mercredi 30 mai 2012

30 mai Poodle Dog, retenez bien ce nom


Dans la mesure où je peux imaginer que les futurs aspirants thru-hikers français pourraient malencontreusement tomber sur ce blog, il me paraît utile de leur apporter des informations supplémentaires sur le très redoutable "Poodledog Bush", le buisson du caniche (!), cette plante vénéneuse omniprésente sur le PCT, qui fait des ravages. 
Cam Honan, le randonneur cinglé qui parcourt 60 km par jour, vient d'en être victime, gravement. Rien de tel qu'un exemple concret pour bien jauger ce que je disais à propos de cette charmante plante. Je vous traduis donc son journal, reproduit ci-dessous...





"Je me suis traîné jusqu'à Kennedy Meadows, les derniers 12 miles m'ont péniblement pris 7 heures (un tel tronçon ne devrait normalement prendre que 3 heures, avec la promesse de nourriture chaude et de glace Ben & Jerry's au bout du sentier). Il était temps de consulter un médecin. Heureusement, j'ai pu être emmené rapidement jusqu'à la ville de Ridgecrest, grâce à un couple de merveilleux habitants de l'Oregon, Judy et Dan, que j'avais déjà rencontrés juste après Mt Laguna le 2e jour.
En arrivant à destination, j'ai pris une chambre d'hôtel, une douche bien nécessaire, j'ai acheté des vêtements propres dans une friperie, et je suis parti à l'hôpital. En résumé, on m'a tout de suite fait une piqûre de stéroïdes, et ordonné un régime à base de cortisone, antihistaminiques, et repos, les jambes en l'air.


Notes concernant mon expérience avec le Poodledog Bush:
• Certains symptômes mineurs étaient évidents au bout de 24 heures. Cependant, les choses ne sont devenues vraiment désagréables qu'après 4 à 5 jours.
• Ce ne sont pas tant les démangeaisons (auxquelles on peut se faire) que l'œdème qui est devenu le problème principal.
• Une fois que l'irritation est carrément apparue le 4e/5e jour, elle s'est rapidement répandue à la fois vers les pieds, et vers le haut jusqu'à la poitrine et le cou. Ceci bien que j'aie régulièrement lavé mes chaussettes, mon short et ma chemise.
• Ma décision de laisser les choses suivre leur cours et de retarder la consultation d'un médecin provient de mon stoïcisme et mon entêtement (qui remonte à mes ancêtres bagnards irlandais), plutôt qu'à une analyse objective. Mon conseil à mes camarades randonneurs qui sont sérieusement atteints par le Poodledog Bush est de rechercher un médecin aussi vite que possible pour l'éradiquer avant que l'irritation n'ait le temps de se répandre.

Allongé sur mon lit d'hôtel, je ne peux m'empêcher de sourire avec ironie de ma situation actuelle. En quelques deux décennies de randonnée dans le monde entier, j'ai été en contact avec des grizzlies, des serpents venimeux, des chiens enragés, des bandits mexicains armés et des rapides furieux. Qui aurait pu imaginer que je sois mis hors de combat par une plante d'aspect anodin du nom de "Caniche"? Ils auraient au moins pu l'appeler "Pit Bull" ou "Rottweiler"!"


Shuffled into Kennedy Meadows, the final twelve miles taking a painfully slow seven hours (such a stretch would normally take around three hours with the promise of hot food and Ben & Jerry’s at trail’s end). The time had come to seek medical attention. Fortunately I was able to quickly procure a ride to the town of Ridgecrest, courtesy of a couple of wonderful Oregonians by the names of Judy and Dan (?), whom I had previously met just after Mt. Laguna on the second day of the PCT.
Upon gaining my destination, I checked into a motel, had a long-overdue shower, bought a spare set of clean (sort of) clothes from the Thrift Store and finally headed to the hospital. To cut a long story short, I was given an immeditate steroid shot, then prescribed a steady diet of Prednizone, antihistamines, elevation and rest.
Notes in regards to my experience with Poodle Bush:
  • Some minor symptoms were evident after 24 hours, however, things didn’t really become uncomfortable until some four or five days after contagion.
  • It wasn’t so much the itching (which can be tuned out) as the swelling which turned out to be the major issue.
  • Once the rash emerged in ernest on the fourth/fifth day, it spread quickly both downwards to my feet and upwards to my chest and neck. This was despite the fact that I cleaned my socks, shorts and shirt regularly.
  • My decision to let it “run its course” and delay medical attention was made out of stoicism and stubborness (goes back to my Irish convict heritage), rather than objectivitiy. My advice to fellow hikers who are exposed in a big way to Poodle Bush, is to get themselves to a doctor sooner rather than later and knock it on its head before it has a chance to really spread.
Lying in my motel bed I couldn’t help but have an ironic chuckle in regards to my present situation. In some two decades of hiking around the globe, I have had close encounters with grizzlies, King Browns, rabid dogs, gun-toting Mexican bandits and roaring rapids. Who would have thought that I would finally be put out of action by an innocuous sounding plant by the name of ‘Poodle Dog’. I mean, really, it at least could have been called ‘Pit Bull’ or ‘Rottweiler’ bush! 


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samedi 26 mai 2012

26 mai À vendre, matériel de randonnée



"Late start at 7.50am, but hiked steadily throughout the day. Not a great campsite just up from Long Creek, but by 8pm my lack of sleep over the past week had caught up with me, and I was feeling wearier than an oarsman on a Roman slave ship during a heated maritime engagement."

"Départ tardif à 7 h 50, mais j'ai marché d'un bon pas toute la journée. Campement pas terrible un peu au-dessus de Long Creek, mais vers 20 heures j'ai été rattrapé par mon manque de sommeil depuis une semaine, et je ressentais une lassitude plus grande que celle d'un esclave dans une galère romaine pendant une bataille navale."






Voilà le premier compte-rendu d'un hiker qui a démarré à Campo le 9 mai. Au-delà de l'image curieuse, il faut préciser qu'il avait de quoi éprouver une certaine lassitude. Cam a en effet parcouru 61 kilomètres le premier jour. Pour ma part, comme pour Alaska, Justin, Southern, il nous a fallu un jour et demi pour parvenir à Lake Morena, 32 km. Ensuite, au prix d'un très gros effort, je suis arrivé à Mt Laguna en une seule journée, ce que peu de mes petits camarades ont pu faire. Et j'étais alors à 69 km du départ à Campo. Trois journées d'efforts, et voilà que je lis le blog d'un type qui a couvert 61 km en une seule journée (en partant tard!) et qui se plaint de sa lassitude... Ça vous fout un sacré coup au moral, non?
D'autant que Cam, qui est le randonneur que Steve a rencontré à Kennedy Meadows, couvert de pustules à cause d'une fréquentation malencontreuse de poodledog bush*, ne s'est pas arrêté là. Le deuxième jour, il est arrivé à Scissors Crossing, soit 63 km. Le troisième jour, il a un peu accéléré et franchi 65,2 km. Le quatrième jour, il a dû éprouver un peu de lassitude et n'a couvert que 56 km. Lamentable. Et ainsi de suite. C'est bien simple: il a rejoint Steve à Kennedy Meadows, alors que celui-ci était parti plus d'un mois auparavant.


En réalité, Cam, australien, est un dingue chez les dingues. Il a déjà parcouru un nombre invraisemblable de sentiers longue distance, dans le monde entier, et son projet actuel est d'en parcourir 12 à la suite, dont le Pacific Crest Trail. Soit 24 000 kilomètres, qu'il estime pouvoir abattre en 17 à 18 mois. Le plus effrayant, peut-être, est de prendre conscience que s'il marche tous les jours et parcourt 60 kilomètres par jour, il ne lui faudra que 71 jours pour atteindre le Canada. À peine plus de deux mois. Mais ce n'est même pas ça qui est le plus impressionnant: c'est qu'à ce rythme, il ne battra quand même pas le record de Scott Williamson, de 64 jours! Il y a quelques années, le PCT a été parcouru en courant par Dave Horton. Stupéfiant. Plus stupéfiant encore, même en courant, Dave Horton n'a, lui non plus, pas battu le record de Scott Williamson. En cette année olympique, tout ça donne à réfléchir. Les performances les plus sidérantes ne sont pas toutes accomplies dans un stade.


Si vous n'êtes pas rebuté par l'Anglais, je vous encourage à jeter un coup d'œil au site de Cam, The Hiking Life. Il est riche d'informations et de conseils, même si on se trouve là à des niveaux stratosphériques un peu déprimants. Cam y donne en particulier les détails de son équipement, avec un sac qui pèse 3 à 4 kg, dit-il, auxquels il accepte d'ajouter 1 à 2 kg de matériel supplémentaire pour l'hiver ou la neige. Je dois avouer que ma propre pitoyable expérience me fait contempler avec un regard neuf les choix de Cam en qui concerne les "Big Three", tente, sac de couchage, sac.


* Cam a mis sur cette page de son blog des photos des effets du poodledog. Euh, ça fait un peu peste bubonique dernier stade...


Ah, j'oubliais. Cam Honan a déjà parcouru le Pacific Crest Trail en 2007...






"On July 2, 2011, I set off from Cape Alava, Washington, on the first of what I planned would be 12 long walks through North America. As of the end of April, 2012, I am nine hikes and seven thousand miles into my journey. Assuming I have any cartilage left in my knees, I hope to be finished by Christmas this year. If you are interested in following along, you can check out my blog at www.thehikinglife.com/journal/"


"Le 2 juillet 2011, je suis parti de Cape Alava, dans l'État de Washington, pour la première des 12 longues marches que je projette de faire en Amérique du Nord. À la fin d'avril 2012, j'en suis à neuf parcours et 7000 miles. S'il me reste encore des cartilages dans les genoux, j'espère finir pour Noël de cette année. Si vous êtes intéressé de me suivre, consultez mon blog: www.thehikinglife.com/journal.

vendredi 25 mai 2012

25 mai Nouvelles du front


Quelques nouvelles des hikers dont je suis — ou essaie de suivre — le parcours. Toujours rien en ce qui concerne Alaska, et j'avoue que ça me préoccupe de plus en plus. J'ai envoyé un message au forum du PCT, et à Donna, à Agua Dulce. Steve, lui, est arrivé à Kennedy Meadows. Il en a terminé avec le désert (pas avec la soif, il y a des secteurs au moins aussi arides en Californie du nord) et attaque en ce moment même la Sierra Nevada. Il vient de m'écrire, et me raconte qu'il a rencontré un hiker très sérieusement touché par le poodledog, qu'il a dû emmener chez un médecin. Ce dingue-là est en chemin pour parcourir... 24 000 kilomètres en 18 mois. J'attends des explications plus précises, si Steve veut bien me les donner. Si vous n'avez pas déjà pris votre calculette, ça représente 44 km par jour, sans le moindre arrêt. Tous les jours, pendant 18 mois. Euh... Je comprends mieux, pour le poodledog: je doute qu'à un tel rythme, il ait pris la peine de jouer à la marelle pour l'éviter. J'aimerais bien avoir des détails, mais Steve utilise un iPhone avec lequel il est fâché, et je crains qu'il n'ait guère envie d'écrire de longs textes, façon Big Shot. Je n'ai pas eu de nouvelles récentes de Gourmet, en revanche.
Au moins deux des randonneurs auxquels je m'intéresse viennent d'abandonner sur blessures diverses, dont le très répandu "shin splints", la périostite tibiale, une inflammation très douloureuse au niveau du tibia.

Mais ce qui m'a particulièrement intéressé, c'est ce passage du blog de Mike et Jesse, qui viennent d'arriver à Wrightwood, par le redoutable Acorn Trail que j'ai moi-même emprunté et où j'avais eu la surprise de trouver des traces de VTT. Bref, je peux imaginer que certains se demandent si je n'exagérais pas un peu en évoquant sans cesse la gentillesse américaine (Anne-Marie me disait qu'il devait bien y avoir des méchants quelque part... Oui, Anne-Marie, il y en a aussi.), et je vais me faire un plaisir de traduire ce qu'écrivent Mike et Jesse. Un exemple, un de plus, de ce que peut vous réserver le Pacific Crest Trail. C'est toujours utile de recouper les informations, non?

"Après être descendus vers le village par l'abrupt Acorn Trail, nous sommes partis chercher des sucreries et des boissons fraîches. La quincaillerie disposait d'une liste de trail angels qui offrent des lits, la lessive, internet, ou des trajets en voiture. Juste au moment où nous commencions à passer quelques coups de fil pour trouver un logement pour la nuit, un monsieur s'est arrêté devant nous, devant l'épicerie, s'est présenté comme étant Jeff, et nous a offert un toit pour la nuit. Nous avons bien vite accepté et nous sommes montés dans sa voiture pour le court trajet d'un peu plus d'un kilomètre jusqu'à sa maison. Jeff nous a montré notre logement, une douillette petite chambre au-dessus du garage, nous a fait faire le tour de sa maison et nous a dit de nous servir de tout ce dont nous avions besoin. Nous avons bavardé un moment et peu après, il est parti pour la remise de diplôme de son fils, en nous disant que les clefs du pick-up qui se trouvait dans l'allée étaient sur le tableau de bord, et que nous pouvions l'emprunter pour aller en ville si nous le souhaitions. Je dois avoir l'air d'un disque rayé, mais une fois de plus nous avons été soufflés par sa fantastique gentillesse."


Blog de Mike et Jesse, 24 mai:

After hiking down the steep Acorn Trail into town we set about getting some candy, and cold drinks.  The hardware store had a list of Trail Angels who offer beds, laundry, internet, rides etc. etc.  Just as we were about to start making some calls to try and find a home for the night a gentleman pulled up to us in front of the grocery store, introduced himself as Jeff and offered us a roof for the night.  We promptly accepted and hopped in the car for a short mile ride down the highway to his place.  Jeff showed us to our quarters, a cosy little room above his garage, gave a tour of his house and told us to help ourselves to whatever.  We chatted a bit and shortly afterwards he took off for his sons graduation ceremony telling us as he left that the old white pickup in the driveway has the keys in it and feel free to take it into town should we need to.  I probably sound like a broken record but once again we were all blown away by his tremendous kindness.






Les blogs que je suis:


Alaska: http://www.danswalk.net/


Steve: http://www.trailjournals.com/entry.cfm?trailname=13383


Alex: http://headnorth2012.blogspot.fr/


Seth & Kristin: http://papasierras.blogspot.fr/


Natalie, Erin & Collin: http://bearingnorthpct2012.blogspot.fr/


Castle: http://castleonthepct.blogspot.fr/


Russ: http://russmease.blogspot.fr/


Mike & Jesse: http://nogatheringmoss.blogspot.fr/


Skyehiker: http://skyehiker.blogspot.fr/




Barrel cactus.

mercredi 23 mai 2012

23 mai Il reste 10 mois...


Pour moi, le compte à rebours a commencé. Je veux repartir sur le Pacific Crest Trail, et tout reprendre au début, en évitant de renouveler les deux énormes erreurs de (faux) débutant que j'ai commises: être trop chargé, et pas assez entraîné. Pas besoin de faire des décennies de montagne pour deviner ça, et pourtant... Bon, en tout cas, ça confirmerait qu'il n'est jamais trop tard pour apprendre. Ou alors, qu'on ne tire jamais les bonnes leçons, selon le point de vue.

Je suis, bien évidemment, les aventures de ceux qui sont actuellement sur le Pacific Crest Trail dont je connais les blogs. En tout premier lieu, je suis franchement inquiet concernant Alaska, dont le blog s'est interrompu le 8 mai, à la suite d'une sérieuse infection, et qui n'a plus donné signe de vie depuis. Je lui ai écrit à deux reprises, mais je n'ai eu aucune réponse.
Steve, lui, fait actuellement une (longue) pause non loin de la fin du Mojave, avant d'atteindre Kennedy Meadows et la Sierra Nevada. Mais je lis aussi un certain nombre d'autres blogs et ce qui me chagrine, c'est le sentiment que la plupart d'entre eux ne rendent pas bien compte de la difficulté du parcours. Non que je pense qu'il faille à tout prix geindre sur son sort, mais je me suis efforcé pour ma part de partager mes états d'âme, tels que je les ressentais.
Steve, par exemple, n'est visiblement pas un maniaque de l'écriture et son journal est rédigé en style quasi télégraphique. J'ai le sentiment qu'il faut avoir été là-bas pour deviner entre les lignes les souffrances tacites. Voici ce qu'écrit Steve pour la journée du 17 mai, dans le Mojave:

"[…] Used Lenny's rule - don't stop. Pack was killing my shoulders and back but didn't stop. Made it to Walker camp ground about 1630 hrs. Sat with Neil who was having lunch. Was a hard press for me, especially starting out from the 631 cache. A quote from a previous hiker "Punch that hill in the face" but last part was nice easy walk in to Walker camp ground. Andy, Neil and I discussed that of all the forest we have hiked through in So Cal about 70% has been burned. For those who think that we need fires for new growth - maybe they should colonize the moon where there are no trees and nothing but sun. The last 50 or so miles to Walker Pass is every bit of desert that coming out of Hiker Town is.[…]"


"Adopté la règle de Lenny: on s'arrête pas. Sac me détruisait les épaules et le dos, mais pas d'arrêt. Arrivé à Walker camp vers 16 h 30. Pause avec Neil qui déjeunait. Il a vraiment fallu forcer pour moi, surtout en partant de la cache au mile 631. Un hiker avait écrit: "Cassez-lui la gueule, à cette montagne", mais la fin était plutôt facile à l'approche de Walker camp. Andy, Neil et moi avons discuté de toute la forêt traversée en Californie du sud, brûlée à 70%. Pour ceux qui pensent qu'on a besoin d'incendies pour stimuler la repousse, ils devraient peut-être partir coloniser la lune où il n'y a pas d'arbres, seulement du soleil. Les derniers 80 km vers Walker Pass, c'était du désert aussi aride qu'à la sortie de Hiker Town."



Et je finissais par me demander si j'étais vraiment le seul à juger que le PCT est une épreuve plutôt redoutable et à tenter de l'exprimer. Mais je viens de tomber sur le blog de Noah Strycker, qui a parcouru le PCT en 2011. Et voici ce qu'il écrit à propos de l'étape de Rodriguez Spur, dans le désert d'Anza-Borrego, à la fin de laquelle j'ai moi-même subi une rude chute de moral. Ce n'est pas charitable, sans doute, mais lire ce qui suit m'a... rassuré, en quelque sorte. D'autant que Noah n'est pas réellement du genre amateur: il a bouclé le PCT en moins de quatre mois.


Noah Strycker:

22 mai 2011, L'impitoyable désert

"De loin ma journée la plus difficile jusqu'à présent. Le sentier serpentait au travers de collines arides dans le monumental désert d'Anza-Borrego. Un grand huit sinueux qui s'enfonçait de plus en plus profondément dans un désert sans pitié. Je n'ai vu personne, ni le moindre arbre, jusqu'au milieu de l'après-midi, heure à laquelle le soleil brûlant était un marteau-piqueur suspendu au-dessus de mon moral. Le marteau m'est tombé dessus quelque part au milieu d'un tronçon de 11 km de montées et de descentes incompréhensibles, et j'ai passé le reste de l'après-midi d'humeur très sombre.

Je pense que ce parcours est beaucoup plus dur moralement que physiquement, en particulier quand on le fait seul. Mon père m'a rejoint à la fin de la journée et nous passons la nuit dans un motel voisin, à Borrego Springs, ce qui m'a aidé (il va rester dans le coin pour me rejoindre à Warner Springs après-demain). Et j'ai couvert 21 miles difficiles aujourd'hui — j'espère que ça deviendra plus facile en progressant vers le nord!"


La photo ci-dessus est celle de la citerne à souris marinées de Rodriguez Spur.







Désert d'Anza-Borrego.

Près de Rodriguez Spur.

samedi 19 mai 2012

19 mai Un soutien de Saint Augustin

Retour en France, sous la pluie et par une température fraîche, assez éloignée de celle d'Anza-Borrego ou du Mojave.
Anne-Marie — jamais en manque pour ce qui concerne l'ironie — m'a laissé une citation de Saint Augustin, bien en vue:

"Il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d'un pas ferme".

Et elle a ajouté, à la main: "Tâchons de suivre le bon sans boiter"... Oui, c'est le mieux, finalement.

Entre Saint Augustin et Anne-Marie, l'objectif est clairement fixé. On va s'y atteler dès cette semaine.








jeudi 17 mai 2012

17 mai Retour vers le futur


Dans quelques heures à peine, je serai dans l'avion du retour. Triste, évidemment, de cet échec. Triste, de quitter autant de gens et d'expériences formidables...
Désormais, je vais m'atteler à une tentative de réparation des dégâts. Faut essayer de remettre ces genoux en état, si c'est encore possible. Dans cette hypothèse à laquelle je m'accroche comme à une bouée de sauvetage, les mois à venir promettent d'être chargés, et c'est une très bonne chose. Entraînement d'enfer, préparation minutieuse du matériel, je vais avoir de quoi m'occuper. Je ne tiens pas, pour l'heure, à envisager l'abandon pur et simple de ce projet fou. Dans mon esprit, une seule perspective: les efforts importants à fournir, afin de me retrouver devant le monument de Campo le 1er avril 2013 dans des conditions optimales.
Faut quand même avoir un problème d'engrenages dans le ciboulot, après avoir pu goûter à l'incroyable difficulté de ce parcours furieux, pour ne rêver que d'une seule chose: y retourner pour en chier...
Mais ce qui me rassure, d'un certain côté, c'est que des tarés de ce type, j'en ai rencontré un certain nombre, dans les déserts de Californie du sud. Et nombre d'entre eux sont bien plus frappés que moi. Oh, que oui!


Non, on ne prend pas le train.

Si, ça en vaut la peine...

mardi 15 mai 2012

14 mai Les anges du PCT


Un hiker du nom de VirGo est actuellement en train de monter un documentaire sur les trail angels. Pour l'heure, seule une bande-annonce est disponible. La voici, vous pouvez — comme toujours — cliquer sur le logo YouTube en bas à droite afin de la regarder en plus grand format.
Plutôt que de vous traduire la totalité des paroles, j'ai choisi de sélectionner certains passages. Vous apercevrez Donna Saufley, et les Anderson, Terrie (avant sa coiffure iroquois) et Joe.




Je commence par cette phrase du début, qui me concerne tout à fait directement. Ouaip, qu'ajouter d'autre?? C'est exactement ça.
"You have no idea what's about to happen to you: it's gonna hurt so bad, but it's gonna be the most amazing thing in your life!"
"Tu n'as pas idée de ce qui va t'arriver! Ça va faire très mal, mais ce sera l'expérience la plus fabuleuse de ta vie!"


"The Pacific Crest Trail is a lot more than just hiking. A big part of it is it's a community. The community of the hikers and the trail angels."
"Le Pacific Crest Trail, c'est bien plus que de la randonnée. Pour une large part, c'est une communauté. La communauté des randonneurs et des trail angels."


À 1'39, Terrie et Joe:
"We became trail angels as a result of my interest and love for the Pacific Crest Trail...
... And my interest and love for people."
"Nous sommes devenus trail angels du fait de mon intérêt et mon amour pour le Pacific Crest Trail...
... et de mon intérêt et mon amour pour les gens."


Warner Springs Monte:
"It's very unique. It's like the way that we used to wish — back in the 60s — the world was? It's that way, on the Pacific Crest Trail, people helping people."
"C'est tout à fait unique. C'est comme ce qu'on souhaitait, dans les années soixante, que le monde soit. C'est comme ça, sur le Pacific Crest Trail. Les gens aident les gens."




samedi 12 mai 2012

12 mai Wolverines of the PCT

Amis cinglés, bonjour. Je ne suis pas encore rentré en France, mais je peux d'ores et déjà vous annoncer officiellement que je serai au départ, à la frontière mexicaine, en avril 2013. Naturellement, cet engagement repose sur un petit paramètre que je ne maîtrise pas totalement: la capacité pour un chirurgien à me redonner des genoux opérationnels... Le reste, je m'en charge.

Je voulais aujourd'hui évoquer un des aspects qui rendent le PCT magique, les trail angels. Ces êtres humains rares, qui sacrifient leur confort et leur argent pour accueillir, année après année, les dizaines, voire les centaines, de tarés malodorants qui passent leur porte. Seize ans d'activité pour les Saufley, à Agua Dulce, treize ans pour les Anderson, à Casa de Luna, pour ne mentionner que ceux que j'ai rencontrés. Quand j'ai évoqué le problème du financement de ces opérations avec Terrie Anderson, elle m'a répondu: "Oh, l'an dernier, on s'y est à peu près retrouvés". À peu près, seulement? Pouvez-vous, pouvons-nous, seulement imaginer ce dont il s'agit, là? Mettre entre parenthèses sa vie pendant deux mois, chaque année, accueillir chez soi littéralement des centaines de types et mettre tout en œuvre pour les aider? Douche, lessive, logement, nourriture, courrier, transport, et j'en passe. C'est proprement incroyable.
Mais sans les trail angels, comme me l'a écrit Jackass, le Pacific Crest Trail redevient un chemin de terre au milieu de nulle part ("just another line in the dirt"). 

J'ai évoqué, il y a quelques semaines, ou quelques mois, je ne sais plus, le problème de la machine à laver de Donna Saufley. Donna, pour ne prendre que cet exemple, lave le linge de tous les hikers qui arrivent chez elle. Cela représente plusieurs machines par jour, des centaines par saison. Laver le linge, c'est bien évidemment aussi de l'eau et de l'électricité. Mais la machine de Donna était à l'agonie. Et Jackass, un des hikers (Jason Moores), a eu la brillante idée de vouloir rendre aux trail angels un tout petit peu de l'immense générosité et solidarité dont ils font preuve auprès des hikers. Il a organisé une collecte de fonds pour remplacer la machine à laver de Donna. Cette collecte a eu un grand succès, et en quelques heures, les fonds nécessaires avaient été rassemblés.
Du coup, Jason / Jackass a décidé de continuer. Il a monté une organisation, Wolverines of the PCT, dont le but est de collecter des fonds pour aider les trail angels à poursuivre leur activité et les aider, par ailleurs, de manière plus... concrète. Jackass part cette semaine, par exemple, avec plusieurs autres volontaires, aider les Saufley à monter les tentes dans leur jardin pour accueillir le flot de hikers qui sont en chemin. Il vont ensuite dans le nord de la Californie aider Georgi Heitman à s'installer, elle aussi.
Tout ceci est assorti d'une collecte de fonds transparente (https://fundrazr.com/campaigns/3J6p8).

Je vous ai bien expliqué, je pense, en quoi l'expérience du PCT pouvait être magique. L'expérience de la gentillesse, de la générosité, de la solidarité. Ce que Warner Springs Monte exprimait en disant, dans un documentaire sur le PCT: "people helping people", un endroit où les gens aident les gens. Un endroit où on peut faire l'expérience de ce que pourrait être une humanité rêvée.
Il faut cependant être bien conscient que tout ceci a nécessairement des limites. La fréquentation du Pacific Crest Trail augmente de manière exponentielle, et par là même met en danger cette expérience inoubliable. Cette année, l'association du PCT a émis 800 permis, un nombre record. Il y a lieu de se demander jusqu'où les trail angels pourront tenir le coup, face à cet afflux. Il est effectivement temps de les soutenir, eux aussi. Comme le disait Terrie Anderson, sans en être particulièrement amère, à propos de ceux qu'ils reçoivent chez eux: "There are givers, and there are takers." "Il y a ceux qui donnent, et il y a ceux qui prennent"... Joe, lui, a exprimé la même chose de manière plus crue: "We host hundreds of hikers. There are a few jerks. Not that many.""On accueille des centaines de randonneurs. Il y a quelques cons. Pas tant que ça."

J'ai fait un don à Jackass, bien sûr. Je préfère être dans la catégorie des givers, plutôt que des takers. Imaginons que tous mes lecteurs donnent $10 chacun, soit €7. Imaginons un monde de générosité et de solidarité, juste pour rêver. Pour soutenir un monde qui fait rêver.

Hiker Heaven.
La cour de la maison des Saufley. Imagine, aurait dit John Lennon, imaginez... Vous entrez chez des gens que vous ne connaissez pas, qui ne vous connaissent pas. Ils vous accueillent en souriant, sans poser la moindre question. Dans leur garage, votre colis de ravitaillement, votre courrier vous attendent, ainsi que toutes les informations les plus récentes sur le parcours. Au fond ( sur la photo), la tente pour le linge et la lessive. Vous vous déshabillez, vous mettez votre linge sale dans un panier. Vous prenez des vêtements dans les cagettes que vous apercevez au fond. Donna vous rapportera votre linge, lavé et séché.
Et ce n'est que le tout début de votre expérience dans cette oasis au milieu du désert. On ne vous demande rien, absolument rien. On vous a juste ouvert la porte. En grand.


vendredi 11 mai 2012

11 mai Paroles d'ivrogne

J'ai honte, mais Rob, qui me connaît bien, me disait hier que je ne pourrais pas m'empêcher, malgré mes affirmations péremptoires, de continuer ce blog. J'ai tenu un jour.
Je dois tout d'abord vous remercier. J'ai eu quelques gentils commentaires (je suis extrêmement sensible à la gentillesse, vous le savez, dorénavant) qui m'ont surpris parce que — gros benêt que je suis — je n'avais pas bien perçu que j'avais pu intéresser des lecteurs anonymes. Je pensais sincèrement écrire pour moi, et pour mes proches, la bande d'aficionados qui n'osent pas cesser de lire mon blog, pour le cas où il y aurait une interro surprise un jour.

J'ai, quelle surprise incroyable, encore quelques réflexions à vous faire partager. Drogue dure, le PCT. Je suis comme un con, avec mon genou en vrac qui me permet à peine de marcher (p..., il s'est salement dégradé, ou alors, l'excitation du trail m'a fait faire des choses que je ne pouvais théoriquement pas faire...), et pourtant, je ne peux pas me résoudre à appuyer sur le bouton pour modifier mon billet et rentrer en France. Quelque part dans ma tête, avec l'aide sournoise de Pam et Rob qui m'obligent à me gaver de la "vitamine I" des hikers, l'Ibuprofène, je suis tenté de louer une voiture, d'aller voir mes amis de Reno, voire de tenter de repartir marcher sur le PCT! Même si je sais, en survolant mon blog, que ce p... de genou m'a emmerdé depuis le départ. Et puis, il y a encore trop de neige à peu près partout, sauf dans le désert. Je peine, en outre, à imaginer la tête de Rob si je lui disais: "Rob, tu pourrais pas me conduire quelque part dans le Mojave? Je vais aller essayer de prendre l'air quelques heures...".

Le Pacific Crest Trail est un pur joyau. Exceptionnel. Unique. Inestimable. Que fait l'UNESCO, bordel? Le PCT devrait être inscrit au patrimoine de l'humanité, sans le moindre doute. Quoique, ça signerait peut-être son arrêt de mort... Non, non, l'inscrivez pas, il vaut mieux que ça reste relativement confidentiel, malgré les tarés français qui arrêtent pas d'en parler, les cons. C'est étrange. Vous pouvez ne pas bien le percevoir en errant dans des secteurs pelés de désert aride, pas aussi spectaculaires que la Sierra Nevada que je connais, par ailleurs, mais ses vapeurs hautement addictives s'infiltrent subrepticement dans votre cerveau, comme le "crystal meth" de Breaking Bad. Et voilà, z'êtes venus, z'êtes foutus.

Les leçons? Contrairement à ce que j'ai souvent lu dans les monceaux d'information sur le PCT et les blogs et journaux divers, il FAUT y arriver en forme olympique. Ils ont beau dire que la forme, on la construit sur le trail, je réponds: "pipeau!". La caractéristique unique d'un parcours ultra longue distance, particulièrement dans les secteurs de désert, est que vous ne pouvez pas prendre votre temps. C'est une course de vitesse. Il faut couvrir des distances dingues, il faut les couvrir chaque jour, il faut les couvrir rapidement à cause de la chaleur et du manque d'eau. Faire une randonnée de 30 kilomètres, c'est une chose, en faire une chaque jour pendant des mois en est une autre, c'est une évidence.

D'où le deuxième paramètre fondamental: le poids. Oui, je sais, je l'ai avoué, je suis un gros benêt. J'ai beaucoup lu, j'ai beaucoup réfléchi, on me l'a dit, on me l'a expliqué, mais quand vous êtes dans votre bureau, à 10 000 km du PCT, vous pouvez vous croire plus fort que vous ne l'êtes, plus jeune que vous ne l'êtes, plus en forme que vous ne l'êtes, avec des genoux plus fringants qu'ils ne le sont.
Et trouver la recette magique — un sac léger qui contient le minimum vital pour affronter le chaud et le froid — n'est pas simple du tout. En réalité, on entre dans la zone des compromis. Compromis entre confort et efficacité, compromis entre l'utile et l'indispensable, compromis entre légèreté et sécurité, compromis en ce qui concerne une certaine prise de risques. Certains hikers ont des sacs ultra-légers, mais dès que de sérieuses intempéries arrivent, c'est sauve qui peut, où est le motel le plus proche... s'ils peuvent y parvenir. En 2005, je crois, l'un d'entre eux n'a pas trouvé le motel et est mort à San Jacinto. Et vu ce qui nous est tombé sur la tête à Mount Laguna, nous avons eu de la chance d'être à l'abri dans le Lodge. À quelques heures près, la situation aurait été très différente, et dangereuse.

Un exemple de cette quadrature du cercle:
Le sac de Charlie (je rabâche, on parle toujours du poids du sac SANS eau ni nourriture) pesait 7 à 8 kg. Il y a beaucoup mieux, ou pire (4 à 5 kg n'est pas si rare que ça).
Mon sac vide pèse, à lui seul, 2 kg. La tente, la plus légère du marché, 1kg. Le duvet, 1,2 kg. Vous voyez qu'avec ces trois éléments, qu'ils appellent "Big Three", les trois éléments les plus lourds, je suis déjà à 4,2 kg, avant même d'avoir introduit la cuillère en titane et un caleçon de rechange, ou un bidon d'eau. Ni un Nikon D4!! C'est une affaire beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît. Parce que le PCT va vous jeter à la figure des conditions très variées, mais toujours extrêmes. De chaud ou de froid. D'un jour à l'autre, comme j'ai pu le vérifier à Mount Laguna. Mais on ne peut pas faire l'impasse sur cette question éliminatoire. Si vous êtes un tantinet trop chargé, vous ne pourrez pas aller assez vite. Vous ne pourrez pas parcourir les 30 km par jour réglementaires.
Je sais déjà que si je veux pouvoir revenir l'an prochain, avec un ou deux genoux ravalés, il faudra encore alléger mon sac. Mais je ne sais pour le moment pas comment.

Bon, allez, je n'écris plus que ce blog est enfin terminé. Je suis incorrigible.




jeudi 10 mai 2012

10 mai Game Over

Et voilà, j'abandonne... pour cette année. Je peux à peine marcher, en boitant, et je dois me prendre la jambe à deux mains pour la déplacer. Y a pas à dire, si vous voulez tester vos articulations, le Pacific Crest Trail est un terrain parfait.

Terrie et Joe partaient hier soir voir un match de baseball opposant l'équipe de Los Angeles, les Dodgers,  à leurs meilleurs ennemis, les Giants de San Francisco. Ces matches se jouent par séries de trois: on en est à un match pour chacun, hier soir était le troisième. Suspense insoutenable. (Dernière minute: les Dodgers ont gagné. Joe doit être heureux, il a un tatouage des Dodgers sur la jambe.)
On appelle Rob à la rescousse, qui me dit qu'il faudrait sans doute qu'il ait un tonnelet de brandy autour du cou. Oui, certainement... Et Terrie et Joe m'emmènent vers la gare centrale de Los Angeles, Union Station, où Rob vient de son côté me récupérer. Le trajet est vraiment typé Los Angeles, Joe au volant et Terrie en train de consulter son iPhone pour avoir les infos sur la circulation sur les freeways, tout en alternant à la radio entre les commentaires du match qui vient de commencer et inforoute ("Plus que 27 miles, le score est de 2 à 1"...). C'est le stress. On a du bol, dans l'autre direction toutes les voies sont à l'arrêt.
En arrivant à la gare, j'appelle Rob sur son portable pour lui dire que je suis bien arrivé devant Union Station. Il me répond que c'est une bonne chose, et... je le vois sortir de la gare son téléphone à l'oreille.

Voilà, retour à la case départ. Ou presque.
La grande question qui se posait au départ était de savoir ce que je cherchais en prenant la décision de partir sur le Pacific Crest Trail. Je n'ai toujours pas cette réponse. Mais je sais ce que j'ai trouvé, et ce n'est certainement pas ce à quoi je m'attendais. Ou plutôt, c'est bien au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. Et pourtant, je crois bien connaître les Américains. J'ai trouvé des êtres humains exceptionnels, "unusual people", comme disait Joe Anderson, des gens hors normes. J'ai trouvé une générosité qui vous met les larmes aux yeux. J'ai trouvé la solidarité. J'ai trouvé la gentillesse. J'ai trouvé une humanité comme celle dont on rêve.

Le Pacific Crest Trail est évidemment un formidable défi physique. Mon genou flingué pourrait vous en parler longuement. Il a rappelé son ambassadeur et nous ne nous parlons plus. Mais c'est avant tout une fantastique aventure humaine. C'est tout le paradoxe. Vous pensez partir dans le désert, au milieu de nulle part, et vous ne cessez de faire de merveilleuses rencontres, inoubliables. Mon carnet d'adresses s'est déjà sérieusement enrichi. Alors, si j'étais parvenu au Canada...
Les êtres humains, bien plus que les paysages, voilà ce qui m'aura marqué. J'espère que ça s'est vu dans ce blog que je vous remercie d'avoir pris la peine de lire. Justin, Southern, Bone Lady, Swiss Cheese, Running Wolf, Hot Wing, Penn-J, Alaska, Drew, Gourmet, Steve, Charlie, Wolfe, Heart, Francis, Double 0, Oops, Wolverine, Copernicus, Andy, Nick, voilà les noms — parfois rocambolesques — que j'ai en tête, sans avoir eu besoin de consulter mon journal pour les retrouver. Sans oublier — comment pourrait-on? — tous ceux qui vous apportent une aide totalement désintéressée, vous ouvrent leur cœur immense. Le Pacific Crest Trail est une expérience qui vous vieillit physiquement, mais vous rajeunit mentalement. Un phénoménal bain de jouvence, si d'aventure vous doutiez de l'humanité.

À titre personnel, comme l'avait prédit Jean-Michel, qui a parcouru le PCT en 2009, je suis déjà hanté par les fantastiques souvenirs. Il m'est désormais impossible de tourner la page. Je veux continuer cette remarquable aventure. Ça me démange violemment, comme si j'avais fumé du poodledog. Je suis, c'est sûr, accro au PCT, et je vais, par tous les moyens, chercher à revenir. Je dispose d'une formidable motivation pour essayer de soigner ce genou. Et je dispose aussi de l'expérience, je sais maintenant mieux comment aborder ce problème complexe, au plan physique autant que matériel.
Ce blog s'interrompt aujourd'hui. J'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire, et j'espère que vous en avez eu à le lire. Mais je n'écris pas le mot "fin". J'espère de toutes mes forces pouvoir le reprendre dans un an.

Dans l'immédiat, Richard vient de m'écrire pour m'inviter à revenir à Palm Springs pour aller faire la fête avec eux. C'est un programme qui a mes faveurs... Je ne sais pas si le vin californien ou la bière mexicaine sont bons pour les genoux, mais ils le sont à coup sûr pour le moral.

Je vous embrasse tous, ou vous fais un énorme hug à la Terrie Anderson, c'est au choix.

Mr. Big Shot

Casa de Luna: les photos de fesses de hikers, et la collection de bandanas qui servent à faciliter le stop ("Vers le sentier", ou "Vers la ville"). J'ai le mien...
À suivre...

mercredi 9 mai 2012

9 mai Casa de Luna


Nous sommes donc partis afficher le message pour Steve sur le trail, afin qu'il arrive ici avant qu'on ne commence à m'arracher les ongles. À 9 heures 59, Terrie me dit qu'il ne reste plus qu'une minute, mais qu'elle va partir à la recherche de Steve sur la route, parce qu'il ne devrait plus être très loin. Et effectivement, elle revient avec lui. Il a le message à la main, un peu sidéré de cette histoire. Le mystère est qu'il m'a attendu pendant deux heures à Bear Spring, peu après que nous nous soyons vus pour la dernière fois et nous ne comprenons pas comment nous avons pu nous manquer. Après étude approfondie de la carte, nous comprenons qu'il y a un ancien et un nouvel itinéraire du Pacific Crest Trail, à très peu de distance l'un de l'autre. Il m'attendait sur l'un, j'ai pris l'autre...
Steve compte repartir sur le sentier tout de suite, maintenant qu'il sait que je suis en de bonnes mains. Exotiques, sans doute, mais de bonnes mains, ça, c'est sûr. Mais avant ça, nous partons tous les deux manger un morceau. Nous nous rendons compte que nous avons beaucoup de points communs et je regrette sincèrement d'être contraint de le quitter. Je m'entendais très bien avec lui. Mais mon genou déconne. Et Steve, qui a eu exactement la même chose et s'est fait opérer des genoux, pense que ce n'est pas gérable de continuer comme ça, de faire une demi-journée de marche et une demi-journée d'auto-stop. D'autant que nous ne sommes qu'au tout début de ce parcours de folie. Je suis malheureusement bien d'accord. Nous discutons longuement. Même s'il faut aussi tenir compte de notre âge qui rend chaque année qui passe plus problématique pour se livrer à une telle activité de cinglé, il vaut certainement mieux prendre le taureau par les cornes, passer par la case chirurgie et envisager de revenir l'an prochain. Parce que ne pas revenir est une option que j'ai déjà éliminée, tant l'expérience que je vis est fabuleuse. Je commence à comprendre ceux qui vivent quasiment sur le trail, année après année.

Au retour du restaurant, conférence avec Joe, Terrie et Steve devant la maison, dans un environnement totalement improbable. Terrie et Joe accrochent chaque année une bannière devant la porte de leur garage, que signent tous les hikers. Elle finit la saison couverte de signatures. Steve s'empresse de signer:
"J'ai sauvé les ongles de Mr. Big Shot." Steve.

J'ajoute:
"Philippe, Mr. Big Shot. 
J'ai toujours 10 ongles. Merci, Steve."

Avant que Steve ne reparte sous une chaleur absolument torride, nous prenons des photos devant la bannière encore presque vierge. Et pour nous faire sourire, Terrie baisse son pantalon et nous montre ses fesses...
Le monde étrange et merveilleux du Pacific Crest Trail que je risque fort de devoir quitter, à grand regret, mais temporairement, c'est certain.
Terrie m'annonce qu'ils viennent de recevoir la robe de mariée. What? Quelle robe de mariée?? Eh bien, il y a cette année un hiker qui marche en robe de mariée. Il en change tous les 100 miles et en envoie donc de nouvelles le long du parcours.* Cette année aussi, un enfant de 7 ans fait le parcours avec sa mère. L'an dernier, un couple a parcouru toute la partie sud, jusqu'à Kennedy Meadows, avec un bébé de 17 mois... Steve, lui, fou d'aviation qui possède son propre avion, a organisé un ravitaillement des plus étranges. Dans le Mojave, un de ses amis va venir lui porter son colis, mais le larguer... d'un avion. Étrange et merveilleux, disais-je...

La nouvelle robe de mariée de Hiking26.
http://www.hiking26.com/
* Wolfe, qui vient d'arriver à Casa de Luna, me dit qu'il a marché pendant une semaine avec le marcheur en robe de mariée. Quand ils sont arrivés à Paradise Café, il est rapidement parti aux toilettes se changer pour ne pas effrayer les clients, ou leurs enfants (Maman, regarde le monsieur en robe!). Mais à ce moment-là, le patron du café est venu se mettre en travers de la porte et lui a dit: "Pas question qu'on vous serve sans la robe! On savait que vous alliez arriver, vous allez porter cette robe!" Et il a dû la remettre.

Wolfe, Casa de Luna.



Devant la maison de Terrie et Joe.

Terrie Anderson.



Steve.

Bienvenue à Casa de Luna, le Club des Cinglés.

Casa de Luna.


La phrase du jour:
Steve: "Saved Mr. Big Shot's fingernails."
"J'ai sauvé les ongles de Mr. Big Shot."

8 mai Casa de Luna

Si on faisait un résumé rapide, il faudrait dire que c'est la merde... Mais la folie continue.

La nuit a été épouvantable. Malade comme un chien du steak et du seau de glace d'hier soir, partagés avec Steve. En réalité, mon régime alimentaire a bien changé, et le steak de mammouth que Steve nous a cuit au barbecue (plus de 1 kg!) était trop riche, et trop copieux. Je me lève vraiment patraque. Steve, lui, indestructible (un Texan!), est déjà en train de cuisiner une omelette pour le petit déjeuner...
Tout le monde se prépare, plus ou moins. Double O vient d'arriver. Américain, professeur d'énergies renouvelables à l'université de Pékin, il vit désormais au Japon. C'est lui que j'avais croisé en approchant de Mount Baden Powell, avant Wrightwood. Je déjeune avec Steve, et Donna vient nous rejoindre. Nous avons une très longue conversation à trois, très intéressante, au point qu'à 9 heures, nous sommes toujours dans le salon à bavarder. Il va falloir se secouer, la chaleur monte.

À 9 heures 30, nous faisons nos au revoir, avec les hugs de rigueur, et Donna prend des photos de nous. En route. Nous quittons à regret ces gens absolument extraordinaires, d'une incomparable générosité. La traversée d'Agua Dulce, le long de la route, est assez longue. Mais avec Steve, l'émulation aidant, nous adoptons un rythme très rapide. Nous parcourons les premiers miles à 6 km/h, un record pour moi.



Il s'agit maintenant d'attaquer l'ascension de la Sierra Pelona, la première d'une série de montagnes à franchir avant de descendre sérieusement vers le Mojave. Les collines sont recouvertes d'une végétation naine, mais abondante. Pas d'arbres, bien sûr. Peu à peu, la végétation se réduit, on entre dans une énième zone brûlée, où les branches de manzanita noircies sont le seul témoignage d'une végétation disparue dans un des innombrables incendies. De hautes herbes ont pris le relais, elles font ma taille et je me glisse entre deux haies d'herbes qui ondulent au vent. Je n'aime pas beaucoup ça, c'est un coup à ramasser des tiques, même si mes vêtements sont imprégnés d'insecticide. La chaleur a également fait apparaître de toutes petites mouches noires, très agressives. Mon genou a commencé à faire des siennes depuis un bon moment, et j'ai suggéré à Steve de partir en avant, pour que je puisse marcher plus tranquillement. Le rythme d'un hiker entraîné, c'est très éloigné d'une marche digestive du dimanche. Il faut manger des miles. Vous en avez un petit aperçu dans la vidéo. Mais j'ai de plus en plus de mal à garder ce rythme. Steve a disparu, mon genou me fait de plus en plus mal, et bientôt, la douleur commence à irradier dans le mollet. Plier le genou devient peu à peu difficile.
Nous avons parcouru la distance qui nous sépare de la cache des Anderson en temps record; je n'en reviens pas. Terrie et Joe Anderson sont les prochains trail angels au programme, derrière la montagne suivante. Ils sont réputés pour les soirées déjantées qu'ils organisent pour les hikers, d'un style radicalement opposé à celui des Saufley, à Agua Dulce. Chez les Anderson, c'est un gigantesque et joyeux bordel, on s'y livre à des bagarres dans la sauce au chocolat, bien arrosées à la bière... Ils habitent une maison du nom de Casa de Luna, à Green Valley. Ils ont poussé la générosité — et c'est un terme qui a du sens ici — jusqu'à alimenter de surcroît deux caches d'eau aux abords du Mojave. Et cela veut dire prendre la voiture, faire des miles, puis porter des bidons d'eau sur le sentier, sous une chaleur accablante. Tous les deux jours. L'une d'entre elles est notre première cible, à 18 km du départ. J'y parviens en boitant, pensant y rejoindre Steve que j'ai aperçu peu avant. Mais il n'est pas, ou plus, là. J'appelle, mais personne ne répond.

Après cette cache, il me faudrait marcher 20 kilomètres de plus, et franchir une ou deux montagnes. Je ne sens pas du tout le truc. La cache se trouve à une centaine de mètres d'une route. Je pense que ce serait une idée beaucoup plus raisonnable de faire du stop, et d'aller directement chez les Anderson faire une pause. Ça ne sent pas bon du tout.
Je pars le long de la route jusqu'à un ranch pour demander dans quelle direction je dois faire du stop pour aller à Green Valley. J'explique ma situation, mais je suis tombé sur un couple assez peu américain, selon mes standards. Ils me parlent derrière la grille d'entrée, l'air méfiant, et m'expliquent qu'ils ne peuvent rien faire pour moi, alors que Green Valley est à une dizaine de kilomètres et qu'un pick-up est garé devant la maison. L'exception qui confirme la règle, j'imagine. Je m'installe au bord de la route, mais beaucoup de voitures passent devant moi sans s'arrêter. On confirme l'exception qui confirme la règle?? Une voiture finit par s'arrêter, un couple à bord. Super, ils se sont arrêtés. Mais la première phrase de la conductrice est plutôt déroutante: "You're not going to kill us, are you?" Vous n'allez pas nous tuer, n'est-ce pas? Je réponds que non, sans doute pas, parce que je ne veux pas avoir d'ennuis... J'ai déjà assez de soucis avec mon genou. Ils me conduisent gentiment, tout de même, avec une certaine méfiance, jusqu'à la Casa de Luna, un indescriptible capharnaüm, assez proche d'une casse automobile, finalement. Terrie m'ouvre la porte et me tombe dans les bras, un colossal hug. Terrie a des formes... généreuses, et une coiffure iroquois d'un effet surprenant. Dans la maison, plusieurs chiens vautrés sur les canapés, un bordel insensé, et Joe qui vient me dire bonjour, un homme d'une grande douceur. Sur la façade de la maison, cette pancarte: HIPPIE DAY CARE, Garderie de hippies... Terrie et Joe ont même embauché une jeune fille pour les aider en vue de l'arrivée de la meute des hikers cinglés. D'ici deux semaines, ils seront 30 à 40 chaque soir. Et Terrie leur fait à manger, gratuitement... Vous le croyez, ça?? Consommation de préparation pour la pâte à pancakes: 150 kg par saison. Je demande où est le "donation jar", la cagnotte où on laisse son obole. Terrie me dit que ce n'est en aucune manière une obligation, mais qu'ils apprécient ce genre de geste. Ah bon? Sur le récipient qui fait fonction de tirelire: "Karma Jar". "Récipient du Karma". Ouais, pour le karma, je crois qu'ils ont déjà fait le plein, ces deux-là. Une telle générosité, ça devient vertigineux. Et pourtant, je peux vous l'assurer, je ne suis pas chez des gens fortunés.
On me met tout de suite un sac de glace sur le genou et un grand verre de vin en main. Je vais dormir sur un canapé installé devant la maison, je suis le seul hiker aujourd'hui. Steve devrait arriver ici demain.

Et qu'est-ce qu'on fait maintenant? Oui, c'est la merde. J'avais commencé à prendre le rythme, j'avais de nouveaux copains, j'avais réglé de manière satisfaisante le problème du poids du sac, bref, ça roulait. Et voilà que ce genou me confirme qu'il n'en peut plus. Fait ch...!
Faut être réaliste. Compte tenu des étapes à parcourir, du problème de l'eau, du problème de la chaleur, il y a très peu de chances que je puisse tenir le coup avec un genou qui déconne. Après, ce sera la Sierra avec des dénivelés de fou.
Terrie me propose de m'emmener jusqu'au train-métro Metrolink qui... me reconduirait à Long Beach. On croit rêver. Je vais voir demain. Mais je brûle mes dernières cartouches. Plus de trail angels avant la Californie du nord, maintenant, à des centaines de kilomètres. À ma connaissance, les prochains sont Bill et Molly Person (dont j'ai pu tester l'immense générosité il y a quelques années), au lac Truckee, près de Tahoe. Ou mes amis à Reno, dans le même secteur. Si je me retrouve planté dans le wilderness loin d'ici, ça va devenir beaucoup plus compliqué d'en ressortir. Je vais quand même voir si Steve arrive demain. Il doit de son côté se demander où je suis passé. Ça m'ennuie. Terrie me propose d'aller déposer un message sur le trail pour lui faire savoir que je suis à Casa de Luna. Tous les hikers ne font en effet pas escale ici; il faut faire 2 miles pour y venir, et l'atmosphère y est... particulière. Nous rédigeons un message, style Casa de Luna: "Steve, nous détenons Philippe en otage contre rançon. Si tu ne viens pas rapidement, nous allons lui arracher les dents. Pour commencer, nous lui arracherons un ongle chaque heure à partir de 10 heures"...


La version définitive du message, laissé sur le trail:


Steve,
Nous détenons Philippe en otage. Nous ne négocierons sa libération qu'en personne. Il va bien, pour le moment. Nous lui arracherons un ongle à chaque heure après 10 heures du matin. Tu peux nous appeler depuis le magasin.


Ce qui est sûr, c'est que le Pacific Crest Trail est réellement addictif. Si je suis contraint d'abandonner, ce que je ne souhaite pas, ce sera direction le bloc opératoire et je causerai à Anne-Marie de l'idée dingue de revenir continuer le parcours de cinglés l'an prochain.

Préparation du dîner à Agua Dulce.

Au moment où Steve et moi partons, rencontre avec Heart, Francis et Wolfe, qui rentrent du restau.
Les vélos sont mis à disposition par les Saufley...

Registre de la Sierra Pelona.

Steve signe le registre.



Où sommes-nous?





Descente vers Bouquet Canyon Road.

La précieuse cache des Anderson.

Joe Anderson, Casa de Luna. Devant sa collection de photos de hikers en train de montrer leur cul...
La phrase du jour:
Joe: "It's a rare breed that can hike 20 miles a day for 4 months."
"C'est une espèce rare, celle qui est capable de marcher 30 km par jour pendant 4 mois."