupçonnais tout de même pendant que je marchais dans le désert d'Anza-Borrego. La solution à ce problème? Eh bien, il n'y en a pas vraiment, dans la mesure où l'échange standard façon amortisseurs à remplacer s'appelle une prothèse de genou. C'est une procédure lourde et compliquée, qui n'a pas vraiment pour finalité de vous permettre d'aller faire le con dans le désert. Donc, qu'est-ce qu'on fait? On se dit juste que c'est comme ça, que c'est usé, que la machine a pas mal d'heures de vol, qu'il faut en prendre son parti, qu'il conviendrait de la mettre sous une bâche au garage, de s'inscrire dans un club de pétanque...

Depuis le mois de mai, beaucoup de pensées se sont entrechoquées dans ma pauvre tête. J'ai fini par accepter l'idée douloureuse que l'état de délabrement de mon organisme (dont je connais tout de même une partie des causes) ne me permet plus d'envisager un parcours complet du Pacific Crest Trail. J'ai même essayé de trouver d'autres projets, des trucs raisonnables genre la traversée des Pyrénées.
Mais on a beau faire, on a beau dire, le naturel fait ce pour quoi il a été conçu, il revient au galop. Bon, OK, je ne peux pas raisonnablement penser à une nouvelle tentative de thru-hike. Mais... une partie, alors? Un section hike, comme disent les indigènes?
Ah, ah, ça, peut-être, on pourrait y réfléchir. Et quelle section alors, dans cette hypothèse? Eh bien, c'est là qu'on perçoit que je dois avoir un petit problème mental, en supplément des problèmes articulaires: ce qui me fait envie, vraiment envie, ce serait de me retrouver au début du mois d'avril au monument de Campo, à la frontière mexicaine, et de parcourir la totalité du désert (des déserts, techniquement parlant) jusqu'à la Sierra Nevada, à Kennedy Meadows. 1200 km, Près de deux mois de marche. C'est moyennement surprenant: j'ai toujours été fasciné par les déserts et je suis un inconditionnel de Théodore Monod. Dans un désert, on est très loin, très, très loin de notre environnement habituel. Et genoux ou pas genoux, j'ai besoin de rêver. C'est une question de survie.

Cependant, je rappelle, et je me rappelle bien, que j'ai trouvé l'expérience de la marche dans le désert torride extrêmement difficile*, et le problème du manque constant d'eau très stressant. Alors???
Alors, le temps qui passe me fait mesurer à quel point c'était une expérience inoubliable, que j'ai envie de revivre dans de meilleures conditions, et dans son intégralité. J'ai également envie, très envie, de revoir Louise fouiller dans son portefeuille tout en conduisant, près de Warner Springs, j'ai envie de revoir Donna à Agua Dulce, envie de me goinfrer à Paradise Café, envie de refaire l'épouvantable descente brûlante vers Nance Canyon, au bord du malaise tellement il faisait chaud, j'ai envie de revoir Terri Anderson me montrer ses fesses à Casa De Luna la bien nommée, envie de me retrouver dans la Vallée de Chihuahua chez Mike Herrera, envie de rencontrer tous les dingues furieux que ce parcours attire comme un aimant, ces "cinglés qui brûlent la vie comme une chandelle romaine" dont parlait Jack Kerouac.
Donc, cette idée s'insinue peu à peu dans mon esprit, et j'ai déjà vérifié le prix du billet d'avion pour Los Angeles le 1er avril 2013.

L'état de mes genoux ne s'améliorera pas. En revanche, je pourrais utiliser mon expérience pour alléger au maximum mon sac, mieux me préparer physiquement, mieux gérer la question de l'eau (quoique, sur ce point, j'ai quelques doutes). Les semaines qui viennent vont probablement clarifier la situation et vous indiquer s'il y aura une suite à ce blog interrompu.

Allo, Docteur? J'ai passé du temps dans un désert calciné au printemps dernier, à me demander ce que je foutais là, à me demander pourquoi je m'infligeais de telles souffrances. La vision de mon œil droit en a pris un sérieux coup et on a établi que c'était une conséquence directe de la déshydratation dans le désert. Et je n'ai actuellement envie que d'une chose: y repartir. C'est grave, Docteur?


* Consulter, pour mémoire, le billet du 17 avril: Third Gate Cache.

Aux antipodes du désert d'Anza-Borrego: Pyrénées, octobre 2012.



Aux antipodes des Pyrénées, aux antipodes de ma vie: San Felipe Hills, désert d'Anza-Borrego, avril 2012: