mercredi 28 mars 2012

Rêve de beignet


"Certes, un rêve de beignet, c'est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c'est déjà un voyage".
Marek Halter


Eh bien, là, le rêve de voyage est sur le point de se transformer en voyage, même si — comme le dit Marek Halter — ce voyage-là a commencé il y a quinze ans. J'espère toutefois que ce n'est pas un rêve qui va se transformer en cauchemar. Je ne le crois pas. J'ai fait mes bagages, et la panique commence à monter. C'est le moment où on se dit tout d'un coup qu'on n'est pas prêt, qu'il y a nécessairement quelque chose d'important qui a été oublié. Dans une certaine mesure, ça paraît trop simple: fermer la porte à clef, prendre son sac et monter dans l'avion. Oui, mais... où est le problème imprévu? Où se niche le truc auquel je n'ai pas bien réfléchi?
Je pensais trier à nouveau tout le matériel, tout vérifier, toutes les cartes, tous les médicaments, tous les câbles et cordons divers pour le matériel électronique, tout ce fatras accumulé au fil des mois, mais c'est un tel bazar que ça m'a découragé. J'ai tout fourré dans un grand sac et la petite valise cabine et on étudiera la question à Long Beach.
J'étais inquiet des chutes de neige récentes en Californie (il a vraiment beaucoup neigé)  et de mon projet de départ très précoce par rapport à la "norme" (le Kick-Off du dernier week-end d'avril), mais je viens de découvrir le journal d'un randonneur qui a démarré le 22 mars, dans la neige à la frontière mexicaine. Y pas de doute, c'est un parcours qui doit attirer les fêlés du casque.
En revanche, aux toutes dernières nouvelles, le revendeur Nikon pense, estime, suppute, espère, suppose, bref... que l'appareil pourrait être livré d'ici deux semaines. Si cette supputation se confirme, il se pourrait que je retarde mon départ de quelques jours. Ou alors, comme il me l'a proposé, Rob viendra me retrouver quelque part dans le désert pour me l'apporter. J'avoue que ça doit être cornélien pour lui: après tant de sollicitations et de problèmes, se débarrasser de moi le plus vite possible, et devoir aller jusqu'au bout de nulle part pour me fourguer cet appareil de cinglé, ou éviter le voyage, mais devoir me supporter quelques jours supplémentaires?

Le D4 commence à être livré aux professionnels aux USA.
Et les cinglés, alors, ils sentent le pâté?

Mon équipe de soutien logistique commence à s'animer. À Reno, John est rentré de son "hiver" sous le soleil de Floride (tiens donc, faut pas se gêner!) et étudie à quel col il va venir me récupérer avec son orchestre: Carson Pass ou Donner Pass? On a le temps d'en discuter, c'est pour la fin du mois de juin. Quant à Phil, il envisage dorénavant de venir me rejoindre pour marcher avec moi pendant quelques jours. Ah, ah! Quand je lui en ai parlé en août dernier, il n'en était pas question (trop vieux, trop fatigué, et mon dos, et mes rhumatismes, et ma rate qui s'dilate), mais je note que ça doit le titiller maintenant, de voir que je ne lui racontais pas des salades et que je vais bientôt réellement partir me balader, tout seul, comme un grand. Et il doit sentir que cette affaire m'a donné un grand coup de jeune (de djeun's?). Les voyages forment la jeunesse, c'est bien connu. Allez, Phil, sors ton sac de la naphtaline! Pense à Yosemite, quand t'étais djeun's.

C'est étrange, cependant, cette impression d'entrer brutalement dans une grande zone de flou: je pense avoir bien préparé mon projet (même si je n'ai aucune attirance pour les préparatifs militaires, type réglons nos montres), mais maintenant que les choses se concrétisent, il va falloir naviguer à vue, et affronter toutes les difficultés imprévues qu'on va me jeter inéluctablement à la figure. Déjà, je ne vole pas avec Air France; il y a donc peu de chances qu'on m'annonce qu'il y a une grève... C'est d'ailleurs exactement pour cette raison que j'ai choisi une autre compagnie. Ah si, il y avait un autre paramètre d'importance: British Airways est beaucoup moins cher. Ce qui est embêtant, c'est qu'ils parlent Anglais. Mais bon, j'ai deux ou trois jours pour réviser mon Carpentier-Fialip. Comment, vous ne connaissez pas Carpentier-Fialip? Ouh la la, je dois vraiment être très, très vieux, alors, c'est la collection de bouquins d'Anglais (l'Anglais vivant) avec laquelle j'ai commencé mon apprentissage, en 6e. Plus triste que ça, tu meurs. Ça ne m'a pas empêché d'apprendre. D'un autre côté, c'étaient des bouquins qui trouvaient leurs exemples dans Shakespeare ou le Dr. Johnson, grand lexicographe du XVIIIe siècle! En 6e. C'était peut-être un peu too much, mais ça a bien changé depuis. Ce qui n'a pas changé, malheureusement, c'est l'inefficacité abyssale de l'enseignement de l'Anglais dans notre beau pays.
Je repense à Barney Mann (trail name: Scout), un des trail angels sur le PCT, qui accueille la grande majorité des hikers qui débarquent à San Diego et les conduit ensuite au départ. Il explique que pendant un cours, un étudiant lui avait demandé ce dont il était le plus fier, dans sa vie. Il avait réfléchi et répondu qu'il avait été chef scout. D'où son trail name. Si on me posait la même question, je répondrais sans hésiter "mes enfants", et avoir appris l'Anglais. Je dois à cette connaissance de l'Anglais des amis magnifiques, et beaucoup de belles choses de ma vie, dont la dernière — de fil en aiguille — est de partir dimanche sur le Pacific Crest Trail...
Et ma modestie m'interdit formellement de m'appesantir de manière inélégante sur l'article que vient de publier le New York Times aujourd'hui, intitulé: "Why Bilinguals are Smarter" (Pourquoi les bilingues sont plus intelligents). Déjà qu'ils ont aussi un article expliquant que les gauchers sont plus brillants et que cinq des sept derniers présidents des États-Unis étaient gauchers... Je ne voudrais pas vous mettre mal à l'aise. Mais on y apprend, entre autres, qu'être bilingue limite le risque de maladie d'Alzheimer. C'est déjà ça, n'est-ce pas, Rosalie? 

Vous le faites aussi, en version sexy?

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