mardi 31 janvier 2012

Tell It On The Mountain




"Tell It On The Mountain" est le titre d'un film réalisé sur le PCT en 2007, si je ne m'abuse. Davantage d'infos (quoique...) sur leur site. Je n'ai pas encore bien compris si le DVD était disponible ou pas.

Je vous propose leur bande-annonce, ou trailer. Je ne traduirai pas les paroles, ce serait de toute façon difficile à suivre. Il aurait fallu plutôt mettre des sous-titres, mais c'est un boulot que je n'ai plus guère envie de faire. En tout cas, une fois encore, les images donnent envie (pour les cinglés, du moins, j'imagine) ET vous verrez deux des hikers les plus célèbres: le premier que l'on voit, et sur qui la bande-annonce est en quelque sorte centrée, est Scott Williamson. Je vous rappelle qu'il détient le record de vitesse sur le PCT, aller et retour, en 64 jours, et a parcouru le sentier un nombre de fois qu'il est difficile de compter. En réalité, il travaille l'hiver pour pouvoir partir sur le PCT l'été. On le voit au monument 78 expliquer qu'il vient d'arriver, de parcourir 4300 km, et qu'il ne lui reste maintenant qu'à repartir vers le Mexique...
Un autre des grands personnages de ce parcours, qui vit sur le PCT, année après année, est Billy Goat, facilement reconnaissable à sa très longue barbe. Depuis qu'il a cessé de travailler, il est en permanence sur le sentier. Comme il le dit, c'est là qu'il se sent le mieux et qu'il est heureux. Il ajoute: "l'an dernier, j'ai passé 101 jours consécutifs sur le PCT et j'ai toujours dormi sous cet arbre, là". Ce que Billy Goat veut dire, c'est qu'il n'emporte même pas de tente, ni d'abri quelconque, il marche et quand la nuit tombe, il s'installe sous le premier abri qu'il trouve. Il ajoute que quand il dit qu'il vit en Californie, on lui répond généralement "tremblements de terre, embouteillages, pollution", à quoi il rétorque que ce n'est pas vraiment le monde dans lequel il vit personnellement.
"Il y a toujours un problème à gérer, que ce soit la chaleur, la neige, l'eau... Mais on y arrive, pas à pas. Un pas après l'autre." (Billy Goat)
Et à la fin, vous voyez Scott à l'arrivée d'un de ses "yo-yo", à la frontière mexicaine.



Version HD à voir sur le site de Vimeo: http://vimeo.com/908175

Si vous vous sentez l'humeur anglophone, vous avez deux autres vidéos sur le site de Tell It On The Mountain, à la rubrique "Media".


Je commence à avoir dans la tête une plutôt riche bibliothèque, et vidéothèque, concernant le PCT. Comme vous pouvez l'imaginer, j'ai beaucoup lu, beaucoup regardé de documents à ce sujet. Il en ressort un étrange cocktail d'impressions: tous font état de souffrances bien supérieures à tout ce qu'ils pouvaient imaginer avant le départ. Il est clair que le Pacific Crest Trail n'est pas "a walk in the park", comme disent les Anglo-Saxons, une promenade au parc. Mais, dans le même temps — est-ce vraiment si curieux que ça? — ils clament tous haut et fort qu'ils n'ont jamais été aussi heureux. Le plaisir dans la souffrance? Non, je ne crois pas que les thru-hikers soient une nouvelle tribu de masochistes. Mais le PCT répond certainement, en revanche, à un besoin de se surpasser que la société dans laquelle nous vivons ne nous permet pas souvent d'assouvir de manière aussi radicale. Établir une hiérarchie des plaisirs qu'offre le PCT dans cet océan de souffrances ne doit pas être tâche aisée, et je m'interroge sur le bilan que je pourrai faire, dans la mesure où il m'est bien difficile pour l'heure de clarifier mes motivations. Il semble en revanche assez évident que c'est une expérience qui doit vous confirmer de manière violente que vous êtes bien... en vie.

lundi 30 janvier 2012

Et l'avenir, dans tout ça?


"... un quart de siècle de bonheur... ou de chimère entretenue, dans un cadre encore intact".
Pierre Minvielle


En épilogue de son livre Zero Days, Barbara Egbert s'interroge, à juste titre, sur les perspectives d'avenir du Pacific Crest Trail. Il faut en effet garder présent à l'esprit que c'est un parcours tout jeune. Si l'on considère que la première a été accomplie par Eric Ryback en 1970, le sentier n'existait alors pas encore dans son intégralité. Il n'a été achevé qu'en 1993. Et pourtant, sa fréquentation a beaucoup évolué en très peu de temps. Elle s'appuie aussi fortement sur la sorte d'infrastructure de soutien qu'apportent les divers trail angels et Barbara pose d'intéressantes questions sur les limites de cette bonne volonté confrontée à une certaine explosion du nombre de hikers. Franchement, même armés de la meilleure volonté du monde, vous accepteriez, vous, de recevoir chez vous cinquante randonneurs puants, sales et affamés, chaque jour, pendant trois mois, tous les ans? Et leur laver leurs chaussettes?
 Les villes de ravitaillement, elles-mêmes, ne voient pas forcément d'un très bon œil cet afflux saisonnier de types dépenaillés et malodorants qui font des razzias sur tout ce qui se mange. L'existence même du sentier est constamment menacée par les intérêts privés. Le PCT traverse plusieurs domaines privés et on est en droit de se demander combien de temps les propriétaires tolèreront cette invasion. C'est un combat de tous les instants de la part de l'association. La question de fond est en réalité celle de la résilience du sentier, de sa capacité d'absorption d'un tel afflux de hikers, des graves risques que lui fait déjà subir cette surfréquentation, en peu d'années, somme toute. C'est un miracle d'avoir un sentier continu de 4300 km, ça pourrait bien ne pas durer. De plus, le permis qu'il est nécessaire d'avoir pour parcourir le PCT (je l'attends d'un jour à l'autre) est en réalité un non-permis, automatiquement délivré. Mais combien de temps encore avant que de vrais quotas soient introduits, ou qu'on se préoccupe des risques réels du parcours et qu'on exige des "qualifications"? L'accès au PCT est encore libre, c'est aussi une sorte de miracle de nos jours, mais jusqu'à quand?

À ce titre, j'ai bien conscience, moi aussi, d'être un privilégié de pouvoir partir sur le PCT tant qu'il... existe encore, tant qu'il y a des trail angels qui acceptent d'apporter leur très précieuse aide. Je sais qu'un tel parcours n'est en aucun cas gravé dans le marbre de l'Histoire. Il n'est certainement pas éternel et la rapidité d'évolution de sa fréquentation peut légitimement inquiéter. J'en ai d'autant plus conscience que j'ai déjà vécu ce type de situation. C'est l'avantage, ou l'inconvénient, d'avoir  "sous ma ceinture", comme on dit chez eux, un certain nombre d'années de pratique des loisirs, ou sports, de montagne. J'ai vu au fil du temps comment une activité pouvait évoluer, ou dégénérer, selon le point de vue, jusqu'à en devenir quasiment impraticable. Je vais vous en donner deux exemples:

En 1977, dans l'antiquité, ma bande de copains et moi-même venions de découvrir une nouvelle possibilité d'amusement (de fun, dirions-nous en Français moderne) dans les Pyrénées. Deux bouquins nous avaient mis sur la piste de ce qui allait beaucoup nous occuper — nous ne le savions bien évidemment pas à l'époque — au cours des années à venir. L'un d'entre eux, de Pierre Minvielle, s'intitulait: À la découverte de la Sierra de Guara. Il avait été publié en 1973. Il est définitivement épuisé et il est enfermé à double tour dans le coffre-fort que je n'ai pas. Il décrivait des itinéraires de balade et de découverte dans une région sauvage et quasi abandonnée des Pyrénées espagnoles. L'autre était plus ciblé. Patrice de Bellefon, un guide de haute montagne pyrénéen, avait publié un ouvrage dans cette fabuleuse collection des Éditions Denoël qu'avait lancé Gaston Rebuffat avec ses 100 plus belles courses dans le Massif du Mont Blanc. De Bellefon, en toute logique, livrait ses 100 plus belles courses dans les Pyrénées. Ces livres sont des trésors de ma bibliothèque.

Donc, parmi les courses recommandées par De Bellefon, il y avait la descente du Canyon du Rio Vero, dans la fameuse Sierra de Guara, en Aragon. Ah, ah, mais qu'est-ce donc que cette région dont ils nous parlent? Minvielle, lui, abordait sa description à la manière de René Caillié racontant son arrivée à Tombouctou en 1828. Difficile de croire aujourd'hui que ce fascicule décrivait une partie des Pyrénées, il y a 35 ans: "C'est le 20 avril 1950 que, pour la première fois, j'abordais avec mon père, le docteur Paul Minvielle, la fameuse Sierra de Guara. A cette époque-là, ce massif montagneux jouissait du prestige qu'ont les terres mal connues. Les rares articles qui lui avaient été consacrés se bornaient à en signaler l'existence et remontaient à un demi-siècle. Nous allions mettre nos pas directement dans les traces de Lequeutre, de Saint-Saud, de Tissandier. D'emblée, notre excursion prenait des allures de grande entreprise". Eh ben nous, Pierre, une telle description suffisait à nous faire dégainer les sacs, et nous avons mis nos pas dans les tiens, sans tarder. "Le rio [Vero] plonge dans cinq formidables gorges", écrivais-tu. Ah ouais? En route!

La description de l'itinéraire par De Bellefon était pour le moins sommaire. Nous avions bien compris qu'il s'agissait d'une descente de canyon, mais dans les Pyrénées. Certes, il y avait de l'eau, mais on était bien en montagne. Et, nom d'une pipe, que ça semblait beau! Il ne nous en fallait pas davantage pour organiser notre sortie du 15 août, avec la bande habituelle d'allumés. Nous sommes partis pour la Sierra, avec l'équipement de montagne de l'époque — grosses chaussures, knickers, sacs à dos, tentes, duvets... Sans cuillère en titane — mais nous emportions aussi un gros canot pneumatique dans lequel nous pensions pouvoir déposer les sacs pour ne pas avoir à les porter. Naïfs, sans doute, mais nous avions suivi à la lettre les indications de l'auteur. "Nous savions, en y partant, que la descente des gargantas du rio Vero était une merveilleuse aventure, et nous décidâmes, pour en profiter pleinement, d'y bivouaquer malgré nos sacs alourdis par nos duvets, nos vêtements de rechange et nos vivres pour la soirée. Nous n'ignorions pas que plusieurs bains dans l'eau froide du rio étaient inévitables et que le poids de nos sacs compliquerait les manœuvres de cordes destinées à leur éviter une malencontreuse immersion". T'as raison, Patrice... La Sierra de Guara avait subi de plein fouet la désertification rurale dans les années soixante, et il n'y restait presque plus aucun habitant. Quand nous sommes arrivés à l'entrée du canyon, nous étions sur la lune. Personne, une région effectivement sauvage, d'une éblouissante beauté. Nous avons gonflé le bateau et empilé tous les sacs, pleins d'enthousiasme. C'est à ce moment-là que Jannick, qui avait entendu une sorte de gargouillis d'eau un peu plus loin, a proposé de s'avancer pour reconnaître le parcours. Il a fait une centaine de mètres, jusqu'à la première chute, s'est retourné et nous a crié (je l'entends encore): "Dégonflez le bateau!".

Nous nous sommes donc engagés dans une extraordinaire descente de deux jours, sans rencontrer personne d'autre. Seuls au monde, avec notre équipement de montagne, à affronter les nombreuses difficultés que nous opposait une descente qui se pratique... à la nage, et en combinaison de plongée.
Un souvenir merveilleux. Bien entendu, nous avons très vite affiné notre équipement, et les années qui ont suivi nous ont vu enchaîner descente de canyon sur descente de canyon, de manière intensive, dans un univers toujours aussi sauvage et désert. Nous étions des privilégiés, pendant une dizaine d'années. Guara était devenu notre Disneyland.
Mais bien évidemment, ce joyau dissimulé dans un repli des Pyrénées a fini par être découvert par d'autres. Les effets de cette fréquentation qui a explosé au cours des années qui ont suivi ont ressemblé aux langues d'Ésope. Le développement du tourisme a sans doute bénéficié à la région et de nombreux villages se sont repeuplés. Mais en ce qui concerne les descentes de canyons, le tableau n'était pour nous plus aussi idyllique. Des autobus entiers ont fini par débarquer, des parkings payants ont été aménagés à l'entrée de certains canyons, des organisations ont flairé le bon plan et les guides professionnels ont mis la main sur ce juteux marché. Les réglementations sont devenues draconiennes et ont singulièrement limité la liberté dont nous avions tant profité. On a fini par convaincre ceux qui voulaient y aller qu'un guide était indispensable, qu'il fallait encadrer l'aventure, maîtriser les risques. Ce n'était plus ma Sierra, celle des souvenirs éblouissants, de la nuit passée à grelotter, bloqués dans un des canyons les plus difficiles — la redoutable Gorge Noire —, de l'amitié, de la liberté, des grillades et de l'aventure, et j'ai cessé d'y aller. Devoir faire la queue derrière des guides et leurs dizaines de clients avant de poser un rappel n'était pas vraiment ma tasse de thé. Cette atmosphère détruisait radicalement l'ambiance féérique et les merveilleux souvenirs et il valait mieux rester sur les images de tous ordres que nous avions engrangées.
C'était une époque où le terme de canyoning n'avait pas encore été inventé. L'activité elle-même n'existait pas. Quinze ans plus tard, notre Sierra s'était évanouie comme un rêve, elle avait été tuée par la surfréquentation. Mais elle restait — et demeure — dans notre tête. Et sur les photos.










Le même phénomène s'est produit, avec des variantes, concernant le rafting. Jacques était un champion de kayak, et nous avons un jour décidé d'acheter un raft d'occasion, à quatre. Comment vous décrire ce bonheur, et les épisodes particulièrement déjantés que ce raft nous a offerts? Nous l'avons littéralement usé jusqu'à la corde, ou la toile. Nous descendions les gaves pyrénéens au printemps, pour avoir le niveau d'eau "intéressant", mais aussi en plein hiver. J'ai le souvenir d'une descente douloureuse du Gave d'Aspe à la fin du mois de décembre. Le lendemain, Martine était repartie au boulot pour y entendre un collègue lui parler de son week-end au ski. "Et tu ne le croiras pas", avait-il ajouté, " en redescendant par la Vallée d'Aspe, on a vu des cinglés qui descendaient le gave sur un raft!"...
Nous sommes un jour partis sur l'Isère où se déroulaient les championnats du monde de kayak. L'occasion était trop belle. Un matin, nous avons gonflé le raft et nous sommes descendus. Enfin, cette descente-là a failli très, très mal se terminer quand le raft s'est retourné dans des rapides particulièrement violents. Et à l'arrivée, j'ai été cueilli par les gendarmes qui m'ont emmené, en combinaison de plongée, à la gendarmerie pour explications. Bon, je le concède, c'est un peu comme si vous décidiez, le matin du Grand Prix, d'aller tourner sur un circuit de Formule 1 avec votre Renault... Ils n'avaient pas vraiment aimé.
Mais à cette occasion, j'ai senti que c'était une fois encore le début de la fin. Le rafting devenait une activité en vogue et les règlementations fleurissaient. L'obligation d'avoir un guide agréé était au détour d'un rapide. Nous avons revendu le raft. Et gardé les photos et les souvenirs.

Descente de la Noguera Pallaresa, Pyrénées espagnoles.

dimanche 29 janvier 2012

Où l'on parle (encore) d'OR7


"The Promised Land always lies on the other side of a wilderness."
Havelock Ellis

"La Terre Promise se trouve toujours derrière la nature sauvage".



Bon, je sais, vous devez commencer à en avoir marre que je vous parle d'OR7, le loup gambadeur, aussi connu sous le nom de Journey. Mais il y a des signes qui ne trompent pas, qui révèlent que les pérégrinations californiennes de notre loup solitaire intéressent de plus en plus de monde. OR7 vient de faire l'objet d'un (long) article dans... le New York Times! Voilà pourtant un journal qui n'a guère pour habitude de parler en première page des chiens écrasés ou des loups en balade. Je ne serais pas surpris non plus que la polémique qui enfle et oppose les partisans et les détracteurs du loup prenne une ampleur déroutante pour nous. Il n'est que de voir les engueulades suscitées par deux ou trois ours pelés réintroduits dans les Pyrénées. Il y a là quelques leçons à méditer, après tout. Pour ne prendre que l'exemple de la Californie, État le plus peuplé des États-Unis, pas vraiment le fin fond de la Sibérie ni les steppes de Mongolie, on a affaire à un pays qui défend farouchement sa nature sauvage et une faune qui ne l'est pas moins. 5000 pumas à vos portes, des dizaines de milliers d'ours, et maintenant les prémices d'un retour des loups. Et ce que je lis, ce sont des avertissements publiés dans les journaux, mettant en garde ceux qui pourraient être tentés de faire un mauvais sort à OR7: ce serait passible de centaines de milliers de dollars d'amende et... d'un an de prison! Alors, bien sûr, tout ça n'est pas un lit de roses, il y a de violents opposants au loup, et le pastoralisme n'est pas un sujet de préoccupation majeur en Californie. Il l'est dans d'autres États, pourtant, où l'on met cependant en place une délicate cohabitation entre éleveurs et faune très sauvage.
Au risque de déclencher chez certains un réflexe d'urticaire anti-américaniste primaire, ça me rappelle une tragique histoire qui s'est déroulée il y a quelques années en Californie, à Sacramento, la capitale: une joggeuse a été poursuivie, puis tuée par un puma. Le puma a été retrouvé et abattu. Eh bien, le croirez-vous, une collecte a été organisée pour récupérer des fonds, afin de s'occuper... des petits du puma, qui s'étaient retrouvés orphelins.

J'imagine sans trop de peine qu'il y aurait là un très intéressant sujet de réflexion, sur les relations qu'entretiennent les Américains avec leur vision de ce que doit être la nature sauvage, qui est inscrite dans leur patrimoine génétique. Je vais tout de même éviter de repartir dans six ans de recherches, comme je l'ai fait après avoir entendu un randonneur me dire que dans les parcs nationaux, on visait à recréer la nature telle qu'elle était avant Adam et Ève. Mais on est à l'évidence dans la même problématique. Ça me turlupine, cette histoire. Ce qui a fondé l'identité américaine, c'est bien la relation à la nature. Mais pas n'importe quelle nature. Ils ont beau habiter dans la banlieue de Los Angeles et rester chaque jour englués dans l'infernale circulation qui ne circule plus, sur la 405, la représentation de la nature sauvage est le fondement de leur identité. On essaie de ne pas toucher à ça, même si par ailleurs, bien évidement, on la massacre à tout va. On parle avant tout ici d'images mentales. Je crois qu'il faut bien comprendre que le loup devient un éminent symbole de cette représentation. Nous avons le même mythe, d'ailleurs, du grand méchant loup, et du Chaperon Rouge. Pour les Américains, s'il y a encore un grand méchant loup, c'est que leur nature est restée sauvage, et il est essentiel qu'elle le reste afin qu'ils puissent préserver non pas la nature sauvage, mais bien l'image qu'ils ont d'eux-mêmes en tant que peuple. Que c'est bon, doivent-ils penser, de se dire que malgré tout ce qu'on lui a fait subir, notre nature est encore sauvage, exceptionnelle, "vierge".
Voilà, à mon sens, comment il convient d'interpréter la publication de cet article dans le New York Times. Je suis prêt à prendre des paris que ce ne sera pas le dernier...

"J'❤ les loups"


Le parcours d'OR7, jusqu'au 11 janvier


Le titre: Le loup solitaire est suivi de près

Lone Wolf Commands a Following

SAN FRANCISCO — On the Chinese calendar, this week ushers in the year of the dragon. But here, it feels a lot more like the year of the wolf.
On Dec. 28, a 2 1/2 -year-old gray wolf crossed the state line from Oregon, becoming the first of his species to run wild here in 88 years.
His arrival has prompted news articles, attracted feverish fans and sent wildlife officials scrambling to prepare for a new and unfamiliar predator.
“California has more people with more opinions than other states,” said Mark Stopher, senior policy adviser for the California Department of Fish and Game. “We have people calling, saying we should find him a girlfriend as soon as possible and let them settle down. Some people say we should clear humans out of parts of the state and make a wolf sanctuary.”
The wolf, known to biologists as OR7, owes his fame to the GPS collar around his neck, which has allowed scientists and fans alike to use maps to follow his 1,000-mile, lovelorn trek south from his birthplace in northeastern Oregon.
Along the way, OR7 has accrued an almost cultlike status.
“People are going to get wolf tattoos, wolf sweaters, wolf key chains, wolf hats,” said Patrick Valentino, a board member with the California Wolf Center, a nonprofit advocacy and education organization.
In Oregon, students participated in art contests to draw OR7’s likeness and a competition to rename him (the winner: “Journey”). This month, people across the country attended full-moon, candlelight wolf vigils organized by groups with names like Howl Across America and Wolf Warriors.
As with seemingly all wayward and famous animals these days, the wolf has a lively virtual existence on social networking sites like Twitter, where at least two Twitter accounts have been posting from the wolf’s perspective.
“Left family to find wife & new home. eHarmony just wasn’t working for me,” read one Twitter profileAnother account, which describes the wolf’s hobbies as “wandering, ungulates,” recently had in a post: “Why is everyone so worried about my love life?”
The wolf’s presence has also set off more practical responses from state wildlife officials, who are hustling to prepare for what they now see as the inevitability of wild gray wolves here.
In mid-January, the California Department of Fish and Game put up a gray wolf Web site that includes a map of OR7’s trek and a 36-page explainer on the species. The department has already begun a series of public meetings with local governments in the state’s northern counties, where wolves are most likely to take up residence first.
Biologists say that OR7 is unlikely to survive long hunting alone without a pack and that it could be as many as 10 years before wild wolf packs roam northern California. Still, state and federal wildlife officials met Friday to discuss a strategy for wolves.
Next month, state biologists will get training by the Agriculture Department to identify livestock killed by wolves.
Once widespread across much of the country, gray wolves were nearly extinct in the contiguous United States by the early 20th century, killed by government trappers, ranchers and hunters. In 1974, the gray wolf was listed as endangered under the newly established Endangered Species Act. Then in 1995 and 1996 wildlife officials released 66 Canadian wolves into Yellowstone National Park and central Idaho, an area that is now home to nearly 1,700 wolves.
Wolves have been remarkably successful in reinhabiting their old terrain. In recent years regulators removed wolves from the endangered list for much of the northern Rocky Mountains and Great Lakes regions. In Idaho and Montana, they can be legally hunted.
In California, gray wolves remain protected under federal law, and the recent appearance of one has flared up large predator agita among ranchers.
“I’m afraid somebody will step up and take this wolf’s life in their own hands,” said Darrell Wood, a cattle rancher. “There are huge state and federal penalties for killing a wolf.”
Mr. Wood’s family has been raising cattle in Lassen County — where OR7 is now and where the state’s last wolf was shot in 1924 — for six generations. “I just hope it wasn’t a relative of mine who shot him,” said Mr. Wood, 56.
Other area residents seemed more interested in the wolf’s place in the mythological pantheon. “What’s next, sparkly vampires?” asked a commenter on a Lassen County Times article about the wolf, an apparent reference to “Twilight,” the vampire and werewolf series.
Ardent wolf fandom and ire do not surprise Ed Bangs, the federal Fish and Wildlife Service’s recently retired wolf recovery coordinator. “When wolves come back, one side says it’s the end of civilization, our children will be dragged down at the bus stop,” he said. “The other side thinks nature is finally back in balance and can we all have a group hug now.”
California will see the same divisions, said Mr. Bangs, who in his 30 years in gray wolf management attended hundreds of contentious meetings with residents, ranchers and environmentalists.
“I like to say wolves are boring,” he said, “but people are fascinating.”

samedi 28 janvier 2012

Cougar


"He who walks alone, waits for no-one."
Henry David Thoreau

" Celui qui marche seul n'a personne à attendre".


Il est important d'apprendre à connaître ses "adversaires", si ce sont des adversaires, ce dont je doute par ailleurs. Ceux avec qui j'aurai à cohabiter pendant les mois qui viennent. Je sais déjà que si un ours se dresse sur ses pattes de derrière en grognant, toutes griffes sorties, c'est qu'il souhaite me saluer. Quoi, non? C'est pas ça?... Concernant le puma, ou cougar, j'ai beaucoup appris de Skywalker qui explique avec sagesse dans son livre que le cougar a pour habitude de suivre subrepticement ses proies et de leur sauter dessus par surprise. Mais il attaque généralement ses victimes par derrière en les mordant à la nuque pour leur broyer les cervicales. Et la parade, explique Skywalker, est simple: il suffit de porter une casquette à double visière qui offre, en outre, l'avantage de vous protéger du soleil. Elle désoriente le cougar qui ne sait dès lors plus de quel côté attaquer. Le temps qu'il réfléchisse, vous êtes hors de danger.

Je vous invite néanmoins à mieux faire la connaissance du cougar grâce à Patrick LaMontagne, caricaturiste canadien. Sur cette brève vidéo, vous apprendrez comment faire le portrait de notre ami le puma. Et hop! Avec l'aide de ce qu'on appelle une tablette Wacom, qui vous permet de dessiner directement sur l'ordinateur, de Photoshop, et d'un petit peu de talent. C'est simple. Je sens que ça va plaire à Rosalie...
Patrick LaMontagne fait de remarquables portraits animaliers satiriques. La classe. Bon, enfin, jugez par vous-mêmes...




Extrait de: Bill Walker, Skywalker: Highs and Lows on the Pacific Crest Trail:

"En titre: un puma attaque un randonneur dans la forêt nationale de Cleveland. Dave venait d'allumer la télévision et cette démonstration de maestria journalistique était en tête des nouvelles.
"Hé! C'est pas dans la forêt de Cleveland qu'on est en ce moment?" Demanda Dave.
"On y était", répondis-je. " Je suis pas sûr qu'on y soit encore". Un puma y avait attaqué un randonneur. Le chien du randonneur s'était loyalement précipité à sa rescousse, et le puma lui avait promptement réglé son compte. La grosse surprise, cependant, était que ça s'était passé en plein jour.
"Je croyais qu'ils ne se déplaçaient que la nuit", dit Dave, l'air un peu préoccupé. Il avait prévu de marcher seul le lendemain.
Il y a environ 5 000 pumas en Californie. Ils sont nocturnes et extrêmement silencieux. Tellement silencieux qu'en général, ils suivent leurs victimes pendant des journées entières. En fait, la plupart des randonneurs du PCT sont probablement suivis par un puma à un moment ou un autre, même si seule une quinzaine de pour cent en voit réellement un. Ils aiment bien se percher sur des rochers d'où ils sautent pour briser instantanément la nuque de leurs victimes. Heureusement, les pumas sont de si bons chasseurs qu'ils choisissent presque toujours des proies plus appétissantes que nous autres, misérables humanoïdes.
Dave n'était pas du genre inquiet, mais j'ai noté qu'il regardait à nouveau le journal local, à 18 h, puis à 22 h. Et lorsque je me suis réveillé pour aller aux toilettes ce matin-là, sa lumière était allumée et je l'ai entendu réorganiser son sac une fois de plus. Il venait de prendre sa retraite en Floride où il avait une vie agréable. Tout ça s'avérait plus dur que prévu pour lui. Il est parti seul aux premières lueurs du jour, vers un des secteurs les plus brutaux du désert. J'avais de la peine pour lui."

vendredi 27 janvier 2012

Donna


"Hospitality is making your guests feel at home, even though you wish they were."

"L'hospitalité, c'est faire en sorte que vos invités se sentent chez eux, même si vous préféreriez qu'ils y fussent".


Donna et Jeff Saufley, vous vous le rappelez peut-être, sont peut-être les trail angels les plus célèbres du Pacific Crest Trail. Ils habitent à Agua Dulce, dans le désert du Mojave et accueillent tous les randonneurs qui passent. Depuis quinze ans. Une tâche pharaonique. Il y a de l'héroïsme dans ce qu'ils font bénévolement. 50 hikers par jour pendant toute la saison.
Voici ce qu'écrit Donna dans la préface du livre de Barbara Egbert, Zero Days (Wilderness Press). Traduction par qui vous savez, of course:


"En mai, quand la chaleur de l'été commence à grimper, ils arrivent, poussiéreux et affamés. Leurs chaussures sont usées et la croûte de crasse et de sel de leurs vêtements témoigne de la vie dans les montagnes et les déserts du sud de la Californie. Ils ont marché sur des centaines de kilomètres pour parvenir ici. Ils arrivent du bout de la route et poussent le portail, en quête de rafraîchissement et d'un peu de répit du sentier. C'est pour eux que nous ouvrons notre maison et notre cœur. Chez nous, les randonneurs prennent un zero day.

Poussé par leurs rêves et leurs désirs de vivre une expérience qu'il est difficile de faire partager aux non-initiés, la plupart de ceux qui passent notre porte ont le  même objectif: parcourir l'intégralité du Pacific Crest Trail sur 4300 kilomètres, du Mexique au Canada. Beaucoup font des sacrifices pour faire ce voyage, et beaucoup vont souffrir — physiquement et mentalement — afin d'atteindre le terminus nord du sentier. Tous devront affronter obstacles et défis. Le sentier va les refroidir ou les réjouir, les pousser plus loin vers leur destination en les encourageant à aller voir ce qu'il y a derrière le prochain virage ou la prochaine montagne. Des centaines prennent le départ, mais seuls les plus chanceux ou les plus déterminés parviendront au bout. Une poignée d'entre eux reviendra, encore et encore, parce qu'ils trouvent leur vrai bonheur dans la rude simplicité de la vie du sentier.

L'isolement du Pacific Crest Trail  et le caractère sauvage des territoires qu'il traverse font que le parcourir en une seule saison est une redoutable entreprise. Le créneau dont on dispose dépend de la neige et de la météo, ce qui limite la saison habituelle à cinq ou six mois. Ceux qui veulent accomplir ce trajet doivent porter nourriture et équipement à travers montagnes et déserts, rivières et torrents. Dans les longs secteurs désertiques, ils doivent ajouter à leur charge le poids de la précieuse eau. Ils doivent subir les insectes, l'inconfort physique, et des extrêmes de température. Leurs pieds et leurs muscles vont se révolter. À la fin de la journée, ni lit ni douche chaude, et il faudra une semaine ou plus avant d'avoir la possibilité de ravitailler. Un équipement adapté, une organisation logistique, et une bonne préparation sont nécessaires. Ainsi que ces cadeaux les plus précieux: une bonne santé et du temps libre. C'est un groupe d'individus déterminés et privilégiés qui entreprend ce très long parcours.

Trouver l'archétype de ces vagabonds apparemment sans emploi est une entreprise vaine. Ce peut être des aventuriers de classe mondiale, ou d'autres pour qui c'est la première grande aventure. Vous y verrez des grands-mères, des ouvriers du bâtiment, des vétérinaires, des pilotes, des avocats, des serveuses, des pompiers. Un assez grand nombre de musiciens, d'écrivains, et d'ingénieurs marchent en compagnie d'étudiants ou de retraités, avec des vétérans qui ont déjà couvert des milliers de kilomètres ou des lycéens qui veulent échapper à leur quotidien. Des couples, des relations de tous types, des célibataires, chaque randonneur peut disposer d'un foyer et d'une famille qui le soutient, ou être seul, sans domicile fixe pendant la durée du trajet.

Le sentier est le Grand Égaliseur, qui ôte tout vestige de statut, de richesse ou d'emploi, celui qui donne à chacun l'allure d'un vagabond, un "métier" auquel tous semblent aspirer en dépit de leurs origines diverses. Ce que chacun fait, conduit, ou possède n'a plus de sens et disparaît hors de la vue, car le sentier se moque de tout ça et révèle la véritable dimension de leur âme à chacun d'entre eux.

Ce grand fleuve d'humanité coule par notre porte, à Hiker Heaven. Depuis que nous avons commencé à accueillir des randonneurs du PCT en 1997, des milliers d'entre eux ont trouvé ici le repos, en chemin vers le nord ou le sud."

Donna et Jeff Saufley

jeudi 26 janvier 2012

Un caniche qui pique



Il n'y a pas que l'absence d'eau, la chaleur, les serpents à sonnette, les mouches noires et les scorpions dont il convient de se méfier dans le désert. Les jolies petites fleurs peuvent aussi vous faire des misères. Le désert, ça pique, partout. Au point que dans la mise à jour 2012 de ses cartes, Halfmile a jugé bon d'ajouter cette mise en garde, contre le "buisson du caniche" (Poodle-Dog Bush). Ce n'est pas la seule plante vénéneuse ou urticante. La plus connue, quoique très difficile à reconnaître sous ses nombreux déguisements, est le Poison Oak, le chêne vénéneux, ainsi nommé à cause de ses feuilles trilobées vaguement en forme de feuille de chêne. Lui, c'est une vraie cochonnerie, omniprésente sur le PCT, sur l'intégralité du parcours, à laquelle il ne faut en aucun cas se frotter. Il secrète une huile très urticante et invalidante (l'urushiol)  qui fait de gros dégâts. Ennemi public végétal n° 1.

Des images de Poison Oak, pour le cas où vous envisageriez, à la lecture de ce merveilleux et inoubliable blog, d'aller vous promener sur le PCT. Je ne vous montre pas les effets du Poison Oak sur la peau des randonneurs. Ils sont plutôt effrayants. On dirait les pages du Larousse médical sur la peste bubonique, ou les écrouelles, en phase terminale... Les écrouelles, vous savez, cette maladie cutanée pourrie que les rois de France et d'Angleterre étaient réputés pouvoir guérir simplement en vous touchant et en faisant un signe de croix. C'était économique pour la sécu.

Henri IV soignant les scrofuleux.
Et le poison oak, Henri?




Le Poison Oak est présent sur TOUT le PCT, et là seulement.



Mais voyons donc ce que nous raconte ce bon Halfmile sur les jolies petites fleurs du caniche qui pique et qui gratte, elle aussi (extraits):

Le Poodle-Dog Bush a envoyé un nombre significatif d'ouvriers d'entretien et de randonneurs à l'hôpital. Il est particulièrement problématique dans la zone de Station Fire, incendiée en 2009, mais on peut également le trouver dans d'autres secteurs qui ont brûlé dans le sud de la Californie. Portez un pantalon long et des manches longues dans le secteur D.

On trouve le Poodle-Dog Bush dans le chaparral, sur les pentes et les crêtes entre 100 et 2300 mètres. Ses graines peuvent rester en sommeil dans le sol pendant de longues périodes, et la plante pousse très rapidement lorsque le sol est perturbé ou après un incendie. Les utilisateurs du sentier sont appelés à la plus grande prudence, du fait qu'il apparaît le long du sentier, même quand il est très étroit, et il devient difficile de l'éviter.

Comme d'autres espèces de la famille des myosotis, le Poodle-Dog Bush provoque une irritation sévère si on le touche, semblable à celle du Poison Oak. Gonflements, irritations et démangeaisons apparaissent de douze heures à deux jours après le contact. Il peut générer des cloques qui peuvent durer jusqu'à deux semaines.

Si vous randonnez à proximité du Poodle-Dog Bush, il est recommandé de porter pantalon long, chemise à manches longues et gants. Il est recommandé de nettoyer les instruments tous les jours et de les nettoyer très soigneusement après le travail. Si vous avez été en contact avec lui, évitez de vous gratter. Les vêtements et tout l'équipement qui ont été en contact doivent être manipulés avec précaution et lavés séparément des autres vêtements. Évitez cette plante. La Calamine et la cortisone peuvent soulager, mais si des cloques se forment, des soins médicaux peuvent être nécessaires. Les traitements contre le Poison Oak tels que le Zanfel ou le Tecnu n'ont que peu d'effet, et laver la zone atteinte dès que possible est conseillé.

mercredi 25 janvier 2012

Cactus Eaters



"It is wise to bring some water, when one goes out to look for water."
Proverbe arabe

"Il est prudent d'emporter un peu d'eau quand on part chercher de l'eau".




Dans ce récit, Dan et sa femme Allison sont dans une sérieuse galère dans le désert du Mojave. Leur outre s'est vidée de son eau dans le sac et ils rationnent le peu qu'il leur reste depuis des heures en espérant trouver un trou d'eau...

"Il n'y a rien, me dis-je, strictement rien, pendant qu'Allison m'observe en plissant le regard. "Tu vas trouver une solution, tu vas trouver de l'eau", me dis-je. "C'est toi le mec le plus intelligent de la pièce". En fait, je suis le seul mec de la pièce, mais il n'y a pas de pièce, et je commence à me demander pourquoi on n'est pas partis à Bora Bora. On m'a dit que le tourisme l'avait envahie, mais que c'était sympa. On peut avoir des tarifs tout compris. Il paraît que l'hôtel Beachcomber est plutôt chouette. En ce moment, on pourrait être au bord du Pacifique tiède, à manger des hamburgers et boire des bières glacées, ou à faire l'amour dans un bungalow au sol vitré au-dessus de l'eau, en regardant les concombres de mer et les anguilles. À  la place, on a fait le choix d'être ici, à tituber. […]
J'observe le paysage attentivement, et je sens le cœur me battre dans les tempes. Je me rappelle les cours de biologie au lycée. Mme Caterberg nous avait dit que les ânes et les chameaux peuvent perdre un tiers de leur poids en eau sans en subir d'effets. Mais si un être humain perd le dixième de son poids en eau, il commence à perdre la boule. S'il perd vingt-cinq pour cent, son sang se transforme en marmelade. Ses muscles se bloquent. Puis il commence à avoir des hallucinations. À la fin, sa langue noircit. Combien d'eau ai-je déjà perdu? Et Allison? Dix pour cent? Onze pour cent?
Enfin, une lueur apparaît dans les arbres. On se faufile au milieu des buissons et on parvient à une bande de terre brun-rouge dans les hautes herbes, avec une triste mare au milieu. Un mètre par soixante centimètres, quelques centimètres de profondeur. C'est notre seule option. Il y a des sangsues dans l'eau. J'enfonce mon index dans cette mélasse. L'eau est tiède et incroyablement sale. Allison enlève son sac et sort notre seau pour la filtration — le fonds d'un bidon de cinq litres de jus de fruit. J'écope un peu d'eau et je laisse les particules de débris se déposer au fond. Je sors alors notre très coûteux filtre à eau en céramique, que nous avions commandé à Tehachapi lors d'un ravitaillement, en remplacement sous garantie, après que notre premier filtre avait explosé à un autre trou d'eau. Je place l'embout flottant dans l'eau et je prie.
"Sois gentil," dis-je, en chuchotant, à mon filtre.
Allison est au-dessus de moi et m'observe. Je tiens le filtre dans mes mains. Je le câline. C'est dingue de parler à son équipement, je sais. L'équipement n'est pas vivant. Mais si vous devez parler à votre matériel, faites-le de manière respectueuse. Ne criez pas ou ne lui manquez pas de respect. N'essayez pas de lui imposer votre volonté, ou il pourrait se venger. Prenez une voix naturelle, avec une très légère intonation d'autorité.
"Tout ce dont on a besoin, c'est quelques bonnes gorgées", dis-je au filtre. "C'est tout ce que tu dois faire".
Et le filtre se met à fonctionner parfaitement, au début. C'est quasiment de la sorcellerie, la manière dont il aspire l'eau boueuse et la clarifie. Nous filtrons suffisamment d'eau pour boire de suite. En fait, nous parvenons à filtrer un ou deux litres d'un coup, mais on en veut davantage, même si l'eau est tiède et a une odeur bizarre.
"Encore, encore, encore", dis-je au filtre. "Continue. Tu t'en sors très bien. Encore un demi-litre, s'il te plaît".
L'appareil laisse échapper un gargouillis, suivi d'un craquement, qui cède la place à un crachottis, un sifflement, un râle d'emphysème, alors que la pression augmente dans le tuyau d'entrée. Le filtre se bloque. Le levier ne veut plus bouger. Le tuyau de sortie ne veut plus laisser passer d'eau. Le type du magasin m'avait juré que ce filtre ne nous lâcherait pas. Il avait juré que c'était un nouveau modèle, ce con.
" Allez, bordel, allez!" lui dis-je furieusement en appuyant de toutes mes forces sur le levier. Un geyser d'eau sale sous pression jaillit. Le filtre se déboîte et tombe en morceaux. Un sentiment d'horreur s'empare de moi — l'impression que nos problèmes d'eau ne font que se répéter, comme si on était enfermés dans un trou noir du temps. Je regarde les morceaux éparpillés du filtre, puis Allison, puis le gras soleil. Pour le moment, nous avons assez bu pour étancher notre soif, pour le moment. Mais la soif va vite revenir."

Dan White, The Cactus Eaters, HarperPerennial, 2008.

mardi 24 janvier 2012

Le désert du Mojave


"Avec lui, si vous avez pas soif, vous serez tout d'suite servi!"
Michel Audiard


Le désert du Mojave est un des passages redoutables du PCT, même si en réalité, le sentier ne le traverse pas de part en part. Il le tangente par l'ouest. Voici la manière tout à fait enthousiasmante dont il est présenté dans le Guide du Pacific Crest Trail:


Le Désert du Mojave était un formidable obstacle pour les premiers voyageurs, il a généré beaucoup de souffrances et a considérablement ralenti le développement de la Californie du Sud. Ce secteur du Mojave que traverse le PCT est dorénavant dompté par un réseau de pistes et parsemé de maisons et de ranches, éliminant les risques — qu'imaginaient ceux qui manquaient d'informations — de mourir comme les légionnaires français, gorge desséchée et la tête emplie de rêves d'eau. Cependant, le tronçon du Mojave du PCT est susceptible de vous faire bouillir le cerveau, générer des ampoules aux pieds, et vous faire une bouche en carton — à vrai dire, une expérience assez déplaisante — si vous n'êtes pas préparés correctement. Avec un peu de réflexion préalable, suffisamment d'eau, et le bon équipement, cette randonnée peut vous offrir une variante tolérable de l'environnement de montagne habituel du PCT.
L'eau est la clé de toute vie, et en avoir assez rendra la vôtre plus agréable. Quand vous prévoirez vos arrêts pour la nuit ou des marches hors parcours vers des sources, vous pourriez réfléchir aux chiffres suivants fournis par le gouvernement, auxquels on est parvenu avec des sujets soumis à des conditions expérimentales optimales (ils ne portaient pas de sacs lourds!). Sans eau, vous pouvez survivre seulement deux jours par 48° si vous restez immobile, 5 jours à 37° et 9 jours à 26°. Si vous marchez pendant la journée, vous ne survivrez qu'un tiers de ces durées. Si vous vous reposez le jour et marchez la nuit, alors ces chiffres deviennent 1, 3 et 7 jours, en parcourant 19, 50 et 170 km. À 37°, la température intermédiaire, vous pourriez marcher 30 km avec 4 litres d'eau, mais vous finiriez désespérément déshydraté et vous ne pourriez plus bouger. Les conditions réelles de marche nécessitent au moins 8 litres d'eau par jour par une température de 37° avec un sac à dos, mais la plupart des randonneurs fonctionneront mieux avec 9 à 10 litres.
Sachez que les humains sont les seuls mammifères à ne pas boire automatiquement pour remplacer les stocks d'eau perdus, quand l'eau est disponible. Même quand il y a profusion d'eau, les humains qui font de l'exercice ont tendance à se déshydrater, dans la mesure où la plupart ne boivent que pour s'humidifier la bouche et la gorge!

Jeffrey P. Schaffer, Ben Schifrin, Thomas Winnett, Ruby Johnson Jenkins, The Pacific Crest Trail, Vol. 1: California, Wilderness Press, 1995.


Ce que vous pouvez boire en dernier recours:
Après distillation:
• Urine (la consommation prolongée peut finir par provoquer des troubles)
• Sang (le sang humain peut être contaminé par les virus de l'hépatite ou du VIH, donc le sang animal présente moins de risques)
• Eau de mer
Après désinfection:
• Eau de rivière ou de torrent
• Eau de la chasse d'eau (pas de la cuvette), du moment qu'aucun désinfectant n'a été versé dans la chasse, et que le joint en caoutchouc entre le réservoir et la cuvette est parfaitement étanche
• Eau de provenance inconnue
Ne jamais boire:
• Encre
• Eau d'un matelas à eau en vinyle
• Eau de piscine (mais s'y baigner est possible)
• Eau de jacuzzi (mais s'y baigner est possible)

(Extrait du Manuel de Survie SITUATIONS EXTRÊMES, de Josh Piven et David Borgenicht, Éditions 365, 2007)

Merci à Lionel et Claire de ce beau cadeau qui me sera certainement très utile! On y trouve également les solutions pour échapper à une pieuvre géante, éviter une attaque de vampires, déjouer une meute de loups, ou se libérer d'un piège à ours... et de très judicieuses mises en garde. "Si les éléphants sont en colère contre vous, il se peut qu'ils essaient de vous empaler sur leurs défenses avant de lancer votre corps en l'air. Et hop!" (page 20)




lundi 23 janvier 2012

Y a plus d'saisons!


“Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été.” 
Albert Camus


Well, it sure has been dumping up here recently:
 - Stampede Pass (20 miles south of I-90 / Snoqualmie):  One week ago, on the 13th, the snow water content was 14.9 inches.  It's currently 20.6.  Snow depth went from 41 to 75 inches.
 - Stevens Pass (Highway 2 / Skykomish / Leavenworth / Dinsmores):  Same dates, the water content went from 16.7 to 21.8 inches and depth from 55 to 87 inches.
More troubling (from my perspective) is the wind and ice.  Lots of trees have been coming down in the lowlands around greater Seattle.  One can only hope the same isn't happening up on the trail.  However, if last winter is any guide, there will be TONS of trees down here in Washington.  Recall that last year, the USFS had to use explosives to clear several downed trees from the trail just north of Snoqualmie pass.  They were too dangerous to clear with chain or cross cut saws.  Some sections of the trail were never cleared - those trees will still be there for the crews in 6 months, in addition to what comes down this winter.  The USFS crews are all too limited in their numbers due to budget constraints and rely on volunteer crews to help clear the less complex trees, allowing their highly skilled crews to focus on the difficult ones.
Our volunteer group spent 10 days total doing log out, clearing over 100 trees blocking the trail (all with cross cuts) in 2011.  Thanks to the PCTA, we'll have several volunteers who will be chain saw certified for the upcoming maintenance season, in addition to our growing stable of cross cut certified sawyers.  We'll need volunteers, lots of them, to fill out the saw crews to clear the trail in a timely manner - 3 to 5 people per saw is ideal.  Only certified sawyers may operate the chain saws, but any crew member can be on the cross cuts under the sawyers supervision.  In addition to the actual cutting of the log, there is plenty of branches to cut and remove, rolling off the logs, and repairing the damaged tread once the tree is cleared.



C'est curieux, tout de même. Il y a quelques jours (une éternité?) à peine, c'était le printemps en Californie.  Je me voyais déjà franchir la Sierra Nevada en sifflotant, après avoir mis en vente piolet et crampons sur eBay. Et en deux jours, c'est le climat de l'Antarctique qui s'est abattu sur l'Ouest américain. Jack London et les loups sont de retour. Seattle est paralysé par la neige et la glace et on en est déjà arrivé à des messages plutôt alarmants du style de celui que vient de publier Barry Teschlog, qui coordonne les équipes d'entretien du PCT dans le Nord-Ouest:

"Eh bien, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on s'en est pris plein la tête ici récemment.
- Stampede Pass (20 miles au sud de la I-90 / Snoqualmie): il y a une semaine, le 13, le volume d'eau stocké dans la neige était de 37,8 cm. Il est actuellement de 53,3. L'épaisseur de neige se situe entre 1 m et 1 m 90.
- Stevens Pass (Highway 2 / Skykomish / Leavenworth / Les Dinsmore): mêmes dates, volume d'eau passé de 42,4 à 55,3. Épaisseur entre 1 m 40 et 2 m 20.
Plus problématique, de mon point de vue, sont le vent et la glace. Beaucoup d'arbres sont tombés dans les régions basses autour de Seattle. On peut seulement espérer que le même chose ne se produise pas sur le sentier. Cependant, si l'hiver dernier peut servir de repère, il va y avoir des TONNES d'arbres abattus ici, dans le Washington. Rappelez-vous que l'an dernier, le Services des Eaux et Forêts a dû utiliser des explosifs pour dégager des arbres abattus sur le sentier juste au nord de Snoqualmie Pass. Ils étaient trop dangereux à dégager avec des tronçonneuses ou des scies. Certains secteurs du sentier n'ont jamais été dégagés — ces arbres seront encore là pour nos équipes dans six mois, en plus de ce qui va tomber cet hiver. Les équipes du USFS sont trop peu nombreuses à cause de limitations budgétaires et comptent sur les bénévoles pour les aider à dégager les arbres les moins compliqués, ce qui permet aux équipes les plus qualifiées de se concentrer sur les plus difficiles.
En 2011, notre groupe de bénévoles a passé dix jours au total à débiter du bois, dégageant une centaine d'arbres qui bloquaient le sentier (le tout à la scie). Grâce au PCTA, nous allons avoir plusieurs bénévoles qui seront qualifiés pour le tronçonnage pour la saison d'entretien à venir, en supplément de notre groupe croissant de scieurs certifiés. Nous aurons à terme besoin de bénévoles, en grand nombre, pour les équipes de scieurs — 3 à 5 personnes par scie est l'idéal. Seuls les scieurs certifiés peuvent utiliser les tronçonneuses, mais n'importe qui peut faire partie des équipes de sciage sous leur surveillance. En plus du débit des troncs, il y a beaucoup de branches à couper et à retirer, de billes à faire rouler, et de réparation sur le sentier une fois que l'arbre a été dégagé."

Photos du Seattle Times:



Le post-scriptum qui a à voir:
On peut même y ajouter cette "dernière minute" en provenance du Lac Tahoe (soupir!) :

"As of 1115hrs this morning, it is still snowing hard, I can't see the mountains around the lake from the office window, there is about 6" of snow out on where the front lawn used to be last night, and it was Pouring Rain hard all evening and late into the night last night until about 0500 this morning when it turned to snow (finally).
We are expecting a break late today, followed by "round three" starting Sunday into Monday. 
It's about time and everyone is excited!"

"À 11h 15 ce matin, il neige toujours très fort, je ne vois pas les montagnes autour du lac depuis la fenêtre du bureau, il y a environ 15 centimètres de neige là où se trouvait une pelouse la nuit dernière. Il a violemment plu toute la soirée jusqu'à tard dans la nuit, et à 5h ce matin, c'est devenu de la neige (enfin).
Nous attendons une accalmie aujourd'hui, suivie par le 3e round entre dimanche et lundi.
Il était temps, tout le monde est excité."

Prévisions météo du 18 janvier 2012