lundi 30 avril 2012

30 avril Retour aux affaires,... très bientôt sur vos écrans

Ça devient pénible. Je passe plus de temps à attendre en ville qu'à marcher vers le nord. Mais les choses se remettent en place, tranquillement.
J'attends la livraison de mes nouvelles chaussures qui ont dû être expédiées de San Francisco ce matin. Avec de la chance, elles seront ici demain. Sinon, ce sera mercredi. Et dès le lendemain, Rob me conduit à Cajon Pass, là où le PCT coupe l'Interstate 15, entre San Bernardino et San Gabriel.
À partir de là, il me faudra 7 jours pour atteindre Agua Dulce, où deux colis m'attendent. D'emblée, je commencerai par un tronçon de 37 km sans une goutte d'eau, histoire de me remettre dans l'ambiance désert. Avec, en supplément, pour amuser les lecteurs, les premiers ours. Alaska devrait alors être encore derrière moi, puisque que je zappe quelques dizaines de miles. Je ne sais en revanche pas où se trouve Gourmet.

Mais je n'ai pas eu besoin d'attendre les ours: je viens d'aller me balader à Point Fermin, au bord du Pacifique, et je me suis fait agresser par... un écureuil, membre de gang! Quel pays!

"You talkin' to me??"


Point Fermin est la pointe de l'excroissance que l'on voit sur la côte Pacifique à Los Angeles, à l'ouest de Long Beach. C'est là, m'a expliqué Rob, qu'a été tournée la fameuse scène de ce film d'anthologie qu'est Chinatown, où Roman Polanski taillade le nez de Jack Nicholson, détective qui enquête sur les tripatouillages liés à l'eau à Los Angeles, dans les années trente. Le problème de l'eau en Californie, encore et toujours.

Le phare de Point Fermin.




En-dehors de ça, puisque je suis tout de même censé repartir dans le désert, après les sept jours de marche pour atteindre Agua Dulce, il ne me restera "que" 560 kilomètres pour sortir du désert de Mojave. Si je suis encore vivant à ce moment-là, je boirai un Coca plein de glaçons à votre santé.

samedi 28 avril 2012

28 avril Stratégie























Compliqué, cette affaire... On va en profiter pour vous faire faire un peu de géographie.

Voilà le secteur de Los Angeles. La grande flaque au nord des montagnes, c'est le Mojave. En bas et à droite de la carte, vous avez le massif de San Jacinto où j'ai jeté l'éponge, plutôt écœuré. Contrairement à Alaska et Gourmet qui se trouvaient à Idyllwild, à l'ouest du PCT, je me trouvais chez mes amis à Palm Springs, à l'est. Nous sommes dans le désert sud-californien torride. Température ces derniers jours à Palm Springs: 43°. Oui, je sais, y en a que ça doit faire rêver en ce moment.
Ce désert est néanmoins constellé de massifs de montagnes, grâce à — ou à cause du — choc des plaques tectoniques et de la Faille de San Andreas, que l'on voit très bien sur la carte (entre l'endroit, au nord, où il y deux "15" superposés et Cabazon, vous tirez un trait... C'est San Andreas.). Lagunas, San Felipe, San Jacinto, San Gorgonio, San Bernardino, San Gabriel...
Mais entre ces massifs, le PCT replonge rapidement dans le désert. Descente de 2000 mètres après San Jacinto pour atteindre Cabazon et ses forêts d'éoliennes. Oui, Cabazon, pris entre les deux massifs de San Jacinto et San Gorgonio, c'est une tuyère, où il y a constamment un vent important.

Logiquement (?), j'aurais dû repartir à Cabazon. Mais vous voyez sur la carte que c'est nettement plus court pour Rob d'aller à Agua Dulce qu'à Cabazon. Et ce que vous ne voyez pas sur la carte, ce sont les embouteillages sur des freeways à une douzaine de voies. Pour ce qui me concerne, vu ce qui m'attend encore, soit 4000 kilomètres, je me fous totalement de grignoter quelques dizaines de miles. Et d'éviter de me faire à nouveau piéger par la neige pourrie en montagne.
Nous avions trois possibilités de remise en selle: Cabazon, Big Bear City, et Agua Dulce. Rob préfère Agua Dulce. Le seul problème que j'y vois, c'est que je "gagne" une dizaine de jours de marche. Youpi, devrions-nous dire. Oui, mais dans ce cas, et si je parviens à continuer, ce qui n'a rien de certain, je risque de me retrouver au pied de la Sierra Nevada beaucoup trop tôt. Mais je n'en suis pas là, donc on va bien voir ce qui se passera.
En tout cas, Rob et Pam, ils devraient être contents de me voir m'éloigner... Me conduire au départ à Campo: 4 heures de route. Venir me récupérer à Palm Springs: 5 heures de route. Me conduire à Agua Dulce: ? Et j'ai mis tellement de bordel dans la chambre que j'occupe qu'ils l'appellent désormais "la chambre de Philippe". Le mot "amis" prend toute sa valeur, là, non? Je me rappelle avoir mis dans le blog une citation d'un humoriste qui disait que pour savoir lesquels étaient vos vrais amis, il suffisait de téléphoner à tous et de leur demander de vous conduire à l'aéroport. Seuls les vrais amis le feront...

Dans l'immédiat, ce qui m'attend après Agua Dulce, c'est le désert de Mojave. Et ça me fout les jetons. Je vous rappelle brièvement ce que dit le guide: "Ce secteur du Mojave est susceptible de vous cuire la cervelle, de générer des ampoules aux pieds, de réduire votre bouche en poussière — une expérience, somme toute, désagréable — si vous n'êtes pas correctement préparé." Le problème, c'est que je ne lis plus ces lignes comme je le faisais dans mon salon: depuis, j'ai traversé le désert d'Anza-Borrego...

Ayez une pensée pour les centaines de furieux qui sont ce week-end réunis à Lake Morena pour le "Kick-Off", à une vingtaine de kilomètres de la frontière mexicaine. C'est une bande de dingues, je le confirme. D'ici lundi, ils seront tous lancés à mes trousses.


Dernière minute: nouvelles discussions entamées avec Rob sur le point de retour sur le PCT. Il se pourrait maintenant que je reparte dans les San Gabriels... ou ailleurs. On va réétudier la question. Le nouveau départ est prévu mardi.

27 avril PCT, acte II

Désolé pour ce long silence, quoique, ça vous a peut-être soulagés. Après l'échec à San Jacinto, j'avais vraiment pris un grand coup au moral, et j'ai réellement songé très fort à abandonner. Comme je n'avais pas envie de geindre, j'ai préféré me taire, le temps de retrouver mes esprits. J'imagine aisément que ça doit sembler absurde, mais j'ai trouvé le Pacific Crest Trail beaucoup plus violent que je l'imaginais. Et pourtant, Dieu sait si je me suis documenté... La marche dans le désert est une activité que je juge très stressante et épuisante, les distances (quelle surprise!) sont effarantes, bref, il y a eu conjonction de plusieurs facteurs qui m'ont fait douter et rêver d'une chaise-longue au bord de la piscine. Mais il paraît que le temps en France n'a pas grand chose en commun avec celui de la Californie du sud (tant mieux pour vous, ai-je souvent pensé), et je vais tenter de rester malgré tout encore un peu au soleil.

Remarquez, je n'ai sans doute pas été le seul à être un peu ébranlé par le désert d'Anza-Borrego: Gourmet et Alaska, mes comparses, sont restés à Idyllwild de samedi à jeudi... Quand j'ai dit à Rob que je me demandais pourquoi ils étaient restés là-bas aussi longtemps, sa réponse a fusé: "Burgers!!" Ouaip, probablement. Je sais qu'Alaska repartait aujourd'hui vers San Jacinto et Fuller Ridge. Bon courage!

Quant à moi, après la tempête sous un crâne, j'ai attaqué la réorganisation des troupes: le poids du sac dégringole de 18 à sans doute 11 kilos. Allez hop, à dégager! On fait dans le monacal, maintenant, même si je n'avais pas bien pris conscience que jusqu'alors, je baignais dans le luxe. Demain matin, je repars chez REI changer mes chaussures, acheter de nouveaux bâtons (ceux que j'avais avait une tendance absolument exaspérante à s'enfoncer au moment où je m'appuyais le plus fort, sensation très désagréable). Pour l'heure, je garde mon sac, même si j'aurais pu gagner un kilo en le changeant. Et je vais essayer de trouver un petit appareil photo léger. De toute façon, dans mon incommensurable naïveté, je pensais pouvoir faire de la photo sur le PCT. C'est en réalité impossible, parce que c'est beaucoup trop fatigant. Vous ne pouvez au mieux que faire des photos souvenirs.

Je vous avoue être un peu effrayé de ce qui m'attend, la traversée du désert de Mojave, la terreur des déserts, autrement plus féroce qu'Anza-Borrego. J'ai vraiment été traumatisé par le désert. On va bien voir jusqu'où j'irai. C'est de la navigation à vue, désormais.
Lundi, probablement, Rob me conduira chez Donna et Jeff Saufley, trail angels extraordinaires de leur état, à Agua Dulce, où m'attendent le bounce box et du ravitaillement. Nous avions bien sûr la possibilité de repartir à Cabazon, là où — grosso modo — je m'étais arrêté. Mais vu les distances, ça n'arrange pas Rob, ce que je comprends parfaitement. Los Angeles a pour particularité d'être une "ville" où le moindre déplacement implique 4 heures de route dans les embouteillages. Et comme je ne cherche pas à imiter Scott Williamson, ni à établir une quelconque performance sportive, je me fous totalement de zapper encore quelques miles. Ce matin, j'étais en chemin pour rentrer en France pour le deuxième tour de l'élection, alors...


mercredi 25 avril 2012

24 avril Échec (et mat?)

AVERTISSEMENT: tout ce que je vais écrire ici n'est que mauvaises excuses, je sais. J'écris à mon psy, c'est tout.


Si, si, je suis de retour à Palm Springs. Épuisé, rincé, vidé, genou en vrac, un peu démoralisé. Une journée de merde.
Explications...

Suivez bien le (mauvais) guide: pour rejoindre le PCT, j'avais deux solutions. Repartir à proximité d'Idyllwild, où Richard et Pat nous avaient repêchés. Ou bien prendre le téléphérique censé me faire gagner deux jours de marche (à la louche), en me conduisant directement dans le massif. Mais hors du PCT. Il fallait donc récupérer le PCT, par une bonne dizaine de miles de marche en haute montagne.

Oui, mais... Les conditions de neige se sont avérées pourries de chez pourries. En arrivant au sommet, je pars directement au poste de rangers pour avoir les infos sur les conditions. Raquettes ou crampons fortement recommandées, me dit-il. Conditions dangereuses. Merci, Monsieur, bonne journée.
Et pourtant, tout — la lumière cristalline, les sapins géants, les effluves de bois de cèdre, les écureuils gris qui courent partout, les geais de Steller bleu métallisé que je vois porter des brindilles pour faire leur nid, tout me transporte instantanément quinze ans en arrière, vers le John Muir Trail. Cette montagne a un parfum américain. Que ces montagnes sont belles!





Mais effectivement, la neige est rapidement devenue la pire, la plus traîtresse, qu'on puisse trouver. Gelée en surface, une croûte de glace glissante, je pose le pied pour tâter le terrain, j'appuie pour vérifier qu'elle pourra porter mon poids (considérable, certes), et au moment exact où je transfère tout le poids, ou une demi seconde plus tard, elle s'effondre et ma jambe s'enfonce jusqu'à la taille. Je me tors bien sûr plusieurs fois le genou. La progression se fait pas à pas, prudemment, ce qui n'empêche pas de de passer très souvent, trop souvent, au travers de la croûte de neige. Le plaisir d'être dans ces magnifiques paysages a déjà fait place au cauchemar. Mon objectif est d'atteindre un endroit appelé Wellman's Divide, à 3000 mètres d'altitude. Ensuite, il faut continuer de grimper, changer de versant, et — au bout d'une douzaine de kilomètres — récupérer le Pacific Crest Trail. Et après ça, gagné?? Non, non, ce n'est au contraire que le début des emmerdements, parce que le PCT franchit ensuite la très redoutée arête de Fuller Ridge, sur 4 kilomètres, rien que ça, un des endroits réputés les plus dangereux de tout le parcours entre le Mexique et le Canada. Dans cette neige pourrie? Vraiment? De surcroît, vous l'imaginez bien, le sentier que je voudrais suivre est recouvert par la neige et la navigation se fait au GPS, mètre par mètre.
En montant par le splendide téléphérique rotatif, j'avais fait la conversation (bizarre, bizarre, hein?) avec une charmante dame âgée qui partait, elle aussi, faire une balade d'une journée dans le secteur. Quelques heures plus tard, je la retrouve. Elle porte des crampons, elle sait visiblement ce qu'elle fait, mais fait demi-tour, et m'explique qu'elle juge des conditions beaucoup trop dangereuses. "Et pourtant, je viens ici toutes les semaines", ajoute-t-elle, en me demandant si quelqu'un sait où je vais. Elle lève les yeux au ciel quand je lui dis que non, mais je tente de la rassurer en disant que j'ai une balise de secours. Mais je me dis aussitôt que si je me cassais une jambe, une éventualité du domaine du réel dans ces circonstances, le signal ne passerait pas à cause des arbres.
Je tente de continuer. Vient le moment où l'idée de faire demi-tour m'effraie autant que celle de tenter de continuer. Je me sens piégé, et les heures passent. Il va falloir penser à la nuit qui va arriver. Ça devient crétin, mon histoire du jour. Et à force de réfléchir à ma situation, je me dis que ces risques sont absurdes et que je n'ai pas envie de les courir. Je bataille depuis des heures, mais n'avance pas. La météo a de plus annoncé du mauvais temps pour demain. Je vais où, là?

À contre-cœur, mais sûr de faire le bon choix, je fais moi aussi demi-tour. La descente est aussi pénible et dangereuse que la montée. Mais je me sens rassuré d'avoir pris cette décision. Arrivé au téléphérique, j'entre dans le domaine des touristes en shorts et en tongs (pas de sarcasmes). Mais ce sont des touristes américains et chacun d'eux me dit bonjour ou me pose des questions sur ce que j'ai fait. Et à la dame qui me demande: "Was it great?" "C'était bien, votre balade?", je réponds: Super!
Mon genou a rendu l'âme, ça y est, et il me fait boiter à nouveau.
Au bas du téléphérique, il me reste à appeler Richard et Pat qui, avec leur gentillesse coutumière, viennent aussitôt me récupérer. Et j'écris, douché, avec un bon verre de blanc (Viognier Cline 2007) à portée de la main.

Je jette un coup d'œil au journal de Seth et Kristin, membres de ce blog, qui ont un peu d'avance sur moi. Depuis Idyllwild, ils ont zappé tout le massif de San Jacinto et sont déjà dans le désert. Étrange...
Mais il ne faut pas se leurrer: nombre de hikers vont passer Fuller Ridge. C'est juste une question d'acharnement et de risques qu'on accepte de prendre.

Le bilan? Je suis en échec. Mais il est clair que le sac est encore TROP lourd. Envisager de parcourir le Pacific Crest Trail avec des kilos superflus est impossible, je le sais maintenant. Le problème, c'est que je ne suis pas capable de faire une telle randonnée en prenant quelques photos à la sauvette avec un téléphone, et en écrivant des compte-rendus quotidiens (ou pas) de trois lignes sur le même téléphone. Je me suis levé, j'ai marché jusqu'au diable vauvert et il faisait beau. Je recommence demain... Je ne peux pas avoir ce type "d'égoïsme". J'ai un besoin viscéral de partager ce que j'aime, de force, parfois. La conclusion est qu'il y a une incompatibilité entre les paramètres que j'ai moi-même établis. Et ça, je suis quand même bien obligé de le reconnaître.
En outre, tous les hikers le disaient, mes pieds ont gonflé dans le désert (ils préconisent de porter des chaussures une, voire deux, tailles trop grandes dès le départ); mes chaussures sont trop serrées et me font souffrir. Mes ongles qui noircissent en témoignent.
Je dois convenir tout simplement que je ne suis sans doute pas assez fort pour une telle entreprise de cinglé. Ça fout tout de même un coup au moral, vous l'imaginez bien. Je croyais avoir mes lettres de créance, chez les cinglés.

Les plans? Repartir demain à Long Beach chez Rob et Pam pour faire le point et essayer de prendre une décision calme et raisonnable. Il est cependant aussi clair que les États-Unis est le pays où je suis heureux, le seul où je me sente aussi serein, et rentrer maintenant en France me chagrinerait, hors la joie immense de retrouver Anne-Marie.
Je ne tiens pas particulièrement, pour l'heure, à me retrouver au milieu des coups tordus de la campagne électorale tricolore, surtout qu'il y a un camp où ça pue sérieusement. Bref, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans mes réglages, mais je ne sais pas comment réparer. Et puis, toujours, hibou, caillou, genou...


Mise à jour: si, je sais comment réparer...
Sac ÜLA Airx: 1,1 kg - matelas intégré (économie: 2kg / dépense: $300)
Remplacer l'appareil photo par un "point and shoot" (économie: 2,5 kg / dépense: $200?)
Remplacer le portable par un carnet (économie: 1kg)
Changer les chaussures (économie: confort très amélioré, plus léger / dépense: $ 150?)
Je gagne 5,5 kg et mon poids de base retombe à 10/11 kg. Celui d'Alaska est de 8,4 kg. Comment fait-il, scrogneugneu?!
Je perds... des dollars. Non, plus exactement, Anne-Marie perd des euros...

Dans tout ça, une chose me remonte le moral, quand même: Alaska a un sac de 8,4 (on parle bien du sac sans eau ni nourriture, d'accord?), le mien faisait sans doute 18 kg. J'ai aussi un certain nombre d'années de plus que lui. Et pourtant, en lisant le journal d'Alaska, avec qui j'ai traversé le désert d'Anza-Borrego, je lis ceci:

Étape Paradise Café:
"Arguably one of the hardest 8 miles I’ve ever done. It’s mostly up hill from the cache and although an early start kept me mostly in the shade it was up and up and up around every corner, then down followed by more up."
De toute évidence un des 8 miles les plus difficiles que j'aie jamais faits. C'était la plupart du temps en montée depuis la cache et malgré un départ tôt qui m'a permis de rester à l'ombre, c'était grimper, grimper et grimper à chaque virage, puis une descente et grimper encore plus".

Étape Hiker's Oasis (Nance Canyon):
"Snaking through the canyons with random climbs was wearing in me. Every time I entered auto pilot I’d stumble or twist my ankle."
Serpenter dans ces canyons avec toutes ces ascensions finissait par être usant. Chaque fois que je me mettais en pilote automatique, je trébuchais et je me tordais la cheville.


J'en profite d'ailleurs pour piquer une photo de moi prise par Alaska dans Nance Canyon:

mardi 24 avril 2012

24 avril Devinez quoi?

Oui, devinez quoi? Je repars en montagne aujourd'hui et... une tempête est annoncée à partir de demain! Pluie, brouillard, peut-être neige. C'est une plaisanterie, ou bien y a un sorcier vaudou quelque part qui s'acharne sur moi? Et moi qui ai expédié hier mon protège-sac à Reno, pour économiser 20 grammes, en me disant qu'il n'allait plus pleuvoir avant longtemps!

De Palm Springs, leur vertigineux téléphérique va me conduire dans le massif de San Jacinto, à l'ouest, à 2600 m d'altitude. Le sommet est carrément à 3200 mètres d'altitude. De là, il faudra suivre la très redoutée crête de Fuller Ridge sur plusieurs kilomètres (on la devine au-dessus du "J" de Jacinto, sur la carte), puis entamer l'effarante descente de 2000 mètres vers Cabazon, ses forêts d'éoliennes, et l'Interstate 10 qui fait la liaison entre Los Angeles et l'Arizona. Mais très vite, on remonte vers le massif de San Bernardino, qui encadre Los Angeles. Le PCT met alors le cap plein ouest, afin d'éviter de traverser le désert de Mojave qui se trouve au nord. Il le tangente plus au nord et c'est déjà redoutable. Et puis, de toute façon, puisqu'il y a des montagnes tout autour de Los Angeles à grimper, pourquoi s'en priver? Y a même des endroits où le PCT repart vers le sud!!
Alors, vous prenez quoi au menu, le désert brûlant ou la tempête en haute montagne?
Alaska et Gourmet ont dû accuser le coup d'Anza-Borrego, eux aussi. Ils ne redémarrent d'Idyllwild que ce matin.


23 avril États d'âme

Bon, Anne-Marie dit que ce blog est mon psy, ouais, peut-être, après tout. Alors, voilà mes états d'âme.
OK pour continuer. MAIS, je me heurte à un problème digne de la quadrature du cercle. J'ai rogné sur tout, j'ai éliminé tout ce que je pouvais. Je n'ai pas de doudoune, je n'ai pas de réchaud, je n'ai quasiment plus de pharmacie, bref, je ne sais pas ce que je pourrais encore supprimer. Et pourtant, j'arrive à un poids de base du sac (sans eau ni nourriture) de 13 kg. Mais ce n'est pas fini. Il "faut" y ajouter le portable (1 kg) et... l'appareil photo (2,7 kg). On parvient à 16,7 kg. Par comparaison, Stéphane, qui a parcouru le PCT l'an dernier avec Élodie, portait 10,4 kg. Vous voyez où est le problème?

Alors, bien sûr, j'en entends dans la salle qui crient que je n'ai qu'à éliminer ces deux articles très encombrants. Oui, mais vous avez dû remarquer que j'aimais écrire et prendre des photos. Aussi absurde que cela puisse paraître, si je ne peux plus écrire à ma guise ni prendre les photos que je voudrais prendre, je n'ai plus envie de faire ce parcours. Hein que c'est compliqué?
Si je pouvais m'alléger de près de 4 kg, ce serait le bonheur, pourtant. Mais ça ne m'intéresse pas. Non, plutôt, faire le PCT dans ces conditions ne m'intéresse pas. Et je ne sais pas du tout si je pourrai continuer avec une telle charge. Parce qu'il ne faut pas perdre de vue un petit détail: demain matin, j'ajouterai à mon sac 5 kg d'eau et 4 kg de nourriture, ce qui n'est pas beaucoup pour une semaine. Au final, 25,7 kg! Je comprends pourquoi j'étais fatigué, d'autant que j'ai allégé mon sac, à Palm Springs.

Oui, je sais, j'entends Anne-Marie demander pourquoi je vous emmerde avec ces considérations. Juste pour expliquer que j'ai devant moi une semaine de marche difficile qui va servir de test. Traversée du massif de San Jacinto, puis une redescente de... 2000 mètres vers le désert. 160 km. Soit je parviendrai à m'accommoder de ce poids tout en avançant suffisamment vite, soit je rentre à la maison. Parce qu'il ne faut pas oublier, de surcroît, qu'il va falloir très vite parcourir des distances quotidiennes de plus de 30 km, faute de quoi on ne peut pas parvenir au Canada à temps. Et même si vous dites "on s'en fout, du Canada", il reste la contrainte des points d'eau. Le désert d'Anza-Borrego que je viens de traverser, c'était une oasis, à côté du désert de Mojave qui est devant moi. Ils annoncent des tronçons de 50 km sans eau!!

lundi 23 avril 2012

23 avril suite des festivités


Voici le terrain déjà parcouru depuis la frontière mexicaine, jusqu'à Palm Springs. À partir de Palm Springs, massif de San Jacinto, puis redescente vers le désert. On remonte ensuite très vite en montagne, dans le massif de San Bernardino. La prochaine étape douche - blog sera Big Bear City, à 6 jours d'ici. Les conditions d'enneigement sur San Jacinto et Fuller Ridge ne sont pas bonnes du tout. Rude étape.

Comme je reste, génétiquement, un vieux c... de prof, je me permets d'attirer votre attention sur la carte sur le "grand lac" à l'est, qu'on appelle Salton Sea. Le croirez-vous, Salton Sea est le résultat d'une fuite (!) en 1906 dans les canalisations qui conduisent l'eau (très salée) du Colorado vers Los Angeles! Un robinet qui coule...
Pendant quelques décennies, notamment les années soixante, on a fait semblant de croire que c'était une aubaine, un si grand lac dans le désert.  Et Salton Sea est devenu un lieu à la mode, de villégiature, ski nautique avec le grand sourire et les lunettes de soleil... Mais peu à peu, les choses se sont dégradées. Salton Sea est dorénavant un désastre écologique de l'ampleur de la Mer d'Aral, gorgé de sel et de pesticides, où tout crève. Dans le désert d'Anza-Borrego.
















En attendant, faut bien faire le plein de calories, en prévision de la disette d'une semaine à venir. Direction un bon restaurant, avec Pat et Richard. Il a bien fallu que je prenne un petit dessert pour terminer... Voilà donc ce qu'ils appellent prendre une petite glace au dessert. Pas étonnant, le restaurant s'appelait "The Elephant Bar"...


22 avril Palm Springs


Les délices de Capoue, ou presque...
Journée de début de tentative de remise en état de marche, aujourd'hui, à Palm Springs, chez mes amis Richard et Pat. La température est stable, 43°. La couleur du ciel aussi. Mise à jour de mes bavardages sur le blog, publication de certaines photos compromettantes.
J'ai également attaqué mon sac et encore éliminé divers articles. J'approche du minimum syndical, si l'on oublie que je porte un ordinateur portable magique (1 kg) et un appareil photo non moins magique (2kg 500). Pour le reste, plus beaucoup de marge d'erreur.
J'ai viré la plus grande partie de la pharmacie, et différents accessoires de 12 grammes chacun. Mais au point où j'en suis, tout est bon à prendre. J'essaie même de me débarrasser du bounce box qui coûte la peau des fesses à réexpédier. En outre, si vous connaissez une bonne masseuse thaïlandaise, veuillez lui indiquer mon adresse à Palm Springs, Miramonte Circle, à côté de la piscine, sous les palmiers. J'ai bien besoin de ses services. Le vin de l'État de Washington que nous venons de déguster était excellent (Gun Metal - Woodinville), mais pour les contractures musculaires, je n'en ai pas bu assez.

Je redémarre mardi matin, mais il se pourrait que je prenne le téléphérique qui conduit directement près du sommet de Mount San Jacinto. Gourmet sera alors un peu derrière moi et devrait me rejoindre assez rapidement. Il m'a promis de porter du vin et un Jose Burger de Paradise Café, alors...










dimanche 22 avril 2012

C'est glissant

Je suis au mile 151 depuis hier. Un glissement de terrain vient de se produire au mile 141, à peu près là où nous avons passé la nuit en compagnie d'un puma... Oups!

Mise à jour photos

Je viens d'ajouter une sélection de photos pour la période du 15 au 21 avril, ainsi que 3 balbutiements de vidéo. Par souci de simplicité, je mets les photos à la fin du texte.


21 avril Paradise Café - Palm Springs

240 km du Mexique. J'ai franchi le cap des 150 miles.

Aux premières lueurs du jour, vers 5 heures 30, nous commençons à nous agiter. En silence, parce que nous devons tous les trois être complètement décalqués. Ce qui est dans notre tête? Aller plus vite que le soleil et la chaleur et nous jeter sur un monstrueux petit déjeuner au Paradise Café.
Je n'ai pas de tente à démonter, je m'habille et je suis prêt à démarrer avant eux. Mes vêtements sont poisseux et raidis par la croûte invraisemblable de sel et de crasse. Comme me le disait Alaska, encore un jour et je pouvais enlever ma chemise et la poser par terre pour qu'elle me serve d'étagère! Je ne pouvais pas imaginer que le corps humain puisse évacuer autant de sel, ni générer une telle odeur. Mes vêtements ont ces croûtes blanchâtres, le sac aussi, y compris au travers des matelassages. L'appareil photo a blanchi, lui aussi, à cause de la transpiration. En frottant mon visage, je pourrais saler la soupe d'un régiment.
11 miles. Ce n'est pas vraiment beaucoup. C'est énorme quand vous êtes totalement épuisé, que l'air est déjà chaud à 6 heures du matin, qu'il vous tarde réellement d'achever cette première tranche du Pacific Crest Trail. Je calcule le poids d'eau au plus juste, et je me permets le luxe inouï, la folie, même, de jeter l'excédent.
Vers 7 heures, le soleil me rattrape. C'est un sprint d'escargot. Je n'en peux plus. J'ai regardé les courbes de niveau sur la carte de Halfmile afin de déterminer ce qui m'attend. Mais c'est toujours trompeur. Il y a toujours la colline suivante. Et le GPS me donne l'impression d'être bloqué.
Vers 10 heures, enfin, au détour du sentier, je vois dans le lointain la route 74. Que c'est bon d'apercevoir les voitures! Alaska et Gourmet sont passés devant moi. Une fois parvenus à la route, il faut prendre un sentier latéral qui la longe sur 1 km 500 pour arriver à Paradise Café. Je ne vois pas bien où démarre ce sentier secondaire. Je ne veux prendre aucun risque: je décide de longer la route, et j'aperçois le café au loin. Un sprint final et je m'affale en terrasse où Alaska et Gourmet ont déjà fait apporter un grand verre d'eau glacée pour moi.
Vite, le téléphone, dont la batterie est à l'agonie, pour laisser un message à Richard et Pat. ils ne semblent pas être là. Qu'importe, on commande le petit déjeuner. Et dans les 2 minutes qui suivent, la serveuse arrive et demande qui est Philippe. "Vos amis viennent d'appeler. Ils sont en route, mais vous font dire que ça prendra du temps". OK, envoyez le Coca à gogo (on vous sert un verre, puis deux, puis une carafe..., pour le même prix), le jus d'orange, les hash browns (pommes de terre râpées et poêlées), les œufs au plat, les saucisses, les toasts, et on verra après.

Richard et Pat finissent par arriver. Retrouvailles, je n'ai pas vu Richard depuis trop longtemps. Nous devons aller à Idyllwild récupérer mes colis, mais nous craignons que la poste ne soit fermée le samedi. Mais nous embarquons aussi Alaska et Gourmet qui vont prendre un zero day là-bas. Idyllwild est une adorable petite ville de montagne au milieu des sapins, un délice, très style Lake Tahoe. Je fais mes adieux (?) à Alaska et Gourmet qui reprendront le chemin dès demain, ou lundi au plus tard. Je pense pour ma part avant tout à récupérer, plus longtemps sans doute. Je suis à l'agonie.
Coup de bol, la poste est fermée, mais un panneau indique qu'on peut néanmoins retirer les colis dans... 3 minutes!

Et c'est la redescente vers la fournaise de Palm Springs, en passant par un incroyable désert pierreux qui me fait penser aux images de Mars. Arrivé chez Pat et Richard, pas de surprise. Je me déshabille, direction la douche. Lessive, et mise à jour du blog.
En fin de journée, nous partons dîner dans un restaurant mexicain très agréable, avec leur ami Randy. Il doit faire encore 40°. Choc incroyable: ce matin, il y a quelques heures à peine, j'étais en train de tirer la langue dans le désert et je me trouve à table dans un superbe restaurant à déguster de la cuisine mexicaine, et les conversations que j'aime tant, dans ce pays que j'aime tant.

Ce matin, je pensais vraiment abandonner. Le Paradise Café m'a ragaillardi. Savoir que j'avais pu maintenir le même rythme que mes compagnons aussi. En fait, parmi ceux qui ont démarré le même jour que moi, certains ont déjà abandonné, et je les comprends, certains sont encore derrière (Running Wolf, Drew, Hot Wing, Penn-J), mais les plus rapides ne sont qu'à une journée devant moi.
Objectivement, je trouve cette marche pour le moment plutôt infernale. Mais d'un autre côté, je vis quelque chose d'extraordinaire, notamment sur le plan des relations humaines. De fait, ce soir, j'ai envie de dire que je reviens en troisième semaine, mais il va falloir que je retrouve mes esprits. Ce début de Pacific Crest Trail me laisse sonné, K.O. debout. C'est violent, brutal. Je n'ai jamais fait de randonnée aussi dure. Mais ce serait dommage de déjà renoncer.
Alaska m'avait suggéré de prendre le téléphérique qui monte de Palm Springs vers Mount San Jacinto. Mais Pat vient de m'annoncer qu'il culpabiliserait et qu'il me reconduira exactement là où ils nous ont récupéré...


Gourmet, voyons où nous sommes...

Lézard à cornes.


Alaska - Paradise Café, le bien nommé.






20 avril Hiker's Oasis - mile 140

224 kilomètres de la frontière mexicaine.


Le téléphone arabe fonctionne à merveille sur le PCT. Nimble Foot et Ron nous ont appris que Justin et Southern, avec qui j'ai démarré, ne sont qu'à une journée de marche devant nous. Nous savons aussi, malheureusement, qu'on annonce, à partir d'aujourd'hui, une flambée des températures, qui devraient frôler, voire dépasser, les 40°. Une nouvelle rude journée, ça, c'est stable, nous devons atteindre Nance Canyon où il devrait encore y avoir un filet d'eau, après une escale ravitaillement en eau intermédiaire à Tule Spring.
Nous nous levons tôt et je quitte le camping-car de Mr. White et Jesse (les connaisseurs apprécieront. Ceux qui ne savent pas de quoi je parle ont tort et devront, toutes affaires cessantes, regarder les trois premières saisons de l'extraordinaire Breaking Bad, une série TV d'anthologie).
Ça commence bien sûr par grimper, ô surprise, le PCT ne rate JAMAIS la moindre éminence. C'est même sa raison d'être. Mais bientôt, Alaska et moi entamons une descente infernale dans un désert torride. Vers 11 heures, ça se gâte encore. L'air devient brûlant et l'ombre a depuis longtemps disparu, éliminée du programme des festivités.
Je rencontre un couple de randonneurs en route vers le sud. Comme Ron et Nimble Foot, comme beaucoup, ils convergent vers Lake Morena pour le pèlerinage annuel, la grand-messe, le raout du "kick-off". Le point de départ officiel de la saison des cinglés. On aurait pu penser qu'ils y seraient allés en voiture. Que nenni, de nombreux randonneurs sont en marche pour deux semaines de marche dans le désert calciné, afin d'arriver à Lake Morena comme il sied, à pied, pour le kick-off de quatre jours qui commence la semaine prochaine. Vu les conditions actuelles dans le désert, mon opinion? Ils sont bien cinglés, gravement.

Le désert devient à nouveau effrayant. Il est calciné, même si la tempête de la semaine dernière a permis aux cactus de fleurir. Un bref spasme de vie, avant la longue mise en sommeil de l'été brûlant.
Mais le stress est encore et toujours le même. Impossible sur ces sentiers pelés de prendre son temps. C'est une course contre la montre. Il faut parvenir au prochain point d'eau, il faut y parvenir vite, parce que la chaleur est à la limite du supportable. Et vous vous demandez constamment si vous aurez assez d'eau pour atteindre l'objectif visé. Pas vraiment une marche de détente, non, non.
Vers midi, nous atteignons Tule Spring. Ça devient surréaliste. Pour y accéder, il faut plonger dans un profond ravin par une piste poussiéreuse, avec la hantise d'avoir à remonter ensuite. Je suis épuisé (refrain connu) et j'ai besoin de manger, là, tout de suite. J'avale un sachet de purée en poudre réhydratée sauvagement. J'en ai déjà complètement marre des barres de céréales. Je ne peux plus les avaler.

Allez, dernier effort vers Nance Canyon, un décor brûlé, calciné, incinéré. Chaleur étouffante. Alaska et moi y parvenons enfin, dans ce ravin carbonisé, où coule pourtant encore un filet d'eau verdâtre. Un gros cottonwood nous offre un peu d'ombre temporaire. Nous nous affalons, nous pensons initialement passer la nuit ici. Mais au bout d'une heure, j'entends au loin cet appel sidérant, venant du fond d'un canyon du désert: "Hey, Philippe!!" Gourmet arrive, en compagnie d'un randonneur du nom de Charlie. Gourmet, adorable, m'explique qu'il me poursuit depuis le matin, que les randonneurs croisés lui ont dit que j'étais une heure devant lui. "Je n'ai pas réussi à te rattraper", ajoute-t-il.  Ma modestie dût-elle en souffrir, cette phrase me fait plaisir, parce que Gourmet n'est pas vraiment du genre à tricoter sur les sentiers. En fait, ça me paraît même incompréhensible, parce qu'il marche bien plus vite que moi. " I knew you were an hour ahead of me. Many people told me so. I shouted your name in the canyons!" "Je savais que tu étais une heure en avance sur moi. Plusieurs personnes me l'ont dit. Je criais ton nom dans les canyons!" Vous imaginez le choc d'entendre quelqu'un crier "Philippe!" au fin fond du désert d'Anza-Borrego, sans savoir de qui il s'agit??!
Gourmet est originaire de Seattle, professeur de musique, une trentaine d'années. Charlie et lui s'arrêtent pour une longue pause, où la conversation va errer de l'équipe de hockey de Vancouver au sujet de ma thèse. Qu'un Français ait pu enseigner l'histoire américaine les intrigue toujours.
Charlie finit par nous quitter, dans le but de tenter d'atteindre la route 74 qui mène à l'escale d'Idyllwild pour eux, de Palm Springs pour moi. Sans oublier l'essentiel arrêt à Paradise Café pour se goinfrer. Rude challenge.

Après quelques discussions, Alaska, Gourmet et moi décidons de repartir pour sortir du profond Nance Canyon et rejoindre une importante cache d'eau, qui s'appelle Hiker's Oasis. Nous espérons que la température aura un peu baissé, et ce qui est présent à l'esprit de tous est de s'approcher de Paradise Café. On annonce encore plus chaud pour demain.

La remontée sera infernale, je ne peux trouver d'autre qualificatif. La température, vers 17 heures, n'a pas vraiment baissé, nous commençons à parler de continuer la marche de nuit, pour échapper à la folie qui nous attend demain.
Nous parvenons à la cache vers 19 heures. Le plein, s'il vous plaît, les registres à remplir, les remerciements à rédiger. Avachi sur un rocher à tenter de reprendre mon souffle, suffoqué par la chaleur. Nous n'avons plus guère le courage de continuer. On s'arrête là. Et pendant que nous recherchons un endroit à peu près plat pour trois, nous trouvons des traces toutes fraîches de puma!! Un vraiment très gros chat, je vous l'assure. Nous ne voulons cependant plus bouger. Gourmet et Alaska montent leur tente, j'étends une couverture de survie, mon duvet, et en avant pour une nuit à la belle étoile. Le puma est quand même très présent dans les esprits et Alaska de me dire: "Philippe, si ce puma se montre, tu te taillades vite fait les mollets, et tu pars en courant dans cette direction, ok?"
Gourmet veut nous montrer que son trail name est bien justifié. "Philippe, are you hungry?" D'après toi, Gourmet? "Je peux vous faire à manger". Ça tombe bien, Gourmet, parce que j'ai épuisé mes stocks de purée. Je n'ai plus rien, en fait.
Et nous allons assister à une scène plutôt déroutante: à la tombée de la nuit dans le désert, Gourmet se met à nous cuisiner une sorte de ragoût de légumes au saumon, avec les petites herbes, l'huile d'olive, et tout ce qu'il faut. Moi, je suis scié, et un comique troupier, à côté. Décidément, mon peu de goût pour la cuisine se voit ici aussi. Et pendant que nous patientons, la bave aux lèvres, Gourmet nous prépare... des toasts au pesto et à la crème d'ail! Si, si.


La phrase du jour:
Alaska:
"There are many more people sitting in front of their flat screen TVs than outside doing something."
Il y a beaucoup plus de gens assis devant leur télé à écran plat que dehors à faire quelque chose.


Le camping-car de Breaking Bad.


Paradise Café: 25 miles!


Alaska, Nance Canyon.






Ouaip, c'est par là!

Nance Canyon.

Une p'tite soif?

Alaska.

À l'ombre du cottonwood.

Gourmet.

Charlie.

Remontée de Nance Canyon.





Gourmet. Notez les ossements au pied du poteau.

Hiker's Oasis.

Coucou, le puma!

19 avril Mike Herrera's - mile 127

23 km parcourus aujourd'hui.

Je progresse: j'ai un peu dormi cette nuit (quel formidable plaisir!) et j'ai également réussi à lever le camp pour démarrer à 6 heures 50. La journée s'annonce chaude (quelle surprise!) et je sais qu'il faut faire l'ascension d'un, ou plusieurs, versants de montagne exposés au redoutable soleil (Cleveland National Forest). Mais au début, nous longeons un torrent, une denrée rare dans ces contrées (À Warner Springs, et pour cause, il y a des sources chaudes). Ce torrent est à traverser cinq fois. Mais à la cinquième fois, il ne faut pas oublier de faire le plein avant d'attaquer les choses sérieuses.
Je rencontre deux hikers. L'un d'eux s'avère être Rees Hughes, l'éditeur du recueil de récits sur le PCT dont j'ai traduit quelques passages dans ce blog. Il me donne son adresse afin que je lui envoie un récit et des photos. Avec mon aventure de Mount Laguna, il ne devrait pas être déçu.
Au moment où je fais le plein des bidons, je vois débarquer avec grand plaisir Alaska. Il campait apparemment à 200 mètres de moi. Nous continuons la rude ascension ensemble, et nous garderons toujours un contact visuel.
Il fait de plus en plus chaud, l'air devient pâteux. Le stress est toujours le même: comment avancer assez vite sous cette canicule étouffante, comment gérer une quantité d'eau limitée? Boire, mais ne pas dilapider les réserves très limitées.
Lors d'une pause, je bavarde avec Alaska, qui m'explique qu'il est cameraman en hiver pour des séries télévisées, et notamment ce programme, sur Discovery Channel, qui s'appelle "Deadliest Catch", où l'on suit les pêcheurs de crabes au large de l'Alaska. Le titre français m'échappe. En été, il change d'uniforme et devient infirmier pour le secours en montagne. Il est en particulier spécialisé dans les plongées sympathiques, celles dont l'objet est de récupérer les cadavres dans diverses épaves.
La montée est, comme d'hab, interminable et épuisante. À 10 miles, mon outre est vide. C'est officiel, je consomme 4 litres pour 10 miles. Un litre pour tenir quatre kilomètres. Allez, on rationne, et on essaie d'avancer. L'objectif du jour est de parvenir chez Mike Herrera, dans la Vallée de Chihuahua. Mike est un trail angel qui accueille les randonneurs cinglés, mais pas vraiment à la façon de Donna, à Agua Dulce. La maison improbable de Mike, perchée dans le désert à flanc de colline, est un enchevêtrement assez classique de détritus divers, de tôles rouillées, avec un énorme camping-car sur cales (celui de Breaking Bad!!), bref, un bordel innommable.
L'an dernier, Mike avait invité chez lui toute une bande de zozos déjantés — alcoolos, camés, marginaux de tout poil — et une soirée où se trouvaient quelques hikers avait fini en bagarre générale à coups de battes de base-ball. Cette année, la rumeur court que Mike a remis de l'ordre. Non, pas dans sa propriété, non, non. Dans ses fréquentations. En fait de fréquentations, il n'y en a plus guère. Lorsque nous arrivons avec Alaska, sous le soleil de plomb, au bout d'une piste de terre éblouissante, tout est à l'abandon, cadenassé. À l'entrée de la propriété, une citerne sur laquelle il est indiqué qu'on peut prendre de l'eau (toujours cette obsession et nécessité vitale), mais qu'il faut la traiter.
Dans la propriété, nous trouvons une sorte de hangar en bois dans lequel il y a quatre lits de camp fatigués. À l'ombre! Les souris font déjà la fête de notre arrivée. T'inquiète, doivent-elles se dire — ajoute Alaska — il vont bientôt s'endormir!

Je suis H. S., épuisé, courbatu des pieds à la tête. Pour l'heure, repos, si c'est possible. Je jette un coup d'œil dans le Winnebago, une demi épave, et y trouve une canette de Coca qu'Alaska et moi partageons goulûment. Tiède, bien sûr. Demain, l'objectif est d'atteindre Nance Canyon, à 15 miles, une étape aussi longue qu'aujourd'hui. Ça va être rude, je suis fracassé.
Samedi, il restera 10 miles pour parvenir à Paradise Valley Café dont le Jose Burger monstrueux est universellement réputé dans le petit milieu des thru-hikers, et les fait saliver des semaines à l'avance. La nourriture est déjà devenue une obsession. Je n'ai plus de réchaud, mes repas consistent à ouvrir un sachet lyophilisé et à y verser de l'eau froide. Samedi, ce sera aussi le moment de contacter Richard et Pat pour qu'ils viennent me récupérer. Je suis déjà une épave, j'ai besoin de repos à Palm Springs. S'il vous plaît, préparez la glace, les boissons très fraîches. Laissez tomber pour les filles en bikini, je m'en fous un peu, en ce moment.

En fin d'après-midi débarquent deux randonneurs, des vieux, comme moi. Nimble Foot (pied agile!!), un bon 75 ans, et Ron (Sierra Guy), 65 ans (?). Un grand et joyeux moment de conversation spirituelle, au milieu du ram-dam des souris. Un régal. Un moment comme je les adore. Ils ont en projet de venir sur le sentier de Saint Jacques de Compostelle. Je les invite et leur donne mon adresse. Je suis en passe de devenir trail angel sur le Camino. Et comme beaucoup d'entre eux viennent de voir le film "The Way", qui en décrit le parcours, je risque d'avoir de plus en plus de clients.
Ron fait des tronçons du PCT et, comme il me le fait remarquer assez judicieusement: "Why bother? The trail isn't going anywhere!" Pourquoi s'emmerder? Le sentier ne va pas bouger! Ouaip, ça donne à réfléchir, quand on est plongé jusqu'au cou dans ce truc de tarés graves.
À Warner Springs, ajoute Ron, ils ont ouvert un centre d'accueil pour hikers. L'institutrice en profite pour y emmener ses élèves, afin qu'ils posent des questions sur le Pacific Crest Trail. Et il ajoute: "S'ils nous demandent pourquoi on fait ça, on leur donnera l'adresse mail de Philippe! C'est lui qui fait des études philosophiques sur cette question!"...

Vu l'agitation croissante de souris qui se préparent à l'attaque, nous allons dormir à la belle étoile, ce qu'on appelle ici "cowboy camping" (traduction inutile, j'imagine?). Je finis par décider de dormir dans le camping-car de Jesse.

Les phrases du jour (ce fut un festival!): 
• Alaska:
"Just some more climbing, then it levels out, and it's downhill."
Encore un peu de montée, puis ça s'aplanit, et c'est en descente.
(Eh, Alaska! Tu te fous de ma gueule? Tu l'as vue où, la descente??)

• Ron (Sierra Guy), une bonne soixantaine d'années:
"Why am I doing this? Well, I saw some cute girls on Facebook doing this, I thought I would do it to meet them!"
Pourquoi je fais ça? Eh bien, j'ai vu des filles super mignonnes sur Facebook qui le faisaient, je me suis dit que j'allais le faire aussi pour en rencontrer!

• Nimble Foot:
"You were raised a Catholic? Then you understand now that need to punish yourself!"
T'as été élevé dans le catholicisme? Alors tu comprends maintenant ce besoin de se punir soi-même!

• Nimble Foot:
"I told my son: if you ever hear me talking about hiking again for over 500 miles, just shoot me!"
J'ai dit à mon fils de m'abattre s'il m'entendait à nouveau parler de faire une randonnée de plus de 800 km!

Manzanita.

Rees et Harvey.

Luke.

Alaska, on refait le plein - Agua Caliente Creek.


Alaska.











La fureur de vivre, suite.


Nimble Foot chez  Mike Herrera.

Ron (Sierra Guy).

Nimble Foot.

Alaska chez les souris.