jeudi 25 octobre 2012

Une sorte d'obsession

J'ai échoué dans ma tentative de parcourir le Pacific Crest Trail cette année. J'ai commis un certain nombre d'erreurs et, en ce sens, le terme d'échec est à relativiser, parce que j'ai aussi beaucoup appris. Au-delà de mes erreurs techniques (trop de poids, manque d'entraînement, pour mentionner les principales, mais c'est déjà beaucoup), j'ai été mis hors de combat par mes genoux (hiboux, cailloux, bref, vous savez...).

Je suis rentré en France avec la ferme intention initiale de repartir sur le PCT en 2013. Les investigations médicales qui ont suivi ont tristement établi que, tout bêtement, mes articulations étaient usées. Point. J'ai entendu parler d'un truc que j'ignorais totalement: mes tibias souffrent de contusions osseuses. Autrement dit, ils ont pris une branlée et sont couverts d'ecchymoses, ce que je soupçonnais tout de même pendant que je marchais dans le désert d'Anza-Borrego. La solution à ce problème? Eh bien, il n'y en a pas vraiment, dans la mesure où l'échange standard façon amortisseurs à remplacer s'appelle une prothèse de genou. C'est une procédure lourde et compliquée, qui n'a pas vraiment pour finalité de vous permettre d'aller faire le con dans le désert. Donc, qu'est-ce qu'on fait? On se dit juste que c'est comme ça, que c'est usé, que la machine a pas mal d'heures de vol, qu'il faut en prendre son parti, qu'il conviendrait de la mettre sous une bâche au garage, de s'inscrire dans un club de pétanque...

Depuis le mois de mai, beaucoup de pensées se sont entrechoquées dans ma pauvre tête. J'ai fini par accepter l'idée douloureuse que l'état de délabrement de mon organisme (dont je connais tout de même une partie des causes) ne me permet plus d'envisager un parcours complet du Pacific Crest Trail. J'ai même essayé de trouver d'autres projets, des trucs raisonnables genre la traversée des Pyrénées.
Mais on a beau faire, on a beau dire, le naturel fait ce pour quoi il a été conçu, il revient au galop. Bon, OK, je ne peux pas raisonnablement penser à une nouvelle tentative de thru-hike. Mais... une partie, alors? Un section hike, comme disent les indigènes?
Ah, ah, ça, peut-être, on pourrait y réfléchir. Et quelle section alors, dans cette hypothèse? Eh bien, c'est là qu'on perçoit que je dois avoir un petit problème mental, en supplément des problèmes articulaires: ce qui me fait envie, vraiment envie, ce serait de me retrouver au début du mois d'avril au monument de Campo, à la frontière mexicaine, et de parcourir la totalité du désert (des déserts, techniquement parlant) jusqu'à la Sierra Nevada, à Kennedy Meadows. 1200 km, Près de deux mois de marche. C'est moyennement surprenant: j'ai toujours été fasciné par les déserts et je suis un inconditionnel de Théodore Monod. Dans un désert, on est très loin, très, très loin de notre environnement habituel. Et genoux ou pas genoux, j'ai besoin de rêver. C'est une question de survie.

Cependant, je rappelle, et je me rappelle bien, que j'ai trouvé l'expérience de la marche dans le désert torride extrêmement difficile*, et le problème du manque constant d'eau très stressant. Alors???
Alors, le temps qui passe me fait mesurer à quel point c'était une expérience inoubliable, que j'ai envie de revivre dans de meilleures conditions, et dans son intégralité. J'ai également envie, très envie, de revoir Louise fouiller dans son portefeuille tout en conduisant, près de Warner Springs, j'ai envie de revoir Donna à Agua Dulce, envie de me goinfrer à Paradise Café, envie de refaire l'épouvantable descente brûlante vers Nance Canyon, au bord du malaise tellement il faisait chaud, j'ai envie de revoir Terri Anderson me montrer ses fesses à Casa De Luna la bien nommée, envie de me retrouver dans la Vallée de Chihuahua chez Mike Herrera, envie de rencontrer tous les dingues furieux que ce parcours attire comme un aimant, ces "cinglés qui brûlent la vie comme une chandelle romaine" dont parlait Jack Kerouac.
Donc, cette idée s'insinue peu à peu dans mon esprit, et j'ai déjà vérifié le prix du billet d'avion pour Los Angeles le 1er avril 2013.

L'état de mes genoux ne s'améliorera pas. En revanche, je pourrais utiliser mon expérience pour alléger au maximum mon sac, mieux me préparer physiquement, mieux gérer la question de l'eau (quoique, sur ce point, j'ai quelques doutes). Les semaines qui viennent vont probablement clarifier la situation et vous indiquer s'il y aura une suite à ce blog interrompu.

Allo, Docteur? J'ai passé du temps dans un désert calciné au printemps dernier, à me demander ce que je foutais là, à me demander pourquoi je m'infligeais de telles souffrances. La vision de mon œil droit en a pris un sérieux coup et on a établi que c'était une conséquence directe de la déshydratation dans le désert. Et je n'ai actuellement envie que d'une chose: y repartir. C'est grave, Docteur?


* Consulter, pour mémoire, le billet du 17 avril: Third Gate Cache.

Aux antipodes du désert d'Anza-Borrego: Pyrénées, octobre 2012.



Aux antipodes des Pyrénées, aux antipodes de ma vie: San Felipe Hills, désert d'Anza-Borrego, avril 2012:





2 commentaires:

  1. Philippe:J'ai suivi votre blog avec interet cette annee. Je me demande:pourquoi retourner dans le desert? Vous y avez vecu des moments fantastiques, mais ce ne sera plus la meme chose. Vous pouvez toujours y revenir plus tard. Pourquoi ne pas faire une autre section? Les montagnes de la Sierra Nevada sont magnifiques. C'est tres different des Alpes: beaucoup plus sauvage, un temps en general magnifique, les rares randonneurs toujours aussi sympas.Quoique vous decidiez, je me rejouis de suivre vos aventures 2013.

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    1. Bonjour,
      ... et merci de votre commentaire. Retourner sur le PCT m'apparaît de plus en plus comme une nécessité, plus que comme une simple envie. C'est étrange. En ce qui concerne le choix de la section, il est cornélien. J'ai déjà parcouru la Sierra Nevada il y a une quinzaine d'années (John Muir Trail) et j'ai longtemps dit à mes amis qu'il s'agissait là des plus beaux paysages de montagne que j'aie jamais vus. Cependant, le désert... Comment dire? Je sens plusieurs motivations: une attirance pathologique pour cet environnement, peut-être du fait de sa difficulté. C'est réellement une épreuve et la satisfaction qu'on en retire est à la hauteur du défi. Et je suis frustré d'avoir rencontré autant de problèmes au printemps dernier et de n'avoir pas parcouru l'ensemble des 1200 km de déserts. Il y a certainement un désir... esthétique de partir du monument de Campo et d'aller jusqu'à la Sierra. De surcroît, je garde dans une case secrète de mon cerveau perturbé une envie de parcourir l'intégralité du Pacific Crest Trail. Dans cette hypothèse, je dois penser que c'est une bonne idée de repartir au début.
      Le problème d'un tel parcours, c'est effectivement de choisir où aller. Donc, puisque j'ai "foiré" le début, repartons-y donc. Je vais clore sur une pensée imbécile, sans doute: j'aime le "travail bien fait", et mes péripéties printanières m'ont laissé sur ma faim.
      Elle était très intéressante, votre question. Elle m'a poussé à réfléchir et je me rends compte qu'il doit y avoir là un désir de faire les choses de manière ordonnée. Oui, je sais, c'est sans doute idiot, mais partir sur le PCT est objectivement une idée parfaitement idiote. Heureusement, malgré mon âge, j'ai encore envie de faire des choses idiotes.
      Amicalement,
      Philippe

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