vendredi 24 février 2012

Bernard Ollivier


"La volonté parle encore quand la nature se tait".
Jean-Jacques Rousseau




"Quand on ne veut qu'arriver
on peut courir en chaise de poste.
Mais quand on veut voyager,
il faut aller à pied.
Jean-Jacques Rousseau, Émile


À l'heure où je pose un point final au récit de ma "longue marche" et où j'ouvre le dossier de quelques projets nouveaux, je voudrais faire un aveu: depuis 1999, ce voyage de plus de onze mille kilomètres je ne l'ai pas accompli tout à fait seul.
Il y a quatre ans, j'entamais une aventure folle au sens propre du terme. Seul et, pensais-je, vieux. Retraité, j'éprouvais ce que doit ressentir tout homme ou femme dont l'existence sociale bascule d'un coup. Hier, j'étais un journaliste aimant son métier — même si celui-ci prenait une pente qui me faisait douter de plus en plus du bien fondé de son exercice —, dans un monde de plus en plus inquiet et haletant. J'avais une place, un nom, une raison d'être.
Et puis tout soudain je devenais un "pensionné", autant dire un quasi assisté, sans gouvernail, sans destination. Sans amour aussi, puisque celle que j'aimais n'était plus.
Je me suis lancé sur la route de la Soie comme on lance une bouteille à la mer. Pour exister. On me demandait ce que j'allais chercher si loin. Pouvais-je répondre "une raison de survivre"? Il n'était pas, alors, dans mon esprit, question de réussite. Mes chances de parvenir au but étaient, pensais-je, à peu près nulles. Comment aurais-je pu être assez outrecuidant pour prétendre, à mon âge, seul, à pied, sur une distance aussi effrayante, aller au bout d'une équipée que personne, à ma connaissance, n'avait jamais tentée ou réussie? J'étais comme un nageur asphyxié, au fond de l'eau, qui donne un coup de rein pour revenir à la surface. De l'air. Ce jour-là, de ce côté-ci du Bosphore, même si j'ai imaginé que, peut-être, je pourrais y laisser la vie, je n'étais pas prêt à mourir. Je veux dire, pas résigné à n'être plus rien. Il fallait que j'aille. Car tant qu'il vit, un homme doit aller."
[…]
Bernard OLLIVIER, Longue marche, volume III, Le Vent des steppes, épilogue. Éditions Phébus, 2003.



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