vendredi 9 mars 2012

Un mental d'acier?


"When everything seems to be going against you, remember that the airplane takes off against the wind, not with it."
Henry Ford

"Quand tout semble jouer contre vous, rappelez-vous que l'avion décolle contre le vent, pas avec lui".



J'ai encore fait une découverte, et j'adore ça. Zach Davis est un (jeune) randonneur qui a parcouru l'Appalachian Trail en 2011. Je vous rappelle, à toutes fins utiles, que l'Appalachian Trail est une sorte de pendant du PCT sur la Côte Est des États-Unis. Moins long, peut-être moins difficile (?), beaucoup plus fréquenté. Et Zach vient de publier un livre intéressant (Zach Davis, Appalachian Trials, Good Badger Publishing, 2012) sur la très importante composante psychologique, mentale, d'un thru-hike. Jusque là, on pourrait dire qu'il enfonce des portes ouvertes, quoique... Il me semble cependant que tout le monde s'accorde sur le fait que le mental est la première des raisons qui pousse les randonneurs à abandonner. De très, très loin. Et Zach Davis, très étonné que rien n'ait encore été publié à ce sujet, a décidé d'écrire un petit livre pour étudier cette question et donner quelques conseils de préparation mentale. Là où il a entièrement raison, c'est qu'on trouve des tonnes de bouquins sur la description de l'itinéraire, l'équipement et la préparation physique, mais rien sur la préparation mentale d'une telle randonnée longue distance. Zach a également un blog, The Good Badger.



Permettez-moi, sans tomber dans le catastrophisme, de vous traduire un passage du début de son bouquin. Si je parle de catastrophisme, ce n'est pas pour noircir le tableau, c'est simplement parce que Zach explique — à très juste titre — que, bien plus que les difficultés physiques, ce sont les difficultés... morales qui sont le plus susceptibles de vous pousser à rentrer chez vous. Ça, j'en suis absolument convaincu. Selon lui, il vaut mieux avoir réfléchi à ce qui vous attend à l'avance, au lieu de le balayer d'un revers de la main, afin de vous forger un mental d'acier. Et ce qu'il écrit est bien évidemment totalement transférable au Pacific Crest Trail, qui est par ailleurs plus long. Ce qui m'amuse, c'est que parmi les conseils de préparation mentale, il recommande de faire connaître son projet à tout le monde, parce que ça rendra le renoncement beaucoup plus difficile. Merci, Zach, ce conseil-là, je l'ai déjà mis en œuvre. En termes militaires, on appelle cette stratégie "brûler ses vaisseaux", éliminer autant que faire se peut les échappatoires possibles. Comme le fait remarquer Zach, imaginez la honte, après en avoir parlé à tout le monde pendant des mois, d'abandonner au bout de quinze jours et de rentrer en disant: "Euh, en fait, c'était TRÈS difficile et fatigant, vous ne vous rendez pas compte... Et en plus, il y avait des moustiques!" Cela dit, le moustique californien, c'est une arme de destruction mentale massive. J'ai encore le souvenir des nuages de moustiques sur le John Muir Trail, à en devenir raide dingue. Et je sais que nous avions vraiment songé à abandonner à cause d'eux. C'était aussi insupportable que difficile à décrire.
Bon, je laisse la parole à Zach:


"Un guide psychologique? De la randonnée? Voyons, laissez-moi deviner, un pied devant l'autre? On fait ça environ 5 millions de fois et on parvient à marcher de Springer Mountain, en Géorgie, jusqu'au Mont Katahdin, dans le Maine. Ce n'est pas plus compliqué que ça, non?"
Exact. À un détail près, les cinq millions de pas.
 On pourrait penser que l'aspect le plus difficile d'une marche tout le long de la Côte Est des États-Unis est purement physique. C'est une évidence, parcourir l'Appalachian Trail est un exploit physique que peu d'autres défis de la vie pourraient égaler. Vous devrez pousser votre organisme dans ses derniers retranchements. Vous allez transpirer. Vous allez batailler. Vous allez vous réveiller et vous endormir perclus de douleurs. Cela dit, la difficulté physique n'est pas la raison pour laquelle sept aspirants randonneurs sur dix finissent par renoncer.
Sans le moindre doute à ce sujet, le combat émotionnel et psychologique est bien ce qui fait abandonner les randonneurs de l'Appalachian Trail.
C'est le redoutable et imprévisible impact de vos épreuves dans les Appalaches (Appalachian Trials (1)). C'est le cafard, la solitude. C'est la chaleur écrasante et étouffante pendant que vous affronterez le flanc rocailleux d'une montagne en plein soleil. C'est d'essayer de dormir par des températures glaciales, en espérant que le fait d'avoir mis le moindre vêtement dont vous disposez et d'avoir rabattu votre sac de couchage par-dessus votre tête suffira à vous fournir assez de chaleur pour dormir quelques heures. C'est le bourdonnement incessant des moustiques, des mouches et des moucherons. C'est l'ennui qui naîtra de marcher encore et encore dans des secteurs sans intérêt. C'est la douleur que vous ressentirez dans tous vos muscles au réveil. C'est de remettre des vêtements imbibés de sueur pour la cinquième fois d'affilée. C'est d'essayer de dormir à côté d'un crétin qui ronfle à vingt centimètres de votre visage. C'est d'être réveillé sous un abri par le bruit d'une souris qui ronge votre sac à dos. C'est de ch... sous la pluie. Bon courage pour vous essuyer. C'est de boire l'eau douteuse des torrents. C'est d'errer sur deux kilomètres avant de vous rendre compte que vous ne savez plus du tout où vous êtes. C'est de vérifier vos parties intimes pour y rechercher des parasites et des tiques porteuses de maladies à la fin d'une journée harassante. C'est de vivre sous une croûte permanente de crasse. C'est de marcher pendant des jours et des jours avec des ampoules palpitantes entre les orteils et sur le côté des talons. C'est de quitter le sentier pour aller aux toilettes et vous rendre compte que vous êtes au milieu d'un buisson de chêne vénéneux. Ce sont les cailloux qui vont détruire vos chaussures et vos semelles, et vous donner l'impression que vous marchez pieds nus. C'est de courir sous un orage en entendant la foudre tomber à côté de vous. C'est le bruissement d'un animal qui rôde autour de votre tente juste au moment où vous alliez vous endormir.
Voilà les raisons pour lesquelles les gens jettent l'éponge, pas parce qu'une ascension est trop rude."

(1) Jeu de mots dans le titre du livre: Trail = sentier, Trial = épreuve.


Un montage de photos de Zach sur l'Appalachian Trail. Vous devriez vite noter la grosse différence d'atmosphère avec le Pacific Crest Trail... C'est, au fond, la différence entre l'Est et l'Ouest américain. Ah! L'Ouest! The West!...


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