vendredi 4 mai 2012

3 mai Wrightwood

Tous les muscles de mon corps — du moins ce qu'il en reste — sont douloureux, je marche comme un canard, mais la journée a été positive...

Rob et moi sommes debout à 4 h 30. Petit déjeuner rapide et nous nous mettons en route à 5 heures. Il s'agit de sortir de Los Angeles par le nord avant les embouteillages. Eh bien, rassurez-vous, à 5 heures du matin, il y a déjà foule. Freeway à une douzaine de voies: du côté de ceux qui descendent vers Los Angeles, ça coince déjà et je culpabilise pour le pauvre Rob qui va avoir un retour douloureux. Le temps est moyen, gris, plafond bas, et au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Cajon Pass, nous entrons dans le brouillard. Les vitres de la voiture se couvrent de buée, il ne doit pas faire très chaud dehors. C'est un comble, alors que nous nous rapprochons du désert de Mojave, dont Cajon Pass est la porte d'entrée.
Nous commençons à voir les panneaux indiquant Barstow, dans le Mojave, et Rob me parle de Hunter S. Thompson, journaliste-écrivain gravement déjanté qui a écrit plusieurs romans plutôt autobiographiques, copieusement assaisonnés à l'alcool, à la drogue et aux filles. Et Rob de me faire éclater de rire en me citant la première phrase d'un de ces romans, Fear and Loathing in Las Vegas:
"We were just outside of Barstow when the drugs kicked in".
"Nous approchions de Barstow au moment où la drogue a commencé à faire effet".
C'est d'après Rob la meilleure première phrase de roman qu'il connaisse. Je ne suis pas loin de partager son avis. Il va falloir que je lise ce livre...



Nous quittons la Route 15, Mojave Freeway, juste avant le col et nous prenons une petite route qui doit conduire à un endroit où le Pacific Crest Trail la traverse. Le temps est lugubre, nous sommes dans la brume, ça ne donne pas franchement envie de sortir et de mettre son sac sur le dos. Nous sommes à la recherche d'une piste, que nous ne voyons pas dans le brouillard. Je finis par aller récupérer mon GPS à l'arrière et nous trouvons rapidement le PCT, au milieu de la pampa. Rob repart vers les embouteillages. Il nous a fallu près de deux heures pour arriver ici, je crains que le retour ne soit plus long.

Quant à moi, en route, dans la brume et un temps très frais, si ce n'est froid. Je ne parviens pas à me réchauffer. Mais je dois maintenant monter vers la crête des San Gabriels et je vais finir par trouver le soleil. La montée est, comme à l'accoutumée, interminable. Je vais monter de pas grand chose à 2800 mètres d'altitude. Le sentier dans ce secteur est complètement envahi par une des plantes vénéneuses, Poodledog Bush. Une vraie saloperie, omniprésente, mais c'est un peu la vengeance de la nature qu'on malmène. Le Poodledog pousse en effet furieusement là où il y a eu des incendies. Autant dire partout, en Californie du sud. Je marche comme à la marelle, en m'efforçant de bien viser pour poser un pied, puis l'autre. C'est fatigant et stressant. La plupart du temps, il faut garder les bâtons en l'air pour éviter qu'ils n'entrent, eux aussi, en contact. À vrai dire, il y a de nombreux endroits où il est quasiment impossible de passer sans le toucher. Mais l'irritation n'apparaît qu'au bout de quelques jours. Ce sera la surprise.



Je marche plutôt bien, malgré cette fatigante contrainte. Je suis pour le moment content du poids du sac, même si j'aimerais bien évidemment qu'il soit plus léger encore. Les bâtons ne s'enfoncent plus et les chaussures sont confortables, peut-être un poil trop grandes, c'est difficile de juger. Vers 10 heures 30, après plus de trois heures de marche non-stop, je fais une pause. Et je vois arriver Waldo, un thru-hiker tchèque, qui vit aux États-Unis depuis 18 ans. Il essaie de rattraper "son" groupe et m'explique qu'il doit y avoir une vingtaine de randonneurs pas très loin de nous. Dans Swarthout Canyon, un registre était dissimulé dans une boîte. Je l'ai signé et j'en ai profité pour essayer de savoir qui était devant. Waldo pense que Wolverine et Copernicus ne sont qu'à 2 ou 3 miles devant nous.
Vers midi, je tombe sur Jeremy, qui marche avec son chien, mais n'a pas bien géré le problème de l'eau et n'arrête pas de demander aux autres randonneurs de lui passer de l'eau pour le chien. Pauvre chien! Jeremy est en compagnie d'Andy, qui m'a dépassé comme une fusée peu auparavant. Je les quitte, alors qu'Andy se prépare des tartines au beurre de cacahuète. Mais il repasse bien vite devant moi comme le Bip-Bip. Il est en passe d'imiter Scott Williamson.

La fatigue commence salement à se faire sentir. Je suis enfin au soleil, mais la température reste fraîche et c'est désagréable. Mes vêtements mouillés se refroidissent. Et je monte, et je monte, et je monte encore et toujours. Mes batteries doivent être vides, je m'arrête maintenant trop souvent pour récupérer. Mais, comme toujours, il n'est pas question de se dire qu'on va se poser n'importe où et qu'on reprendra demain. Il n'y a d'eau nulle part, et le sentier serpente à flanc de pente. Il est impossible de planter une quelconque tente. Le sentier parvient à la crête, enfin. Je domine le désert de Mojave de  deux mille mètres, peut-être. Je suis au balcon. À mille mètres au-dessus de Cajon Pass, on entend constamment les sirènes des trains de marchandises monstrueux qui vont vers Los Angeles ou en viennent, avec le grondement ininterrompu des moteurs diesel des locomotives qui les tractent.
Pour me donner du cœur à l'ouvrage, je sors mon iPod (merci, Thomas!) et les écouteurs. Vu la configuration du terrain, je ne pense pas avoir besoin de ne mettre qu'un seul écouteur, comme ils le font tous, afin d'entendre les serpents à sonnette. Et je continue la montée en écoutant le génial album d'Adele, 21.

J'ai deux solutions pour la nuit. Soit j'atteins un endroit appelé Guffy campground, où il y a la place pour camper et une source apparemment difficile à trouver. Guffy est encore à 5 miles, c'est très loin quand on commence à s'endormir à chaque arrêt. Mais tout en bas, loin, loin, à cheval sur la faille de San Andreas, se trouve la petite ville de Wrightwood. Elle est accessible par un sentier vertigineux qui redescend du balcon et plonge de 800 mètres pour atteindre Wrightwood. J'hésite. Mais je suis épuisé (refrain connu), j'ai faim et j'ai froid. En bas, il y a un lit, une douche, des hamburgers et du Coca à gogo. Et du wi-fi, probablement...
J'attaque donc la descente, plutôt vertigineuse. Un petit sentier en lacet assez étroit, une quarantaine de centimètres maximum, et je découvre... des traces de roues de VTT!!! Il y a donc au moins un dingue qui a descendu cette montagne extrêmement abrupte, sur ce minuscule sentier très exposé, en VTT... Au secours!
Demain, le programme est chargé, avec l'ascension de Mount Baden-Powell enneigé. Pour l'heure, du repos sera le bienvenu. Je passe la nuit sur la faille de San Andreas, du côté qui fait partie de la plaque Pacifique, et se déplace vers le nord. J'espère que la ville sera encore là demain matin, pour le petit déjeuner.
L'air de rien, j'ai parcouru 32 kilomètres en montagne, en montée quasi continue, assorti de 1300 mètres de dénivelé. C'est pas mal, même si je ne suis plus qu'une douleur.



Explications sur Ontario fournies par Rob...

La phrase du jour:
Rob: "Mojave, where nothing begins..."
Le Mojave, là où commence le néant...

Retour sur le PCT près de Cajon Pass.


Le registre de Swarthout Canyon.



Jeremy et son chien.

Mount Baden-Powell enneigé dans le lointain.





1 commentaire:

  1. Bravo, continue à avancer et tes douleurs, on s'en fout, ben ouaih ...
    celle qui marche sans dormir

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