vendredi 11 mai 2012

11 mai Paroles d'ivrogne

J'ai honte, mais Rob, qui me connaît bien, me disait hier que je ne pourrais pas m'empêcher, malgré mes affirmations péremptoires, de continuer ce blog. J'ai tenu un jour.
Je dois tout d'abord vous remercier. J'ai eu quelques gentils commentaires (je suis extrêmement sensible à la gentillesse, vous le savez, dorénavant) qui m'ont surpris parce que — gros benêt que je suis — je n'avais pas bien perçu que j'avais pu intéresser des lecteurs anonymes. Je pensais sincèrement écrire pour moi, et pour mes proches, la bande d'aficionados qui n'osent pas cesser de lire mon blog, pour le cas où il y aurait une interro surprise un jour.

J'ai, quelle surprise incroyable, encore quelques réflexions à vous faire partager. Drogue dure, le PCT. Je suis comme un con, avec mon genou en vrac qui me permet à peine de marcher (p..., il s'est salement dégradé, ou alors, l'excitation du trail m'a fait faire des choses que je ne pouvais théoriquement pas faire...), et pourtant, je ne peux pas me résoudre à appuyer sur le bouton pour modifier mon billet et rentrer en France. Quelque part dans ma tête, avec l'aide sournoise de Pam et Rob qui m'obligent à me gaver de la "vitamine I" des hikers, l'Ibuprofène, je suis tenté de louer une voiture, d'aller voir mes amis de Reno, voire de tenter de repartir marcher sur le PCT! Même si je sais, en survolant mon blog, que ce p... de genou m'a emmerdé depuis le départ. Et puis, il y a encore trop de neige à peu près partout, sauf dans le désert. Je peine, en outre, à imaginer la tête de Rob si je lui disais: "Rob, tu pourrais pas me conduire quelque part dans le Mojave? Je vais aller essayer de prendre l'air quelques heures...".

Le Pacific Crest Trail est un pur joyau. Exceptionnel. Unique. Inestimable. Que fait l'UNESCO, bordel? Le PCT devrait être inscrit au patrimoine de l'humanité, sans le moindre doute. Quoique, ça signerait peut-être son arrêt de mort... Non, non, l'inscrivez pas, il vaut mieux que ça reste relativement confidentiel, malgré les tarés français qui arrêtent pas d'en parler, les cons. C'est étrange. Vous pouvez ne pas bien le percevoir en errant dans des secteurs pelés de désert aride, pas aussi spectaculaires que la Sierra Nevada que je connais, par ailleurs, mais ses vapeurs hautement addictives s'infiltrent subrepticement dans votre cerveau, comme le "crystal meth" de Breaking Bad. Et voilà, z'êtes venus, z'êtes foutus.

Les leçons? Contrairement à ce que j'ai souvent lu dans les monceaux d'information sur le PCT et les blogs et journaux divers, il FAUT y arriver en forme olympique. Ils ont beau dire que la forme, on la construit sur le trail, je réponds: "pipeau!". La caractéristique unique d'un parcours ultra longue distance, particulièrement dans les secteurs de désert, est que vous ne pouvez pas prendre votre temps. C'est une course de vitesse. Il faut couvrir des distances dingues, il faut les couvrir chaque jour, il faut les couvrir rapidement à cause de la chaleur et du manque d'eau. Faire une randonnée de 30 kilomètres, c'est une chose, en faire une chaque jour pendant des mois en est une autre, c'est une évidence.

D'où le deuxième paramètre fondamental: le poids. Oui, je sais, je l'ai avoué, je suis un gros benêt. J'ai beaucoup lu, j'ai beaucoup réfléchi, on me l'a dit, on me l'a expliqué, mais quand vous êtes dans votre bureau, à 10 000 km du PCT, vous pouvez vous croire plus fort que vous ne l'êtes, plus jeune que vous ne l'êtes, plus en forme que vous ne l'êtes, avec des genoux plus fringants qu'ils ne le sont.
Et trouver la recette magique — un sac léger qui contient le minimum vital pour affronter le chaud et le froid — n'est pas simple du tout. En réalité, on entre dans la zone des compromis. Compromis entre confort et efficacité, compromis entre l'utile et l'indispensable, compromis entre légèreté et sécurité, compromis en ce qui concerne une certaine prise de risques. Certains hikers ont des sacs ultra-légers, mais dès que de sérieuses intempéries arrivent, c'est sauve qui peut, où est le motel le plus proche... s'ils peuvent y parvenir. En 2005, je crois, l'un d'entre eux n'a pas trouvé le motel et est mort à San Jacinto. Et vu ce qui nous est tombé sur la tête à Mount Laguna, nous avons eu de la chance d'être à l'abri dans le Lodge. À quelques heures près, la situation aurait été très différente, et dangereuse.

Un exemple de cette quadrature du cercle:
Le sac de Charlie (je rabâche, on parle toujours du poids du sac SANS eau ni nourriture) pesait 7 à 8 kg. Il y a beaucoup mieux, ou pire (4 à 5 kg n'est pas si rare que ça).
Mon sac vide pèse, à lui seul, 2 kg. La tente, la plus légère du marché, 1kg. Le duvet, 1,2 kg. Vous voyez qu'avec ces trois éléments, qu'ils appellent "Big Three", les trois éléments les plus lourds, je suis déjà à 4,2 kg, avant même d'avoir introduit la cuillère en titane et un caleçon de rechange, ou un bidon d'eau. Ni un Nikon D4!! C'est une affaire beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît. Parce que le PCT va vous jeter à la figure des conditions très variées, mais toujours extrêmes. De chaud ou de froid. D'un jour à l'autre, comme j'ai pu le vérifier à Mount Laguna. Mais on ne peut pas faire l'impasse sur cette question éliminatoire. Si vous êtes un tantinet trop chargé, vous ne pourrez pas aller assez vite. Vous ne pourrez pas parcourir les 30 km par jour réglementaires.
Je sais déjà que si je veux pouvoir revenir l'an prochain, avec un ou deux genoux ravalés, il faudra encore alléger mon sac. Mais je ne sais pour le moment pas comment.

Bon, allez, je n'écris plus que ce blog est enfin terminé. Je suis incorrigible.




3 commentaires:

  1. C'est ....ENORME ! Vous n'êtes même pas revenu que vous commencer déjà à repartir !
    Et je pense que l'Essentiel est là.
    Dans la projection...Se prouver qu'on ait envie... euh ...qu'on est en vie.
    Bises. Val

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    1. Je crois que ça doit être la définition même d'une drogue dure.
      Et pourtant, Valérie, je peux te garantir que quand j'étais en plein désert, accablé par le poids du sac, la chaleur, la soif, et tout le reste, je me suis plus d'une fois demandé ce que je foutais là. Mais oui, tu as très exactement raison, se prouver qu'on est en vie...
      Et, je le répète, ce qui rend le PCT absolument magique, ce n'est pas le parcours, même s'il est titanesque. Ce sont les êtres humains extraordinaires qu'on y rencontre, la "famille" dans laquelle on est admis. Le PCT est une expérience qui redonne foi en l'humanité, et Dieu sait si cette foi peut souvent être ébranlée au quotidien...

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  2. Oups...Vous commenceZZZZZ
    Tu commences, je commence...
    Il faut emboiter le pas.
    Chacun son PCT
    Thanks Mr Big Shot
    (et Mme aussi sans qui j'imagine...)

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