Une journée de montagnes russes… euh, non,
américaines.
Debout à 6 heures, prêt à démarrer à 7.
Aucun ours n’a pris la peine de s’intéresser à mon sac de nourriture. Ça
confirme que ce que j’ai à manger n’est vraiment pas terrible.
Je vous ai déjà dit que le Pacific Crest
Trail était un parcours pour malades mentaux. Je confirme. Pendant que je me
prépare, je vois passer un randonneur… en courant! Il a à peine le temps de me
dire bonjour avant de s’évaporer. Ils n'auraient pas dû le libérer si tôt, celui-là.
Quant à moi, je serai tout seul toute cette journée,
encore. Il faut d’abord ressortir de Holcomb Canyon, ce qui signifie grimper.
Et grimper sérieusement. Mais le paysage est somptueux, au-dessus du Mojave, et
il ne fait pas trop chaud. Des conditions idéales, telles qu’on en
redemanderait. J’ai un peu mal partout, et des ampoules douloureuses aux pieds,
mais je me sens plutôt bien.
Je vois que je suis près de l’extrémité de
la chaîne des San Gabriels, et que ça commence à descendre doucement vers le Mojave.
J’aperçois des bâtiments. J’aimerais bien descendre.
Mais le Pacific Crest Trail, ou ses concepteurs, ne l’entendent pas de cette
oreille. Oh, il y a encore une montagne là, chef, on pourrait y monter, hein? Hein?
Et voilà donc qu’au moment où je suis quasiment en bas, le sentier bifurque et
attaque une rude ascension qui va me conduire à 2400 mètres d’altitude. J’en ai
déjà plein les jambes et le dos, des ampoules de plus en plus douloureuses (les chaussures doivent être trop grandes...) mais on n’a pas vraiment le choix. En avant
pour la grimpette au soleil. Le but est de rejoindre le PCT officiel, à la fin
du détour des grenouilles à pattes jaunes, à Burkhart Trailhead.
Lors de pauses, j’étudie les cartes et note
(ce sont des informations que l’on n’oublie pas, quand on est sur le PCT) qu’un
restaurant est indiqué sur la Highway 2, à quelques miles en contrebas du
sentier. Newcombs Ranch, je note, d'autant que ça se gâte sur le front des ampoules.
Je parviens enfin, un peu décalqué, à la
jonction avec le sentier officiel. Terminé, le détour des grenouilles. Il y a
un sentier qui rejoint “directement” la Highway 2 et, à l’horizon de l’horizon,
le restaurant. Je décide de le prendre. Que pensez-vous qu’il fasse, ce sentier
“direct”? Il remonte, vers un autre sommet. Ça devient un peu infernal. Les
ampoules sont maintenant vraiment pénibles et j’ai du mal à poser les
pieds par terre. Pas le choix, pourtant, il faut bien en sortir. Je commence,
avec joie, à sentir, puis à croiser, des marcheurs sans sac. Ceux-là ne doivent
pas venir de loin. Le parking de la route 2 doit nécessairement approcher. Mais
pourquoi donc monte-t-on sans cesse? Parce que la route est tout là-haut, bien
au-dessus de Cooper canyon dont je viens.
Et je rencontre une famille avec enfants.
C’est bon signe. Et ils entament la conversation, curieux de savoir ce que je
suis en train de faire. Je glisse sournoisement dans la conversation que j’ai
quitté le PCT pour aller faire du stop et rejoindre Newcombs Ranch, à quelques
miles de là. Sans surprise, on me propose vite de m’y emmener. Ce sont des
Boliviens, installés depuis longtemps aux États-Unis, et ils sont bien
américanisés, vu leur gentillesse. Nous finissons par arriver aux voitures, et
l’un d’eux m’emmène vers le restaurant. Une belle route de montagne, qu’il
descend à tombeau ouvert. Ça y est, me dis-je, je vais mourir dans un accident
de voiture, au fin fond d’un ravin américain des San Gabriels. C'est con, quand même. Absolument effrayant.
Les pneus crissent, la voiture chasse, je n’en mène pas large. Mais il finit
par me déposer devant Newcombs Ranch, envahi par les bikers de la région. C’est
assez peu surprenant, finalement, vu la beauté de cette route de montagne
sinueuse. Il y en a qui doivent se faire plaisir. Pas des Harley, non, des
Ducati, des Japonaises, des sportives, quoi. Je me rends compte que je sens
mauvais, mais l’urgence, pour moi, c’est de manger et de boire.
Après, il va falloir se préoccuper du moyen
de revenir sur le PCT, à deux ou trois miles de route de là. Pour le stop, sur
cette route peu fréquentée, ce n’est pas gagné. J’aurais vraiment bien aimé
qu’il y ait un motel dans le secteur…
Je dois rejoindre un endroit nommé Three
Points, au mile 404 depuis le Mexique (647 km). Mais après cette pause, mes pieds sont en très piteux état, mon genou me fait mal, la rate se dilate, bref... Je demande où peut être le motel le plus proche, histoire de me soigner. 27 miles plus bas, me dit-on.
J'ai vraiment très mal et je ne sens pas bien du tout une nouvelle nuit sous la tente. Il faudrait de toute façon faire du stop vers le haut. Je choisis d'en faire vers le bas, et on verra demain.
Et là, le destin va frapper, très, très fort.
Une première voiture approche, sur cette route peu fréquentée. Je lève le pouce, ils s'arrêtent. Je n'en crois pas mes yeux. Mais ce n'est pas fini, non, non. Craig et Cindy me prennent, après avoir eu un temps d'hésitation. Ce qui va suivre est difficile à expliquer, tant je suis abasourdi. La conversation s'engage, parce que le trajet est plus long que je l'imaginais. Je suis fasciné par le niveau culturel de mes interlocuteurs. Je vais finir par comprendre pourquoi. Mais Cindy me propose déjà de m'emmener dîner dans un restaurant mexicain de Montrose, au nord de Los Angeles. Un soir de Cinco de Mayo, grandiose! Et bien vite, ils m'invitent chez eux pour la nuit! À Hollywood. Tous deux travaillent pour le cinéma. Craig est ingénieur du son, Cindy assistante réalisatrice. La conversation devient surréaliste, tellement elle est brillante. Je ne peux littéralement pas vous raconter ce bonheur. Craig m'apprend entre autres qu'il est fou de musique et qu'après avoir vu le film "Tous les matins du monde", que je vous recommande aussi, il s'est mis à la viole de gambe! Sérieusement, puisqu'il donne des concerts. Et je vais terminer cette journée que j'aurais dû achever sous la tente, crasseux et puant, dans une belle maison, douché, whisky à la main, à écouter un récital de Craig (voir vidéo)... Un moment de bonheur. Je vais essayer de ne pas exagérer: cette soirée, et la conversation que nous avons eue, restera dans ma mémoire comme une des plus extraordinaires de ma vie.
Ah, au fait, vous vous rappelez ce que je dis et répète inlassablement sur la gentillesse de ce peuple merveilleux? Cindy travaille demain, elle est sur un tournage. Mais elle va prendre le temps de me conduire sur le PCT à Agua Dulce, chez Donna et Jeff Saufley...
Ce fut une journée de réflexion philosophique, si je puis dire. J'en ai retiré une immense leçon, évidente. Je n'en ai plus rien à foutre de suivre le Pacific Crest Trail mètre par mètre. Vraiment plus rien. Je SAIS, en revanche, que la véritable richesse, le véritable trésor, de ce parcours, ce sont les rencontres humaines. Les Rob et Pam, les Richard et les Pat, les Alaska, les Running Wolf, les Gourmet, les Cindy et les Craig. Et j'irai dorénavant là où pourront me conduire ces belles rencontres. Et si, comme je vais le faire demain, je court-circuite encore des miles du PCT, je vais vous livrer le fond de ma pensée: RIEN À FOUTRE. Ce ne sont pas les miles qui m'enrichissent, ce sont les gens merveilleux que je rencontre. Et je ne suis pas bien convaincu de l'intérêt de "prouver" que je suis capable de marcher 4000 kilomètres, que je suis vraiment très fort. Je n'ai pas ce genre de petite vanité. Par contre, oui, je marche comme un taré, et c'est vraiment dur. Et oui, je suis très personnellement fier de ce que j'arrive à faire, à mon grand âge.
Ah, au fait, j'ai marché 19 miles aujourd'hui (30 km), avec 1300 mètres de dénivelé. Le paysage était globalement très beau, voire magique, mais mes pieds sont en capilotade. Je soupçonne qu'il doit y avoir moyen d'obtenir de REI, extraordinaire société d'un pays extraordinaire, qu'ils m'envoient la taille en-dessous, gratuitement. Je vais y réfléchir.
Snowplant. |
Manzanita. |
Craig et Cindy. |
La phrase du jour:
Craig et Cindy ont adopté un chat errant, qui était chez le vétérinaire aujourd'hui, et qu'ils allaient récupérer.
Craig, en me regardant: "Lots of strays today!"
"Beaucoup de chats errants, aujourd'hui!"
Mes réflexions non philosophiques à moi :
RépondreSupprimer1- Y a longtemps kon a tous vu "Tous les matins du monde"
2 - On t'aime mieux dans tes considérations philosophiques actuelles que celles d'il y a une quinzaine de jours. Le psy des hikers tarés serait-il en grève ? kil y reste !!!
3 - Juste pour me rassurer, quelqu'un dans le public voit-il la différence entre les photos d'avant et de maintenant ? Yan Arthus Bertrand est ok pour racheter le Nikon D 46 WXZ 372 sur ebay...
4 - Si tu rachètes une ciquantième paire de chaussures, je te fais bouffer les 49 premières.
T'as les félicitations du jury et des bise de la peste.
Ôtez moi d'un doute ! Le gars, là, il est sur le PCT ou dans une annexe du club méd ?
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