mardi 27 mars 2012

Bzzz, bzzzz


"My dreams were all my own; I accounted for them to nobody; they were my refuge when annoyed — my dearest pleasure when free."
Mary Wollstonecraft Shelley [l'auteur de Frankenstein]

"Mes rêves n'appartenaient qu'à moi. Je n'en ai jamais rendu compte à quiconque. Ils étaient mon refuge quand j'étais contrariée, mon plus grand plaisir quand je me sentais libre".




Je suis en train de lire mon dernier récit de parcours du Pacific Crest Trail cette semaine. Oui, je sais, j'ai développé une certaine tendance monomaniaque au cours des derniers mois. Et pourtant, ce n'est peut-être pas une si bonne idée que ça de lire ce qu'écrit Natasha. Ça peut ébranler le moral.
En fait, si vous avez eu la curiosité de jeter un coup d'œil à l'onglet "De la lecture", où j'ai fait une liste de bouquins publiés sur le PCT, vous aurez noté qu'ils sont tous récents. Ou presque. Post-2000, pour la plupart. Le PCT est un parcours assez neuf, finalement. Mais ce n'est pas parce qu'on a parcouru le PCT qu'on devient aussi un écrivain compétent. Certains de ces livres sont... pesants. Manque de chance, celui de Natasha, Walking Down a Dream, est plutôt bien écrit. On s'en rend compte dès la première page. Donc, je me suis fait harponner. Et je lis des choses parfois un peu déprimantes. Quoique, il vaut certainement mieux bien connaître son "ennemi". Évidemment, le Pacific Crest Trail n'est pas notre ennemi; c'est nous qui sommes notre propre pire ennemi. C'est ce qui va se passer dans ma tête qu'il conviendra de maîtriser. Il est en tout cas intéressant de voir la manière dont Natasha analyse les plaisirs et les difficultés, les hauts et les bas, les brutales sautes d'humeur, l'envie lancinante d'abandonner.
Je vous ai choisi un moment particulièrement révélateur, puisque les deux passages traduits ci-dessous se suivent, littéralement. C'est étrange.
Dans le deuxième paragraphe, elle évoque le supplice des moustiques, dont tout le monde s'accorde à dire qu'ils sont l'espèce animale la plus redoutable de la nature, sur le PCT, à l'exception de l'homme bien entendu.
Notons tout de même que pour gagner du poids, Natasha avait fait des choix assez radicaux (pas de pantalon long, pas de tente, pas de réchaud) qui lui ont causé des soucis. En short, sans insecticide, au milieu des nuages noirs de moustiques vampires, c'est tout de même un peu chercher les ennuis... Le minimum syndical, c'est de s'enduire à intervalles réguliers d'un répulsif qui d'appelle le Deet. Une cochonnerie hautement toxique et probablement cancérigène, à base de DDT, j'imagine, mais les moustiques, eux, sont encore plus destructeurs. Du mental.


Natasha Carver, Walking Down a Dream, Mexico to Canada on Foot, ExLibris, 2003


"C'est super. C'est tellement bien! Je marche du Mexique jusqu'au Canada, dans la nature sauvage, à l'unisson de la nature. Oh, vous pouvez vous marrer de ces expression éculées, mais il y a généralement une part de vérité dans les clichés. Votre corps et votre esprit s'adaptent avec une rapidité surprenante, et développent des compétences que vous n'auriez jamais imaginé avoir, se sentent à l'aise dans toutes sortes de situations imprévues. Mon esprit s'est si bien adapté à la marche vers le nord que dès que le sentier vire vers l'est ou l'ouest, de petites sonnettes d'alarme résonnent dans ma tête. J'ai envoyé ma boussole vers l'État de Washington. Il fait beau tous les jours et le sentier est dégagé, si ce n'est bien balisé. Il semble qu'il y ait peu de chances de se perdre. Je cherche toujours des empreintes que je connais (comme celles de Turtle ou de Christopher), mais ici, dans la Sierra, il y a un flot ininterrompu de randonneurs marchant dans toutes les directions, qui recouvrent les traces des thru-hikers. Beau. Le monde est beau." (page 109)


"Pourquoi est-ce que je fais ça? C'est l'enfer. C'est sinistre. Ce n'est pas un passe-temps ou un loisir agréable. C'est une épreuve d'endurance. Je suis emmaillottée  dans mon tapis de sol, avec mon anorak en Gore-Tex, la tête, les mains, et mon journal à l'intérieur de la moustiquaire, terrifiée à l'idée qu'ils [les moustiques] puissent atteindre mes pieds, en attendant la pluie.
J'ai rencontré trois solides types du Sud avec leur cannes à pêche en descendant de Seldon Pass (un col peu élevé à 3300 m à peine).
"Ça ne peut pas être plus épouvantable que ça?" leur ai-je demandé, incapable d'imaginer que ça puisse le devenir. J'avais pris mon repas de midi au col enveloppée dans le même cocon; manger est en train de devenir trop horrible pour que j'en prenne la peine.
"Non, non, c'est le pire. Il n'y a rien de pire que ça". Et alors, il s'est mis à pleuvoir et c'est devenu instantanément 10 000 fois pire. 10 000 moustiques pire.
Je crois que je me suis couchée sur une fourmilière. Il va falloir qu'elles s'en aillent. Moi, je ne peux plus bouger. Mon Dieu, que je regrette le chaparral et le désert! Donnez-moi des fourmis plutôt que des moustiques, quand vous voulez!
La seule chose à faire est de continuer à avancer par tous les moyens tout en me giflant le derrière des genoux. L'anorak en Gore-Tex si coûteux que tout le monde voulait que je renvoie à la maison ("trop lourd!", "inutile") est devenu un refuge, pas contre la pluie, mais contre les insectes. C'est un des seuls vêtements qu'ils ne peuvent traverser pour piquer. Soudain, horreur absolue! Un torrent à traverser. Je pose mon sac, attrape mes sandales, et je cours (ils restent autour du sac pendant deux secondes). Je retire mes chaussures et mes chaussettes pendant que des millions de ces bestioles noircissent mes jambes. J'attrape mon sac et je fonce vers le torrent, là où on ne peut pas être piqué, sous l'eau. Hier, ce fut le même enfer pour la dangereuse traversée d'Evolution Creek. Les moustiques étaient tellement catastrophiques que je me suis jetée à l'eau sans me préoccuper du courant et des techniques de traversée, simplement heureuse d'avoir de l'eau jusqu'aux cuisses. À mi-parcours, je me suis rendue compte que ça devenait vraiment profond. Mon sac de couchage se trouvait au fond du sac et c'aurait été une très mauvaise idée de le mouiller. Je tenais mon appareil photo en l'air, en essayant de progresser lentement tout en gardant l'équilibre contre la pression du courant, sans tenir compte de la panique qui montait à cause du nuage épais de moustiques qui m'attaquaient de tous côtés. J'ai pris une grande respiration et j'ai continué, tout en remarquant vaguement quelqu'un qui me faisait signe de l'autre côté et que je n'avais pas vu. Ce randonneur, c'était Gene, maintenant rebaptisé "Flatfoot", que j'avais vu pour la dernière fois à l'embranchement vers Lone Pine, à Cottonwood Pass. Il était impatient d'avoir des nouvelles.
"T'avances comme un avion!" me dit-il.
"J'peux pas m'arrêter!" répondis-je en haletant, tout en enfilant mes chaussures sur des pieds mouillés. "Jambes nues, pas de pantalon, les moustiques".
"Et l'insecticide?" demanda-t-il.
"Pas de Deet, pas de pantalon, faut que j'avance, j'peux pas m'arrêter".
C'est comme ça depuis quatre jours maintenant. Je suis épuisée. Dans l'immédiat, je ne peux pas vider mon sac et me glisser à l'abri de mon sac de couchage, parce que le tonnerre gronde. S'il pleut, la seule chose à faire est de marcher. Une tente! Une tente! Mon royaume pour une tente!
Quoique, un cheval ne serait pas si mal que ça en ce moment." (pages 110-111)


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