dimanche 5 février 2012

Une relative antiquité




Si vous êtes d'assidus lecteurs de cet extraordinaire blog, vous devez vous rappeler qu'il y a peu je m'interrogeais sur la durée de vie du Pacific Crest Trail. La surfréquentation est en effet, à mon sens, une fantastique menace pour ce remarquable parcours, dont je qualifiais l'existence de "miracle". Le terme n'est pas anodin, vous le verrez dans le passage que je vous traduis ci-dessous.
Il convient de prendre également en compte la vitesse à laquelle les choses évoluent aux États-Unis, un pays dans lequel une maison âgée de trente ans est qualifiée de monument historique. Et il n'est nul besoin d'aller à Las Vegas pour découvrir un nouveau paysage urbain à chaque voyage. Cette transformation permanente des États-Unis confirme, une fois encore, que l'existence du PCT est bien un miracle. Un miracle antique, puisqu'on a commencé à évoquer la possibilité de sa création dans les années 1920.
J'ai donc été particulièrement intéressé de lire ce que dit Bill Bryson concernant l'Appalachian Trail. Il me confirme égoïstement qu'il faut se précipiter sur le PCT avant qu'il ne fasse lui aussi partie des souvenirs de l'histoire.
Dans ce passage, la réflexion de Bryson est suscitée par une halte ravitaillement dans une petite ville aux portes du Parc National des Smoky Mountains, Gatlinburg, dans le Tennessee.


"Je sais que le monde est en perpétuelle évolution, mais la vitesse du changement aux États-Unis est tout simplement sidérante. En 1951, l'année où je suis né, Gatlinburg n'avait qu'un seul commerce, un magasin de fournitures générales qui s'appelait Ogle's. Puis, avec l'accélération économique des années qui ont suivi la guerre, les gens ont commencé à venir vers les Smoky Mountains en voiture, et des motels, des restaurants, des stations services, des boutiques de souvenirs sont apparus pour les servir. En 1987, Gatlinburg disposait de 60 motels et 200 boutiques de souvenirs. Aujourd'hui, elle a 100 motels et 400 boutiques de souvenirs. Et le plus remarquable est que ça n'a rien de remarquable.
Réfléchissez à ceci: la moitié des bureaux et des centres commerciaux d'Amérique, aujourd'hui, ont été construits depuis 1980. La moitié. 80% de toutes les maisons du pays sont postérieures à 1945. De toutes les chambres de motels d'Amérique, 230 000 ont été construites au cours des 15 dernières années. À proximité de Gatlinburg se trouve la ville de Pigeon Forge, qui il y a vingt ans était un hameau endormi — non, qui aspirait à être un hameau endormi — qui n'était connu que comme la ville natale de Dolly Parton. Puis l'estimable Mme Parton y a bâti un parc de loisirs du nom de Dollywood. Désormais, Pigeon Forge dispose d'un centre commercial de 200 magasins d'usine répartis le long de 5 km de route. C'est plus grand et plus laid que Gatlinburg, mais il y a davantage de place pour se garer et ils reçoivent davantage de visiteurs.
Maintenant, comparez tout ça à l'Appalachian Trail. Au moment où nous avons fait notre randonnée, l'Appalachian Trail avait 59 ans. C'est, selon les critères américains, un âge tout à fait vénérable. La piste de l'Oregon ou celle de Santa Fe n'ont pas duré aussi longtemps. La Route 66 n'a pas duré aussi longtemps. L'ancienne Lincoln Highway, qui allait d'une côte à l'autre, une route qui a apporté la richesse et la vie à des centaines de petites villes, si importante et célèbre qu'on a fini par l'appeler "la rue principale d'Amérique", n'a pas duré aussi longtemps. Rien en Amérique ne dure aussi longtemps. Si un produit ou une société ne se réinvente pas en permanence, il ou elle est vite dépassée, mis de côté, abandonné sans faire de sentiment au profit de quelque chose de plus grand, de plus neuf et — hélas — toujours plus laid. Et il reste le bon vieux AT, qui fonctionne toujours après 60 ans, sans faire de bruit, splendide, fidèle à ses principes fondateurs, ignorant que le monde continue d'évoluer. C'est un miracle, vraiment."

Bill Bryson, A Walk in the Woods.


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