mercredi 29 février 2012

Funnybone! PCT 2006


"I have spread my dreams under your feet; tread softly because you tread on my dreams."
William Butler Yeats

"J'ai déroulé mes rêves sous vos pas; marchez délicatement parce que vous marchez sur mes rêves".



J'ai bien aimé le journal qu'a rédigé Funnybone! (oui, c'est son trail name, avec le point d'exclamation...) pour son deuxième parcours du PCT, en 2006. Un intarissable bavard plein d'humour. Et Funnybone! avait aussi décidé de partir bien avant les autres, avant le Troupeau (The Herd). Dans ce passage, il expliquait pourquoi. Je dois dire que la lecture de ce qui suit, il y a plusieurs mois, a dû contribuer à ma propre décision de partir très tôt:



REASONS for an EARLY DEPARTURE
DISCLAIMER: The following is directed toward future PCT hikers and is a bit negative. I apologize in advance!
Approximately 300-400 backpackers attempt to hike the entire PCT each year. Most these souls start sometime around the last weekend in April, near when the Annual Day Zero Pacific Crest Trail Kick Off kicks off. The ADZPCTKO is a fun-filled gathering whose primary purposes are to send the current crop of hikers on their respective way(s) and to reunite PCT enthusiasts. The vox populi is that it is an event not to be missed.
But the decision to start a month earlier than the masses is an easy one for this dissident: I seek more of a wilderness experience than a moving block party. Desert Solitaire rather than Desert: Follow them There. While I expect to face more adversity by the earlier departure, both in the form of colder conditions and some stints of isolation, I doubt I'll be caught up in the mode of trying to fit in, or not trying to fit in. I imagine I'll also see more wildlife and meet more of myself en route...not that the latter is necessarily a good thing.
In 2002, I found that there was a surprising amount of competitiveness among thru-hikers in the early going. And almost all of it stemmed from hikers who had been to the Kick-Off, which had taken place a few days after my departure from the border. Hiking is not supposed to be a competitive sport, at least not outwardly, but I witnessed more than I had ever imagined I would. The inquiry "When did you start?" was often asked during the first month or two. And while it's a relatively innocent question, it almost always has hidden undertones. Farther up the trail, as these bloodthirsty hikers spread out, then dropped out, the same question was nearly nonexistent. And anyway, if hiking the PCT was truly a race, methinks the winner would be the one out here the longest.
Perhaps most surprisingly to me at the time was how certain cliques had formed because of this clumping that the Kick-Off helps to create. Prior to reaching Kennedy Meadows, I had dropped off the pace of those "around" me. By the time I staggered into Kennedy, I didn't recognize a single face and was treated as an outsider. This was genuinely odd, since we were all outsiders! Groups of hikers sat around in circles and kept their distance from the others. Not a single person walked up and introduced themselves and shunned me when I attempted to do the same, and I soon found myself longing to be long gone. It was an unusual circumstance and one I wouldn't see again on the trail, thankfully, but it said a lot about human interaction. In my mind, when 300 or more thru-hiking hopefuls start a long trail at the same time it detracts from the experience I'm after.


"RAISONS POUR UN DÉPART PRÉCOCE
AVERTISSEMENT: Ce qui suit est adressé aux futurs thru-hikers, et est un peu négatif. Je m'en excuse à l'avance!
Environ 300 à 400 randonneurs tentent de parcourir la totalité du PCT chaque année. La plupart d'entre eux démarrent aux alentours du dernier week-end d'avril, à proximité du "Annual Day Zero Pacific Crest Trail Kick Off". Le ADZPCTKO est un agréable rassemblement dont le but principal est de mettre la toute dernière promotion de randonneurs sur son chemin et de rassembler les enthousiastes du PCT. La vox populi affirme que c'est un événement à ne pas manquer.
Mais la décision de partir un mois plus tôt que la masse est aisée pour le dissident que je suis: je recherche davantage l'expérience de la nature sauvage qu'une fête de quartier ambulante. Solitaire du Désert plutôt que Suivez-les dans le Désert. Bien que je m'attende à affronter davantage d'adversité du fait de mon départ précoce, des conditions plus froides et des périodes de solitude, je n'aurai au moins pas à m'interroger sur la manière de m'intégrer ou de ne pas m'intégrer. J'imagine également que je verrai davantage d'animaux et que je pourrai plus facilement aller à la rencontre de moi-même en chemin... même si ce n'est pas forcément une bonne chose.
En 2002, j'ai découvert qu'il y avait une dose surprenante de compétition entre thru-hikers au début. Et presque tout venait de randonneurs qui étaient allés au Kick-Off, qui avait eu lieu quelques jours après mon départ de la frontière. La randonnée n'est pas censée être un sport de compétition, du moins pas de manière visible, mais j'en ai vu plus que je ne l'aurais imaginé. La question "Quand as-tu démarré?" était souvent posée au cours des deux premiers mois. Et bien que ce soit une question relativement innocente, elle comporte presque toujours des sous-entendus. Plus haut sur le sentier, au fur et à mesure de la dispersion de ces randonneurs assoiffés de sang, puis de leur abandon, cette même question avait disparu. Et de toute façon, me semble-t-il, si parcourir le PCT était véritablement une course, le vainqueur serait celui qui tient le coup le plus longtemps.
Peut-être encore plus surprenante fut la manière dont des cliques se formaient, en raison des regroupements que le Kick-Off favorise. Avant d'atteindre Kennedy Meadows, j'avais été lâché par ceux avec qui je marchais. Lorsque je suis arrivé en titubant à Kennedy, je ne reconnaissais plus personne, et j'étais traité comme un étranger. C'était tout à fait curieux, dans la mesure où nous étions tous des étrangers! Des groupes de randonneurs s'asseyaient en cercle et se tenaient à l'écart des autres. Aucun d'entre d'eux ne s'est approché ou présenté, et ils m'ignoraient quand j'ai essayé de le faire. Très vite, il m'a tardé de repartir. C'étaient des circonstances étranges que, Dieu merci, je ne rencontrerais plus sur le chemin, mais ça en disait long sur les interactions humaines. À mon avis, lorsque 300, ou plus, aspirants thru-hikers entament un long parcours en même temps, cela dégrade l'expérience que je recherche."



It's funny, because long-distance hikers are willing to walk FOREVER (ergo, the long-distance part). They will traverse deserts, lava beds and high mountains; they will ford waist-deep creeks and starve themselves for days on end; they will deal with blisters the size of cantaloupes and they will even co-exist with the dreaded Sierra mosquito; all of this with little more than the passing complaint. But when it comes to leaving for a thru-hike earlier than what is deemed "normal", they almost all respond with a pleasant, "No thank you."
They say it's too early! They say you'll reach the high-country too soon! They say it's too cold! They say it's too dangerous!

"C'est amusant, parce que les randonneurs longue distance sont prêts à marcher SANS FIN. Ils traversent des déserts, des champs de lave et de hautes montagnes; ils traversent des torrents avec de l'eau jusqu'à la taille et restent affamés pendant des jours et des jours; ils supportent des ampoules de la taille d'un melon et ils réussissent même à cohabiter avec le redoutable moustique de la Sierra; et tout ça sans rien de plus qu'une légère plainte occasionnelle. Mais quand il s'agit de partir plus tôt que ce qui est considéré comme "normal", ils réagissent presque tous avec un agréable "Non merci!".
Ils disent que c'est trop tôt! Ils disent qu'on arrivera en haute montagne trop vite! Ils disent qu'il fera trop froid! Ils disent que c'est trop dangereux!"



Et plus loin, il donnait une philosophie de son parcours dont je me sens aussi plutôt proche:


There has been much talk of record-breaking performances in the thru-hiking world as of late: the Triple Crown in a single year by an English lad named Squeaky; David Horton's multi-person production of a pack-less run along the PCT; Scott Williamson's Yo-Yo of the PCT; and my very own attempt for the PCT's most nonchalant walk.
Yes, it's true. I plan to walk in record-breaking fashion by taking my time and introducing myself to every flower, every rock outcrop, every person and every scenic view I cross paths with along the way. In fact, I shall take more than my time; I'll take a periodic pause and pay tribute to those poor souls reading my journal entries (like this one) under artificial lighting at work. I shall crush all opponents and naysayers by stopping to look at my guidebook when the time is called for and even when it is not. I shall study the constellations in great detail during cloudless evenings and possibly even during cloudless days. I will stop when my feet hurt and I will offer what help I can to assist those in need, and even those NOT in need. I will be the champion of mediocrity! When side trips are in order, I will side with them. When side orders demand a trip, I will eat them. In a nutshell, it's this nut's intent to become the BEST NONCHALANT HIKER OF ALL TIME. Wish me luck and go pour yourself a cup of coffee while your boss is away.
In all truth, the whole concept of speed records on trails seems rather oxymoronic, if not moronic. I mean, why the urgency to end fun? Oh, well...to each his own, I guess.

"On a beaucoup parlé de performances records dans le monde du thru-hiking ces derniers temps. La Triple Couronne en une seule année par un Anglais du nom de Squeaky; le parcours en courant sans sac, et avec assistance, de David Horton; le Yo-Yo de Scott Williamson sur le PCT; et ma propre tentative de parcours le plus nonchalant du PCT.
Oui, c'est exact. J'ai l'intention de marcher en mode record, en prenant mon temps et en me présentant à chaque fleur, chaque éperon rocheux, chaque personne et chaque panorama que je rencontrerai en chemin. En fait, je vais prendre plus que mon temps; je ferai des pauses périodiques et rendrai hommage à ces malheureux qui lisent mon journal à la lumière d'une lampe au travail. J'écraserai tous mes adversaires et les pisse-vinaigre en m'arrêtant pour jeter un coup d'œil au guide chaque fois que nécessaire et même quand ce ne le sera pas. J'étudierai les constellations en détail les soirs sans nuages et peut-être même les jours sans nuages. Je m'arrêterai quand j'aurai mal aux pieds et je m'efforcerai d'apporter toute l'aide nécessaire à ceux qui en ont besoin, et même à ceux qui n'en ont pas besoin. Je serai le champion de la médiocrité! Lorsque des balades secondaires seront à l'ordre du jour, je les seconderai. Et si un bon plat exige un détour, je le ferai. En bref, c'est le projet de ce taré de devenir le MEILLEUR RANDONNEUR NONCHALANT DE TOUS LES TEMPS. Souhaitez-moi bonne chance et versez-vous un café pendant que le patron n'est pas là.
À la vérité, le concept de record de vitesse sur des sentiers me paraît un peu contradictoire, sinon un peu con. Ce que je veux dire, c'est... L'intérêt de mettre un terme rapide au plaisir? Bof, chacun voit midi à sa porte, j'imagine."

Funnybone! au Monument 78 en novembre 2006, après 7 mois de marche.

mardi 28 février 2012

Et vous pensiez que la Sierra serait facile cette année??



"Qui sème le vent récolte la tempête".
C'est ben vrai, ça...


Ne jamais vendre la peau de l'ours, ni celle du puma... Comme je l'ai déjà expliqué, une très violente tempête a brutalement dévasté certaines régions de la Sierra Nevada, dans le secteur de Red's Meadow où Charlie m'avait expliqué ce qu'était le PCT. Red's Meadow, c'est mon Mont Sinaï perso, là où Charlie Jones, avec sa barbe blanche, m'a remis les Tables de la Loi en 1996.
Or, il faut bien comprendre que depuis le p'tit coup de vent du 30 novembre dernier, peu de monde y est passé, puisque c'est l'hiver. On découvre petit à petit l'étendue des dégâts. Et il semblerait, à en croire les rapports, et cet article, qu'ils soient considérables, et problématiques pour les thru-hikers.
Je vous traduis cet extrait d'un article intitulé: Operation Blowdown, publié dans un journal de la partie orientale de la Sierra. Comme me le disait Stéphane après leur thru-hike, "Le PCT, il faut vraiment être prêt à tout affronter..."




There are, he said, hundreds of trees in 10-foot-high piles. Everything in a SW aspect was hit, and the patterning seems to fall within the 7,500 feet to 9,000 feet timberline. Farley said the wind took out a lot of “sailors,” which are often the biggest and oldest trees that have large canopies, those resembling “sails.”
Not unlike tornado damage, the event’s randomness is both perplexing and yet awesome in the level of devastation. “There are at least 2,000 to 3,000 trees down that we know of,” Morse related. “The volunteers stopped counting after 800 trees and had only gone 3 miles.”
The Mammoth Lakes Basin only had about 100 trees downed. “We used to think of that as a lot,” Farley said. Still unknown are what happened in the Fish Creek drainage and Duck Pass areas.
In the Reds Meadow valley hundreds of trees are down in campgrounds, picnic areas, trailheads, and access trails. Extensive clean-up work is needed to remove downed trees and to repair the roads, trails, utility lines, restroom buildings, picnic tables, and food storage lockers damaged by fallen trees. “This is uncharted territory to deal with damage of this magnitude,” Deanna Dulen, Superintendent at Devils Postpile National Monument, noted. “You have to see it to believe it,” Morse remarked. “Even when you see it, it’s still hard to get your head around it,” Farley added. “We’ve never seen anything like it in recent history.” Records, Farley indicated, point to a similar event that occurred approximately 150 years ago.
In terms of trails status, Morse said the 9 trailheads in Reds Meadow valley all have debris. The PCT has been deemed “impassable,” with lots of climbing required. One hiker who emerged from the trail not long after the event said it took his group about 25 minutes to go a half-mile in some parts. Officials are working with the PCT Association on alternate routes. The official kickoff of the PCT hiking season is April 30, but most hikers don’t arrive until late June.

"Il y a, dit-il, des centaines d'arbres empilés sur trois mètres de haut. Tout a été atteint, sur une orientation sud-ouest, et il semble y avoir un schéma limité à la zone 2500 / 3000 mètres. Farley a déclaré que le vent a arraché beaucoup de "navigateurs", qui sont souvent les arbres les plus vieux et les plus grands, avec leur énorme système de branches qui ressemblent à des voiles.
De manière identique aux tornades, le caractère hasardeux de cet événement est à la fois déroutant et effrayant en termes de dévastation. "Il y a au moins 2000 à 3000 arbres dont nous savons qu'ils sont tombés", raconte Morse. "Les bénévoles ont cessé de compter après 800 et ils n'avaient progressé que de trois miles".
Le bassin de Mammoth n'a perdu qu'environ une centaine d'arbres. "On pensait que c'était beaucoup", dit Farley. On ne savait pas encore ce qui s'était produit dans les régions de Fish Creek et Duck Pass.
Dans la vallée de Red's Meadow, des centaines d'arbres sont tombés sur les campings, les zones de pique-nique, les départs de sentiers. Un travail considérable de déblaiement est nécessaire pour enlever les arbres abattus et réparer les routes, les sentiers, les lignes électriques, des bâtiments de toilettes, les tables de pique-nique, les coffres de stockage de nourriture endommagés par les arbres tombés. "On est en territoire inconnu quand il s'agit de gérer des dégâts de cette ampleur", note Deanna Dulen, responsable de Devil's Postpile National Monument. "Il faut le voir pour le croire", remarque Morse. "On n'a jamais rien vu de pareil au cours de l'histoire récente". Les archives, indique Farley, indiquent qu'un événement similaire s'est produit il y a environ 150 ans.
En termes de randonnée, Morse dit que les neuf sentiers de la vallée de Red's Meadow sont tous encombrés de débris. On considère que le PCT est "infranchissable", avec beaucoup de passages à escalader. Un hiker est arrivé du sentier peu après l'événement et a déclaré qu'il avait fallu à son groupe 25 minutes pour faire 800 mètres par endroits. Les officiels travaillent avec l'Association du Pacific Crest Trail pour déterminer des déviations. Le début officiel de la saison de randonnée du Pacific Crest Trail est le 30 avril, mais la plupart des randonneurs n'arrivent pas avant la fin juin."

lundi 27 février 2012

Neige ou palmiers


"It's spring fever.  That is what the name of it is.  And when you've got it, you want - oh, you don't quite know what it is you do want, but it just fairly makes your heart ache, you want it so! "
Mark Twain

"C'est la fièvre du printemps. C'est comme ça que ça s'appelle. Et quand vous l'avez, vous avez envie de — oh, vous ne savez pas exactement ce dont vous avez envie, mais ça vous torture vraiment, vous en avez tellement envie!"



Un p'tit point météo. Malgré les sonneries de trompette des stations de ski de Tahoe, il s'avère, jour après jour, que cet hiver est très peu enneigé en Californie. Mon copain Phil vient d'ailleurs de m'écrire pour dire que je n'aurais jamais pu choisir une meilleure année pour le PCT. Ce n'est pas la sècheresse du siècle, mais bon, on arrive au mois de mars, on peut commencer à faire une sorte de bilan.
Vous connaissez les graphiques, un pour le nord de la Californie, l'autre pour le centre, le dernier pour le sud. Il s'agit bien ici de la quantité d'eau stockée dans la neige, ce qui donne à vrai dire une bonne idée de l'enneigement, parce que la neige, c'est généralement de l'eau gelée. C'est néanmoins à peine un peu plus compliqué, parce que ces courbes représentent le... pourcentage d'eau rapporté à la moyenne mesurée pour un 1er avril. En clair, si une courbe indique 150%, cela veut dire qu'à cette date précise, la quantité d'eau stockée dans la neige est 150% de la moyenne généralement mesurée le 1er avril. Voilà pourquoi vous avez cette zone bleu pâle qui indique la moyenne: en avril, elle est fort logiquement de 100%. Ces graphiques ne répondent en réalité pas aux préoccupations des hikers concernant la neige; ils sont californiens, ils répondent à la préoccupation essentielle: aurons-nous de l'eau cet été? Bref...
Le trait bleu du haut, c'est la référence maximale, l'hiver 1982-83. Le trait brun du bas, c'est la référence minimale, 1976-77 (année de sècheresse en France aussi, d'ailleurs, celle de l'impôt sècheresse). En vert, l'an dernier. Le trait bleu du bas, en gras, c'est la situation actuelle. On est donc à ce jour à 25% de l'enneigement moyen d'avril, alors qu'on devrait être à 90%, en gros. Et cela reste d'un grande stabilité, malgré le hoquet neigeux de la fin janvier. On est très, très proche de la référence minimale.
Pour les Californiens, ces graphiques ont une signification, et une seule: si vous comptez sur les chutes de neige de l'hiver pour boire cet été, vous êtes très mal barrés. Va falloir stocker de la Budweiser et arrêter d'arroser les pelouses.


Tout ça est a priori bel et bon pour mes petits copains thru-hikers et moi-même. Si cette tendance prononcée se confirme, ce sont ceux qui ont prévu de partir aux dates habituelles (fin avril / début mai), aussi connus sous le nom de The Herd (le troupeau), qui pourraient se heurter à quelques difficultés d'approvisionnement en eau dans le désert.
Bon, M'sieur Nikon, soyez sympa, envoyez mon appareil photo à temps, que je puisse être à Campo le 5 avril, comme je le souhaiterais. Évidemment si ça prend du retard, je serai obligé de rester à Long Beach et d'aller voir le Grand Prix IndyCar, qui aura lieu le 15 avril chez mon ami Rob. J'en serais ravi, mais ce n'est quand même pas pour ça que je pars à Long Beach, du moins cette fois... Enfin, bon, quand même, un Grand Prix IndyCar en ville, ma foi... J'ai déjà fait des trucs cinglés pour aller voir des Grand Prix de Formule 1, dont un qui a d'ailleurs failli me coûter la vie, alors...





dimanche 26 février 2012

Un paysage américain




Désert du Mojave
(PCT en vert, en haut à gauche)
(Google Earth)


En voyant ce paysage américain du désert, sur Google Earth, je me suis dit que je pourrais en profiter pour déballer ma science et vous expliquer très sommairement pourquoi on peut contempler des paysages aussi surréalistes quand on survole les États-Unis. Cette grille géométrique orientée nord-sud (les géographes appellent ça un carroyage) est en effet caractéristique de l'Amérique du Nord. Ou comment la politique peut se lire dans la nature... Ou l'histoire à travers la géographie.

Dès 1784, à une époque où les États-Unis indépendants depuis un an se trouvaient encore à l'est du Mississippi et où le continent nord-américain ne leur appartenait pas, les Américains, sous l'impulsion de Thomas Jefferson, décident néanmoins de cartographier l'Amérique d'une manière curieuse. Bienvenue chez les cinglés. Ils envoient des géomètres mesurer, à pied, l'intégralité du continent avec une chaîne d'arpenteur (plus fort que le PCT!) et le diviser en carrés de 10 kilomètres de côté, orientés nord-sud, qu'ils nomment "townships". Ces carrés de 10km sont affectés d'une référence orthonormée, et sont eux mêmes sous-divisés en 36 parcelles numérotées de... 1 à 36. Le but politique est de permettre la colonisation d'un continent qu'ils ne possèdent pas, et d'y favoriser le développement d'une république de petits agriculteurs vertueux. En bref, de le vendre. La propriété est en effet la base de l'idéologie américaine. En Europe, la propriété était l'apanage d'une minorité aristocratique. L'Amérique sera une démocratie; donc, tous les Américains pourront devenir propriétaires d'un bout d'Amérique. Ah? Elle ne nous appartient pas? Qu'à cela ne tienne, on va la piquer aux autres!

On part d'un méridien d'origine, situé en Ohio, et d'une "ligne de base," un parallèle de référence, et en avant. Ainsi, le township en orange sur le schéma ci-dessous (T2S / R3W) est le deuxième carré de 10 x 10 km, situé au sud de la ligne de base. "T" signifie "Township": Township 2 vers le Sud (T2S).
Ce même carré est également le troisième à l'ouest du méridien de référence. "R" signifie "Range". R3W = Range n° 3 vers l'ouest (W pour West).
Avec ces coordonnées, on a la localisation géographique exacte du terrain en question. Comme ça représente quand même un carré de 100 km2, on l'a subdivisé en 36 sections, dont la numérotation suit toujours le même cheminement. Les sections sont elles-mêmes subdivisées en demi, quarts, huitièmes de sections. Vous imaginez le turbin d'enfer? Si vous vous demandiez pourquoi les villes américaines ont un plan géométrique, eh bien, maintenant, vous savez...
On l'occurrence, si je suis intéressé par le terrain du deuxième schéma, je sais qu'il s'agit de la Section 14 de T2S / R3W. Et je sais dès lors exactement où il se trouve.

Un exercice pour vérifier si vous écoutez bien les explications:
Donnez le nom du premier carré situé en-haut à gauche du schéma ci-dessous (réponse au bas de la page).



Alors, le plus incroyable est qu'en plusieurs décennies, des géomètres ont arpenté (au propre et au figuré) tout le continent nord-américain et identifié et cartographié des milliers de townships. Cette trame a servi au développement des États-Unis à un point que vous n'imaginez même pas, et que ce n'est pas ici le lieu de développer. Si vous roulez dans l'Ouest américain en ligne droite sur des kilomètres et que, tout d'un coup, la route fait deux angles à 90°, un coup à gauche, un coup à droite, avant de continuer en ligne droite, sachez que vous pouvez remercier les géomètres du XIXe siècle. Le réseau routier initial (avant autoroutes) suivait pour l'essentiel les limites entre townships. Forcément, puisque ces townships étaient devenus des propriétés privées, dans le paradis de la propriété privée. Et à la fin du XVIIIe siècle, ils n'avaient pas pensé aux voitures! Les routes suivaient donc le quadrillage. Or, sur des distances aussi énormes, des lignes orientées nord-sud ne pouvaient pas toutes... rejoindre le Pôle Nord! Afin de respecter l'orientation des méridiens, on a donc été obligé de faire des décrochements réguliers, afin de garder la direction des pôles.

Ce n'est pas une grille de loto, c'est un plan cadastral américain.

Palm Springs, Californie.
(Google Earth)

Et cette grille géométrique est bien entendu toujours visible. Elle marque de son empreinte colonisatrice tout le continent, y compris au fin fond du désert du Mojave. Les ronds, quant à eux, sont le résultat de l'irrigation, quand des systèmes d'arrosage tournent en rond dans un endroit particulièrement aride.

Bienvenue en ville.
(Google Earth)
Agriculture à l'Américaine.
(Google Earth)
Google Earth... en Californie.
(au sud de Bakersfield)



Réponse exercice: T3N / R4W

samedi 25 février 2012

Google Earth


"Le vieil éléphant sait où trouver de l'eau".
Proverbe africain


Je ne vous apprendrai rien en disant que Google Earth est un outil formidable. Vous pouvez, si cela vous intéresse, charger les points GPS relevés par Halfmile et ainsi suivre le PCT, en relief, depuis votre fauteuil. Ce sera moins intéressant, mais moins fatigant.
Il faut aller sur le site de Halfmile, puis cliquer sur "Google Earth file". Le téléchargement débute automatiquement. Vous obtenez un fichier kmz. Dans Google Earth, aller dans "Fichier", puis "ouvrir..." et choisissez votre fichier kmz. Tout le parcours du PCT et les points GPS s'ouvrent aussitôt sur la carte. C'est magique. Mais bon, je suis peut-être un mauvais exemple: je pourrais passer des heures à regarder des cartes. Et puis celle-là, je ne sais pas pourquoi, mais elle m'intéresse particulièrement...

Je vous ai juste choisi une image, une seule, qui laisse rêveur. Celle d'un minuscule passage du Pacific Crest Trail dans la traversée du désert du Mojave... Comme d'hab, vous pouvez cliquer sur l'image pour voir les détails, chercher les endroits ombragés pour la sieste, repérer la buvette la plus proche, euh...


vendredi 24 février 2012

Bernard Ollivier


"La volonté parle encore quand la nature se tait".
Jean-Jacques Rousseau




"Quand on ne veut qu'arriver
on peut courir en chaise de poste.
Mais quand on veut voyager,
il faut aller à pied.
Jean-Jacques Rousseau, Émile


À l'heure où je pose un point final au récit de ma "longue marche" et où j'ouvre le dossier de quelques projets nouveaux, je voudrais faire un aveu: depuis 1999, ce voyage de plus de onze mille kilomètres je ne l'ai pas accompli tout à fait seul.
Il y a quatre ans, j'entamais une aventure folle au sens propre du terme. Seul et, pensais-je, vieux. Retraité, j'éprouvais ce que doit ressentir tout homme ou femme dont l'existence sociale bascule d'un coup. Hier, j'étais un journaliste aimant son métier — même si celui-ci prenait une pente qui me faisait douter de plus en plus du bien fondé de son exercice —, dans un monde de plus en plus inquiet et haletant. J'avais une place, un nom, une raison d'être.
Et puis tout soudain je devenais un "pensionné", autant dire un quasi assisté, sans gouvernail, sans destination. Sans amour aussi, puisque celle que j'aimais n'était plus.
Je me suis lancé sur la route de la Soie comme on lance une bouteille à la mer. Pour exister. On me demandait ce que j'allais chercher si loin. Pouvais-je répondre "une raison de survivre"? Il n'était pas, alors, dans mon esprit, question de réussite. Mes chances de parvenir au but étaient, pensais-je, à peu près nulles. Comment aurais-je pu être assez outrecuidant pour prétendre, à mon âge, seul, à pied, sur une distance aussi effrayante, aller au bout d'une équipée que personne, à ma connaissance, n'avait jamais tentée ou réussie? J'étais comme un nageur asphyxié, au fond de l'eau, qui donne un coup de rein pour revenir à la surface. De l'air. Ce jour-là, de ce côté-ci du Bosphore, même si j'ai imaginé que, peut-être, je pourrais y laisser la vie, je n'étais pas prêt à mourir. Je veux dire, pas résigné à n'être plus rien. Il fallait que j'aille. Car tant qu'il vit, un homme doit aller."
[…]
Bernard OLLIVIER, Longue marche, volume III, Le Vent des steppes, épilogue. Éditions Phébus, 2003.



jeudi 23 février 2012

I'm In The Mood


"Être raisonnable en toutes circonstances? Il faudrait être fou..."
Raymond Devos



À un mois du départ vers Los Angeles, dans quel état d'esprit, de quelle humeur suis-je? En-dehors du fait que j'ai pour l'heure attrapé la crève et que je me verrais mal marcher pendant des heures avec ma bronchite et mes quintes de toux de vieillard cacochyme, je suis dans une zone de flou assez curieuse. Dans les limbes, à un détail près, j'espère. Les limbes étaient aux portes de l'enfer. J'espère pour ma part que j'approche du paradis. Bon, OK, un paradis qui sera de temps en temps un peu infernal. Je suis naturellement extrêmement heureux de cette échéance qui se rapproche, et très impatient, mais elle semble encore un peu irréelle. Non, complètement, totalement irréelle. Il vaut d'ailleurs peut-être mieux rester dans cet état semi-comateux de conscience incertaine. Je contemplais hier les Pyrénées enneigées de ma terrasse (oui, je suis un veinard, je vous l'ai déjà dit) et j'ai pris conscience, de manière vertigineuse, que ce que j'allais entreprendre équivalait à la traversée intégrale des Pyrénées, de l'Atlantique à la Méditerranée. Mais six fois de suite... C'est tellement démesuré que ça n'a plus de sens, comme les chiffres de la dette grecque. Ou la nôtre. Comme les dimensions de notre galaxie. Mais, je l'ai déjà expliqué, c'est très exactement ÇA qui m'intéresse et m'attire comme un aimant: la démesure d'un projet. J'en ai déjà plusieurs dans ma musette.

J'essaie de me dire que dans un mois et demi à peine, je serai dans le désert, mais ça reste virtuel. Évidemment, beaucoup d'interrogations se bousculent et je paie peut-être le fait d'être, officiellement, prêt à partir. La logistique devrait être à peu près au point, ce qui veut dire en réalité que je ne vois rien d'autre à préparer avant le départ. Le matériel est empilé sur le sol de la chambre. Ce qui va aller dans le sac, ce qui va aller dans la bounce box que je ferai suivre de ville en ville. Mais en même temps, je me demande ce que j'ai oublié, quelles sont les erreurs que j'ai commises. Je commence déjà à oublier le planning que j'ai préparé, de sorte que je me dis que j'ai dû oublier des choses essentielles.
D'un autre côté, c'est ainsi que je voudrais aborder ce parcours: raisonnablement organisé, mais avec la souplesse et la capacité de m'adapter aux circonstances. Je ne peux même pas imaginer préparer, comme le font nombre de hikers, tous mes repas à l'avance, déshydrater des tonnes de plats cuisinés, et tout organiser de manière militaire. Ce n'est pas comme ça, du tout, que je veux randonner. Ma philosophie serait plutôt du genre "carpe diem", on verra bien sur place.

Le point crucial, mais celui-là ne pourra être étudié qu'une fois arrivé aux États-Unis, avec les toutes dernières informations, est celui de l'approvisionnement en eau. C'est à vrai dire le seul domaine dans lequel il vaut mieux ne pas improviser. Il n'y a pas que le désert qui pose problème. En réalité, le manque d'eau est une constante sur le Pacific Crest Trail, tout le long du parcours, sur 4300 kilomètres, à l'exception des 300 km de la Sierra Nevada. Je sais que la priorité sera quotidiennement de savoir où se trouve le prochain point d'eau à peu près fiable. Toujours. Pour ce faire, on a accès aux Water Reports, collationnés par un hiker du nom de AsABat. Il met régulièrement à jour sur son site les informations qui lui sont transmises par les randonneurs (hier, telle source était à sec, ou il y avait encore un filet d'eau, ou elle est complètement croupie...). Son précieux site, une banque de données sur tous les points d'eau des 4300 km du parcours, a donc une validité extrêmement brève, parce que dans le désert, notamment, les informations de la semaine dernière ne sont probablement plus bonnes cette semaine. Il faudra que j'imprime les Water Reports à Los Angeles, et ensuite on se connecte régulièrement quand on a accès à internet, afin de vérifier la situation. C'est un mode de fonctionnement un peu étrange, parce que la question de l'eau a toujours été, en 40 ans de montagne, un non sujet pour moi. On trouvait de l'eau partout, point.
Sur le PCT, ce n'est pas DU TOUT le cas. Il s'agit donc là d'une source (pardon!) d'informations fondamentale, vitale, à prendre très sérieusement. C'est vaguement inquiétant, aussi.
La toute première étape au départ de Campo sera, de ce point de vue, un test intéressant. Pour des raisons que j'ai déjà évoquées (risques liés aux nombreux immigrants mexicains clandestins), il est recommandé de parcourir d'un trait les 32 km de désert jusqu'à Lake Morena. Sans eau. On préconise de porter 8 litres d'eau au départ. Je pense que je ne jouerai pas trop avec ça, d'autant que je bois généralement comme un trou. Il est arrivé récemment qu'une randonneuse déclenche sa balise au cours de cette première étape, parce qu'elle n'avait plus d'eau!! Vous imaginez la tête des sauveteurs à leur arrivée en hélicoptère? Oui, je vous ai appelés parce que ma gourde est vide... C'est ballot, hein?

Water Reports: exemple des premiers points d'eau.
À droite, on a (pas visible ici) la date de l'info, point crucial.


Sur le front de la photo, je n'entrerai pas dans des détails qui confirmeraient — si nécessaire — que je suis vraiment cinglé, mais j'ai délibérément créé une situation qui pourrait retarder mon départ de Campo. J'ai revendu mon boîtier et commandé un nouvel appareil qui, pour faire simple, n'existe pas encore. Je suis inscrit, à Los Angeles, pour faire simple, encore, sur une liste d'attente. Mais le suspense plane quant aux premières dates de livraison. Nikon a souffert de quelques sérieuses mésaventures depuis plusieurs mois, des petits désagréments genre tremblement de terre, tsunami, inondations en Thaïlande, usines détruites, et leurs capacités de production ont été gravement affectées. L'appareil que je convoite avec une concupiscence certaine est aussi attendu comme le Messie par une horde de photographes professionnels, et en particulier ceux qui seront à Londres pour les Jeux Olympiques pendant que je m'efforcerai de décrocher ma médaille d'or à moi. On peut soupçonner Nikon de vouloir leur accorder la priorité s'ils ne parviennent pas à produire suffisamment dans leur usine de Sendai, à quelques kilomètres à peine des régions côtières dévastées par le tsunami. Chouette, je vais avoir un appareil radio-actif qui luit dans le noir! La date des premières livraisons était officiellement le 17 février, mais elle a déjà été repoussée à la mi-mars. Je me ronge les ongles, en espérant que l'appareil sera disponible pour le 5 avril. Je suis 19e sur la liste d'attente chez le distributeur que Rob a choisi pour moi. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pourquoi diable ai-je toujours des idées à la con? Bon, je vais bientôt avoir du temps pour réfléchir à tout ça...




P.S. qui a à voir:
Le mot qui m'est immédiatement venu à l'esprit pour le titre de ce billet est celui de "mood", l'humeur. Je suis de bonne humeur, d'humeur à faire ceci ou cela, de quelle humeur suis-je? Ça fait un peu cuistre, sans doute, mais il arrive souvent que les mots me viennent plus facilement en Anglais qu'en Français, déformation professionnelle oblige. Or, "I'm in the mood" (je suis d'humeur, je me sens prêt à...) est aussi le titre d'un fabuleux morceau de John Lee Hooker dont je suis un fanatique inconditionnel, d'autant qu'il joue cette formidable version avec Bonnie Raitt. Que du bonheur! Vous avez décidément beaucoup de chance: vous lisiez des divagations sur un trek de cinglé et vous gagnez un grandiose moment de blues. Veinards, va!
I'm in the mood for some hiking...


I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood, I'm in the mood for love

I say night time is the right time, to be with the one you love
You know when night comes baby, you're so far away
I'm in the mood, Lord, Lord, I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, in the mood, O Lord, in the mood for love

Yes, my dad told me, to leave that man alone
But my dad didn't tell me, O Lord, that man was puttin' down
I'm in the mood, baby, in the mood for some of your love
I'm in the mood, I'm in the mood for love

mercredi 22 février 2012

Merci, Georgi!


"Pour voir loin, il faut y regarder de près".
Pierre Dac

 



Bon, si vous n'avez toujours pas compris ce qu'étaient les trail angels, préparez-vous à avoir une très sale note à l'interro de fin de trimestre. Je ramasserai les copies le 31 mars. Vous avez encore la possibilité de bûcher la question en (re)lisant les deux billets intitulés "Anges et magiciens" (novembre 2011). Georgi Heitman est un trail angel. Plus exactement, je devrais dire "était", parce qu'elle vient d'annoncer qu'elle prenait sa retraite de cette activité qui doit être particulièrement épuisante. Elle est pourtant essentielle sur le PCT. Et le message qu'elle vient d'envoyer au forum pct-l est remarquable, et touchant. Il revêt aussi un caractère un peu déprimant, quand on lit entre les lignes. Il nous offre l'autre son de cloche, nous permet d'entrevoir ce que l'on peut ressentir quand on se trouve face à ceux qui sentent très mauvais et que l'on accueille bénévolement chez soi. Ou face à ceux qui sont — très rarement, je l'espère — mal élevés. Son texte, en revanche, ne nous éclaire guère sur l'incroyable générosité, sur la bonté fondamentale nécessaires pour ouvrir ainsi sa porte et son cœur à des centaines d'affreux, barbus ou pas.
Je n'ai pas encore eu la chance de rencontrer ces tout à fait remarquables spécimens de l'espèce humaine, mais j'ai déjà envie, et besoin, de dire "MERCI!" à Georgi et aux autres d'exister. On a parfois besoin de se rassurer à propos de l'humanité. Georgi, Donna, Jeff, Andrea, Jerry, Bill, Molly, et les autres répondent déjà à cette nécessité première de pouvoir se dire qu'il peut y avoir de la bonté chez les hommes. Ça réchauffe le cœur. Qu'il puisse être néanmoins nécessaire de faire les délicates mises en garde, ou conseils, de Georgi n'en est que plus consternant. Son texte est long (?), mais il vaut la peine d'être lu.
La traduction est en-dessous du texte anglais.



The Hideaway (my home) took in our first hikers in 1999, we started
retiring from service last summer, this season we are completely closed,
but from experience I'd like to say, "Thank you all for so many incredibly
unforgettable years, for the many kindnesses you have bestowed and for
being part of the best 'summer' job I've ever had."
While on this personal note, I also say 'thank you' again, to the folks who
watched me drift into a nap one afternoon in 2005 and then tippytoed into
my kitchen and cleaned my refrigerator and freezer, to the folks who
replaced a sprinkler system line that had failed in 2010, to DTA and all
the others who helped us finish the tree house that so many hikers have
enjoyed over the years, to you who helped build our lovely outdoor cooking
platform, to those who've donated tents and other equipment/supplies so
appreciated by all our company, to the (still) unknown folks who left the
most wonderful three-burner campstove on our back deck in 2006 (or was it
07?), to GF and T for the freezer and GF's dad and friend for stocking it,
to countless numbers of hikers who've pulled tons of weeds, mowed lawns,
split and stacked firewood, helped us shop, cook and clean over the years.
'Thank you' to the many folks, some for several years in a row, who've
volunteered their vacation time to come help me cook, do laundry and
whatever has needed to be done to get our job done.
'Thank you' for being there when the call for kitchen or dish washing help,
laundry assistance goes out.  'Thank you' for picking up after others who
don't seem to be able to do it for themselves.  'Thank you' for taking your
shoes off before coming into my house, even if I leave my own on.  Our
neighbors thank you for lowering the noise level after hiker midnight.
I think we all try to limit the number of requests we make of you, beyond
cleaning up after yourselves, requests like 'no drugs, please fill out an
info card, allow us to take your photo, hide your nethers', but those we do
post or announce we take seriously.  'Thank you' for honoring them.
'Thank you' for helping us recycle and or reuse.
If your hosts have invited you into their private residence, 'thank you'
for keeping your feet off the coffee table, etc., for using coasters under
bottles, glasses or cans of liquid, for toting your own containers and/or
dishes to the kitchen or garbage, for vacating  their living rooms before
those hosts begin yawning in your face, for keeping your I-Pod (or
whatever) music at a level that allows conversations, radio or TV  around
you to be heard by others in the room.   All these suggestions are pretty
common courtesies, but too often forgotten in the excitement of interacting
in a 'civilized' world.  Having raised children, I would say that Jackass
is right, treating a trail angel's home surroundings better than you'd
treat your moms would be really good.
Over the whole trail, I think pretty much all angels are ever so grateful
for cash donations. In fact, I KNOW for a fact that most of us couldn't do
what we do without them...it's great to have weeds pulled, but even better
to be able to buy hiker food if cooking is something we do, to pay for the
gasoline it takes to drive our guests to and from trailheads, to shop for
their resupplies, etc, to pay for the extra water,  electricity, and/or
propane so hikers can wash both themselves and their laundry.  Some costs
are obvious to you all, but some are kind of hidden and not so obvious,
bills that show up in mailboxes that hikers never see and probably don't
even realize exist.  So 'thank you', folks, for donating to whatever
donation pot or box may be sitting around hoping for an infusion of cash.
Oh, and there are scads of small trail towns that have no ATM's and the
restaurants, shops, etc. in those little towns don't do 'cash-backs' on
credit cards, so hikers often come in with no cash and no means of
acquiring any.   Just something to keep in mind....
There's one other thing...and this may sound really weird, but 'thank you'
for leaving....  I can't imagine any of us sending a hiker who is either
injured (that includes bad, really bad blisters) or sick off to deal with
the trail ahead, but, we are NOT a vortex, trying to suck you in and keep
you.  We all have jobs, an angels job is to get you as clean and healthy
and as well prepared for the trail ahead as possible, yours is to hike!  Go
do that!  And when you've finished your hike even if it's a sadly premature
ending, you might let us know.  It gives us a sense of closure at the end
of our season, to know where you are and how you've done.
And then, I'm sorry to say, there's a word that has been becoming more and
more frequently heard on the trail, that word is 'entitlement'.  I'm
thinking it's sort of an strange word, I feel I'm entitled to draw my
Social Security...since age 16 when I got my first 'work permit' I've spent
my life paying in to the system.  I've paid ahead so SS can pay me back
now.  That's good.  Entitlement on the trail is another thing entirely.
It's neither paying ahead or paying back, it's a selfish attitude, almost
guaranteed to make a trail angel step back and wonder why he/she is still
doing what they do for hikers.  When it comes right down to it, there
really is no entitlement on the trail, beyond being treated like anyone
should be treated, with respect, until for whatever reason it's become
clear that you don't deserve it.  And feelings of entitlement are
recognized very quickly by other hikers...I've had folks come in and warn
me of some hikers behind them that don't behave well at trail angels homes
or in towns in general. And there IS a pipeline that runs from SoCal to the
last WA trail angel, such info gets passed on, and trail angels are
'entitled' to send unpleasant, demanding folks on their way.  Think
carefully before you decide that since you're walking 2650 miles the world
owes you anything but beyond maybe some respect for what you're trying to
do.  Again, as Jackass implied, if you have an attitude, we thank you for
keeping it and yourself on the trail, not some place where the folks you
encounter may change their attitude toward hikers in general...we love
doing what we do, for as long as we can do it, please don't ruin it for us
and for others.
Thank you....
FireFly, trail angel retired
P.S.  I've almost always felt honored that hikers have chosen to stop and
spend some of their valuable time with us...and I've tried to always thank
them for coming to The Hideaway.  While I've loved my job, I'm glad I'm
retiring while I still feel that way.  Thanks for the Memories....


The Hideaway (ma maison) a reçu nos premiers hikers en 1999, nous avons réduit notre activité l'été dernier, et cette saison nous serons complètement fermés. Mais à la lumière de mon expérience, je voudrais dire "Merci" pour tant d'années aussi incroyablement inoubliables, pour toutes les manifestations de gentillesse dont vous nous avez fait bénéficier, et pour avoir fait partie du meilleur boulot d'été que j'aie jamais eu.

En restant sur ce ton personnel, je voudrais aussi remercier ceux qui m'ont vu faire un somme un après-midi de 2005 et sont ensuite allés sur la pointe des pieds à la cuisine pour nettoyer le frigo et le congélateur, ceux qui ont remplacé un tuyau d'arrosage automatique qui était en panne en 2010, DTA et tous les autres qui nous ont aidé à achever la cabane dans un arbre dont tant de randonneurs ont profité au cours des années suivantes, ceux qui ont aidé à construire notre jolie terrasse pour le barbecue, ceux qui ont offert des tentes ou d'autres équipements tellement appréciés par nos hôtes, ceux (toujours inconnus) qui ont laissé un merveilleux réchaud à trois brûleurs sur la terrasse en 2006, GF et T pour le congélateur et le père et le copain de GF pour l'avoir rempli, les innombrables hikers qui ont arraché des tonnes de mauvaises herbes, tondu la pelouse, fendu et empilé le bois pour la cheminée, nous ont aidé à faire les courses, à cuisiner et à faire le ménage au fil des années. Merci à tous ceux — certains pendant plusieurs années d'affilée — qui ont consacré leur temps de vacances à venir nous aider à cuisiner, à faire la lessive ou tout ce qu'il y avait à faire pour que notre boulot soit fait.
Merci d'avoir répondu présent quand on demandait de l'aide pour la cuisine ou la vaisselle, ou pour aider à la lessive. Merci d'avoir ramassé ce que certains ne semblaient pas capables de ramasser eux-mêmes. Merci d'avoir ôté vos chaussures avant d'entrer dans la maison, même si je gardais les miennes. Nos voisins vous remercient d'avoir baissé le niveau sonore après le minuit des hikers (= 21h. n.d.t.).
Je pense que nous avons essayé de limiter le nombre de demandes que nous vous faisions, au-delà du fait de nettoyer après votre passage. Des exigences telles que "pas de drogue", "s'il vous plaît, remplissez une fiche de renseignements", "permettez-nous de vous prendre en photo", "ne vous baladez pas à poil", mais celles-là, nous les affichions et les prenions au sérieux. Merci de les avoir respectées. Merci de nous avoir aidés à recycler et récupérer.

Si vos hôtes vous ont invité chez eux, merci de ne pas avoir mis les pieds sur la table, d'avoir utilisé des sous-tasse pour les bouteilles, verres ou canettes, d'avoir rapporté vos emballages et vos assiettes à la cuisine ou à la poubelle, d'avoir quitté le salon avant que vos hôtes ne commencent à bailler devant vous, d'avoir maintenu votre iPod ou toute autre forme de musique à un niveau qui permette la conversation, ou la télé et la radio à un niveau qui permette aux autres dans la pièce de l'entendre. Toutes ces suggestions sont des actes de courtoisie banale, mais sont trop souvent oubliées dans l'excitation d'un retour dans le monde "civilisé". Ayant élevé des enfants, je peux vous dire que Jackass a raison, ce serait bien de traiter la maison des trail angels mieux que vous ne le feriez pour celle de votre mère.

Tout le long du parcours, je pense que quasiment tous les trail angels sont reconnaissants des dons d'argent qu'on leur laisse. En fait, je SAIS que la plupart d'entre nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons sans cela. C'est super de voir les mauvaises herbes arrachées, mais c'est encore mieux de pouvoir acheter à manger pour les randonneurs si on leur fait la cuisine, de payer le carburant pour aller les chercher et les ramener sur le sentier, pour aller faire leurs courses, etc., de pouvoir payer l'eau, l'électricité et le gaz supplémentaires pour que les hikers puissent se laver et faire leur lessive. Certaines dépenses sont évidentes pour tous, mais il y a des coûts cachés qui le sont moins, des factures qui arrivent au courrier et que les randonneurs ne voient jamais et n'imaginent peut-être même pas. Donc, "merci", les gars, de donner dans la cagnotte qui attend qu'on la remplisse. Oh, et il y a des tas de petites villes qui n'ont même pas de billetteries automatiques et les restaurants ou boutiques ne rendent pas d'argent liquide sur une carte de crédit, alors des randonneurs arrivent souvent sans argent ni possibilité d'en obtenir. Juste une idée à garder en tête...

Encore une chose. Ça peut paraître bizarre, mais merci d'être repartis. Je ne peux pas imaginer l'un d'entre nous renvoyer sur le sentier un randonneur blessé (y compris avec de très mauvaises ampoules) ou malade, mais nous ne sommes PAS un vortex qui essaie de vous attirer et de vous garder. Nous avons tous des boulots, le rôle d'un trail angel est de vous permettre d'être propre, en bonne santé, et aussi prêt que possible pour le sentier qui vous attend; le vôtre est de marcher! Faites-le! Et quand vous aurez terminé, même si la fin a été triste et prématurée, vous pourriez nous le faire savoir. Savoir où vous êtes et ce que vous avez fait nous donne un sentiment d'achèvement de la saison.

Enfin, je suis désolée de le dire, il y a un mot qui devient de plus en plus fréquent sur le parcours, c'est le mot de "droit". C'est un mot étrange. Je pense que j'ai le "droit" de toucher ma retraite de la Sécurité Sociale. Depuis l'âge de seize ans, depuis mon premier emploi, j'ai passé ma vie à payer pour le système. J'ai versé à l'avance pour que la SS me le rende. Normal. Avoir des droits sur le sentier est une question tout à fait différente. Il ne s'agit ni de payer à l'avance, ni d'exiger qu'on vous paie, c'est une attitude égoïste, dont on peut être certain qu'elle fera reculer un trail angel et se demander pourquoi il fait tout ça pour les randonneurs. Au bout du compte, il n'y a aucun droit sur le sentier, en-dehors d'être traité avec respect, comme tout le monde, jusqu'à ce que pour une raison ou une autre, il devienne clair que vous ne le méritez pas. Et ce sentiment de "droits" est rapidement détecté par les autres randonneurs... J'en ai eu qui sont arrivés et m'ont averti que d'autres randonneurs derrière eux ne se comportaient pas correctement chez les trail angels ou en ville. Il y a un téléphone arabe qui parcourt le PCT afin de transmettre ce genre d'information et les trail angels auront le "droit" de renvoyer  sur leur chemin ceux qui sont désagréables. Réfléchissez bien avant de conclure que parce que vous marchez sur 4300 km, le monde vous doit quelque chose, au-delà peut-être d'un peu de respect pour ce que vous tentez.
[…]
Merci...
FireFly, trail angel retraitée

P.S. J'ai presque toujours considéré comme un honneur que des randonneurs aient choisi de s'arrêter et de passer un peu de leur précieux temps chez nous... Et j'ai toujours essayé de les remercier de venir au Hideaway. Bien que j'aie aimé ce boulot, je suis content de me retirer tant que je pense encore de cette manière. Merci pour les souvenirs...