samedi 3 mars 2012

C'est désert, ici



"Dans le désert, on est toujours libre... On sent l'écoulement du temps..."
Antoine de Saint-Exupéry





Jackass, thru-hiker de son état, a publié ces jours-ci sur le forum pct-l une série de conseils concernant la marche dans le désert. Le désert, ce sont les 1200 premiers kilomètres du Pacific Crest Trail. Ôtez immédiatement de votre esprit deux fausses idées, du style le désert, c'est plat et c'est chaud.
Sur le PCT, rien n'est plat, comme son nom l'indique (chemin des Crêtes du Pacifique), et dans le désert, il y a quatre massifs montagneux où on est certain de rencontrer la neige. À  vrai dire, le sud californien est, en avril / mai, une région où il peut également faire très, très froid. Mais, évidemment, il peut y faire très, très chaud. C'est tout l'intérêt du PCT: on peut vous y jeter à la figure toutes sortes de conditions, du jour au lendemain.
Voici donc une traduction des conseils avisés de Jackass pour la traversée du désert...




"Lorsque Molasses et moi-même avons tenté un parcours du PCT pour la première fois, en 2009, nous avons rencontré beaucoup de randonneurs qui avaient de sérieux problèmes avec le désert. Une grande partie d'entre eux avaient parcouru des milliers de kilomètres de sentier, dans l'Est. Des randonneurs forts, confiants en eux-mêmes qui savaient ce qu'il faut faire pour réussir un thru-hike. Mais qui, peut-être, se trompaient à propos du désert. Nous avons rencontré quelques randonneurs qui étaient dangereusement déshydratés et avaient besoin d'aide. Une de nos amies s'est retrouvée avec des ampoules sous les pieds qui se sont infectées avec un champignon qui a creusé des cratères sous ses pieds — on aurait dit que quelqu'un les avait attaqués avec une cuillère à glace. Molasses elle-même a terriblement souffert d'ampoules, manque de calories, tendinites, mycoses, et encore plus d'ampoules. Gérer ses blessures (et quelques unes des miennes) nous a bloqués en ville pendant des jours, a dévoré notre budget et a finalement conduit à nous faire abandonner, fauchés après 2000 kilomètres.

Démarrez tôt:
Je ne suis pas un lève-tôt, mais, dans le désert, j'essaie de marcher dès 5h / 5h 30. Abattre une quinzaine de kilomètres avant que la chaleur du jour ne s'installe. Cela laisse la possibilité de se "reposer" dans l'après-midi si la température dépasse 35°. En démarrant tôt, je n'aurai pas besoin de forcer en pleine chaleur pour faire le kilométrage avant la nuit. Ça me laisse du temps pour des pauses plus longues afin de  laver et d'aérer mes pieds, de changer mes chaussettes, de m'hydrater et de manger (ou de faire un somme à l'ombre). En plus, le matin est le plus beau moment dans le désert. Ça rend l'après-midi un peu plus supportable si vous attaquez d'humeur positive. Le Mountain Chickadee et le Morning Dove chantent, la brise est fraîche et les couleurs du désert sont magnifiques.

Les points d'eau:
La plupart des points d'eau sur le parcours sont des sources et des ruisseaux limpides et rafraîchissants dans lesquels vous n'hésiteriez pas à boire. Malheureusement, certaines des sources rencontrées en Californie du sud ne sont rien de tout ça. Des citernes à incendie, des abreuvoirs pour chevaux, des tuyaux sont au mieux autant de points d'eau douteux. Les tuyaux et les citernes ont souvent de la matière organique en décomposition au fond des réservoirs. Cela peut altérer la couleur, l'odeur et le goût de l'eau. Parfois des animaux morts y flottent. Utilisez un foulard comme filtre pour retirer le plus gros des déchets et des insectes avant de verser dans votre gourde. Les mélanges pour boissons peuvent améliorer le goût. Cligner des yeux... aussi. La plupart du temps, les points d'eau les pires sont aussi dans les pires endroits, ce qui signifie que vous n'avez d'autre choix que de boire. Je ne discuterai pas du choix entre filtres à eau ou produits chimiques, ou même ne rien faire. Les activités agricoles et minières ont contaminé beaucoup de points d'eau dans le Sud-Ouest et le risque d'y être exposé grimpe de manière exponentielle, par rapport à la montagne où les pluies fréquentes diluent les polluants et les évacuent. À mon avis, quasiment tous les points d'eau des premiers 1200 kilomètres doivent être traités. Il y a quelques sources conduites dans des tuyaux auxquelles je bois directement, mais je suis conscient de prendre des risques. Il vous faudra tout simplement vaincre votre délicatesse quand vous tomberez sur ces sources à la pureté douteuse. En règle générale dans le désert, quand je vois des insectes ou des têtards à proximité d'une source, je souris. Si la vie prolifère, boire est probablement sans danger. Ce sont les points d'eau sans rien qui bouge qui m'inquiètent. Envisagez aussi de traiter l'eau des caches si elles provient de bouteilles qui sont réutilisées.

Boire:
En règle générale, je porte 1 litre pour 5 km, en ajustant cette quantité en fonction de l'heure du jour et de la température. Dans les secteurs les plus frais, le ratio est plutôt d'1 litre pour 8 km. Déterminez votre rythme de marche — s'il fait 40°, vous aurez peut-être besoin d'un litre par heure si vous continuez à marcher au plus chaud de la journée. Je prévois des pauses plus longues aux points d'eau pour absorber un litre supplémentaire avant de continuer (un de moins à porter et, à 1 kg, ça compte). Absorber des litres peut déséquilibrer vos électrolytes. Les symptômes sont souvent confondus avec ceux de la déshydratation, ce qui conduit le randonneur ignorant à consommer de plus grandes quantités d'eau, ce qui aggrave son état (1). Une boisson aux électrolytes par jour suffit généralement à maintenir mon équilibre (avec la nourriture). Emergen-c est une bonne solution pour remplacer les électrolytes et a bon goût quand dilué dans l'eau. Un des moyens les plus sûrs de juger de mon hydratation est le nombre de fois où j'urine. Si j'ai bu 4 litres au cours des dernières heures et je n'ai pas envie d'uriner, alors il y a un problème. Pas assez d'eau ou mes électrolytes sont en vrac. Un faible volume d'urine est aussi un indicateur de problème, de même qu'une couleur sombre. Le déséquilibre en électrolytes peut vous handicaper autant que la déshydratation, créer de la confusion mentale et vous rendre léthargique. Généralement, un léger mal de tête est le premier signe que vous avez besoin d'eau, de nourriture, ou d'électrolytes.

La nourriture:
Mon appétit se réduit en proportion directe de la chaleur. Essayer d'avaler de la nourriture de force est pesant. Il y a des choses que vous pourrez avaler quelle que soit la chaleur. Pour moi, ce sont les mélanges de cacahuètes. Quelle que soit la température, je peux toujours en avaler quelques poignées. Votre corps brûle des calories comme un fou pour vous rafraîchir, en plus de celles utilisées pour marcher. Manger fréquemment réduit mes changements d'humeur et m'évite de m'effondrer à la fin de la journée. Je ne saurais insister assez sur la différence que cela fait de manger trois fois par jour ou toutes les heures. Remplacer les calories au fur et à mesure que vous les brûlez aide à maintenir votre équilibre physique et mental. Le schéma traditionnel de repas peut vous envoyer dans un grand huit d'émotions et d'énergie. Pour moi, c'est aussi important que de rester hydraté. Les lipides sont la meilleure source d'énergie du corps pour marcher, mais peuvent être difficiles à avaler quand il fait chaud. Je fais le plein quand il fait plus frais, le matin et le soir. Ensuite, il y a les hydrates de carbone complexes dont votre cerveau et vos muscles ont besoin pour fonctionner correctement. Une chute de glycémie pour gâcher votre journée quand il fait 45°. Enfin, les protéines. Nombre de randonneurs pensent que vous devez consommer des protéines comme un fou à cause des exigences physiques de la marche à longueur de journée. J'ai découvert que ce n'était pas le cas pour moi. L'excellent article de Brenda Baaten sur la nutrition en rando suggère que 10 à 15% seulement de votre régime doit être composé de protéines.

Enfin, l'hygiène. Restez propre. Plus vous passez de temps sans vous baigner ou faire la lessive, plus vous serez mal à l'aise. La sueur et les sels s'accumulent sur vos vêtements et vos chaussettes, ce qui va inévitablement provoquer des irritations et plein d'autres phénomènes désagréables. L'eau est souvent rare, donc quand vous arrivez à un point d'eau abondant, prenez le temps de vous nettoyer. Vous serez sidéré de constater à quel point c'est agréable de mettre des chaussettes propres. Bien que je penche du côté ultra-léger et que je sois très attentif aux grammes que je porte, j'emporte toujours des lingettes (2 à 4 par jour). Je m'essuie de la tête aux pieds au moins une fois par jour. Et ça fait du bien. Vous ne serez pas "propre", mais ça ne veut pas dire qu'il faut être dégueulasse. Dans le désert, ce sont les petites choses qui vous permettent de vous en sortir."

Le sel perdu sur le chapeau de Steel Eye, PCT 2007



(1) Note du traducteur futur thru-hiker: c'est ce qu'on appelle l'hyponatrémie. L'excès d'eau entraîne un déficit en électrolytes. C'est aussi pour ça qu'il faut consommer du sel, comme les brebis. En réalité, l'hyponatrémie, d'après ce que j'en comprends, est due à une déficience rénale, qui empêche l'évacuation de l'eau en excédent, mais les thru-hikers peuvent involontairement se trouver confrontés aux mêmes charmants symptômes s'ils boivent trop sans absorber les électrolytes nécessaires (nausée, vomissement, céphalées, coma).

Photo Joe Swank, PCT 2007

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire