"Être raisonnable en toutes circonstances? Il faudrait être fou..."
Raymond Devos
À un mois du départ vers Los Angeles, dans quel état d'esprit, de quelle humeur suis-je? En-dehors du fait que j'ai pour l'heure attrapé la crève et que je me verrais mal marcher pendant des heures avec ma bronchite et mes quintes de toux de vieillard cacochyme, je suis dans une zone de flou assez curieuse. Dans les limbes, à un détail près, j'espère. Les limbes étaient aux portes de l'enfer. J'espère pour ma part que j'approche du paradis. Bon, OK, un paradis qui sera de temps en temps un peu infernal. Je suis naturellement extrêmement heureux de cette échéance qui se rapproche, et très impatient, mais elle semble encore un peu irréelle. Non, complètement, totalement irréelle. Il vaut d'ailleurs peut-être mieux rester dans cet état semi-comateux de conscience incertaine. Je contemplais hier les Pyrénées enneigées de ma terrasse (oui, je suis un veinard, je vous l'ai déjà dit) et j'ai pris conscience, de manière vertigineuse, que ce que j'allais entreprendre équivalait à la traversée intégrale des Pyrénées, de l'Atlantique à la Méditerranée. Mais six fois de suite... C'est tellement démesuré que ça n'a plus de sens, comme les chiffres de la dette grecque. Ou la nôtre. Comme les dimensions de notre galaxie. Mais, je l'ai déjà expliqué, c'est très exactement ÇA qui m'intéresse et m'attire comme un aimant: la démesure d'un projet. J'en ai déjà plusieurs dans ma musette.
J'essaie de me dire que dans un mois et demi à peine, je serai dans le désert, mais ça reste virtuel. Évidemment, beaucoup d'interrogations se bousculent et je paie peut-être le fait d'être, officiellement, prêt à partir. La logistique devrait être à peu près au point, ce qui veut dire en réalité que je ne vois rien d'autre à préparer avant le départ. Le matériel est empilé sur le sol de la chambre. Ce qui va aller dans le sac, ce qui va aller dans la bounce box que je ferai suivre de ville en ville. Mais en même temps, je me demande ce que j'ai oublié, quelles sont les erreurs que j'ai commises. Je commence déjà à oublier le planning que j'ai préparé, de sorte que je me dis que j'ai dû oublier des choses essentielles.
D'un autre côté, c'est ainsi que je voudrais aborder ce parcours: raisonnablement organisé, mais avec la souplesse et la capacité de m'adapter aux circonstances. Je ne peux même pas imaginer préparer, comme le font nombre de hikers, tous mes repas à l'avance, déshydrater des tonnes de plats cuisinés, et tout organiser de manière militaire. Ce n'est pas comme ça, du tout, que je veux randonner. Ma philosophie serait plutôt du genre "carpe diem", on verra bien sur place.
Le point crucial, mais celui-là ne pourra être étudié qu'une fois arrivé aux États-Unis, avec les toutes dernières informations, est celui de l'approvisionnement en eau. C'est à vrai dire le seul domaine dans lequel il vaut mieux ne pas improviser. Il n'y a pas que le désert qui pose problème. En réalité, le manque d'eau est une constante sur le Pacific Crest Trail, tout le long du parcours, sur 4300 kilomètres, à l'exception des 300 km de la Sierra Nevada. Je sais que la priorité sera quotidiennement de savoir où se trouve le prochain point d'eau à peu près fiable. Toujours. Pour ce faire, on a accès aux Water Reports, collationnés par un hiker du nom de AsABat. Il met régulièrement à jour sur son site les informations qui lui sont transmises par les randonneurs (hier, telle source était à sec, ou il y avait encore un filet d'eau, ou elle est complètement croupie...). Son précieux site, une banque de données sur tous les points d'eau des 4300 km du parcours, a donc une validité extrêmement brève, parce que dans le désert, notamment, les informations de la semaine dernière ne sont probablement plus bonnes cette semaine. Il faudra que j'imprime les Water Reports à Los Angeles, et ensuite on se connecte régulièrement quand on a accès à internet, afin de vérifier la situation. C'est un mode de fonctionnement un peu étrange, parce que la question de l'eau a toujours été, en 40 ans de montagne, un non sujet pour moi. On trouvait de l'eau partout, point.
Sur le PCT, ce n'est pas DU TOUT le cas. Il s'agit donc là d'une source (pardon!) d'informations fondamentale, vitale, à prendre très sérieusement. C'est vaguement inquiétant, aussi.
La toute première étape au départ de Campo sera, de ce point de vue, un test intéressant. Pour des raisons que j'ai déjà évoquées (risques liés aux nombreux immigrants mexicains clandestins), il est recommandé de parcourir d'un trait les 32 km de désert jusqu'à Lake Morena. Sans eau. On préconise de porter 8 litres d'eau au départ. Je pense que je ne jouerai pas trop avec ça, d'autant que je bois généralement comme un trou. Il est arrivé récemment qu'une randonneuse déclenche sa balise au cours de cette première étape, parce qu'elle n'avait plus d'eau!! Vous imaginez la tête des sauveteurs à leur arrivée en hélicoptère? Oui, je vous ai appelés parce que ma gourde est vide... C'est ballot, hein?
Water Reports: exemple des premiers points d'eau.
À droite, on a (pas visible ici) la date de l'info, point crucial.
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Sur le front de la photo, je n'entrerai pas dans des détails qui confirmeraient — si nécessaire — que je suis vraiment cinglé, mais j'ai délibérément créé une situation qui pourrait retarder mon départ de Campo. J'ai revendu mon boîtier et commandé un nouvel appareil qui, pour faire simple, n'existe pas encore. Je suis inscrit, à Los Angeles, pour faire simple, encore, sur une liste d'attente. Mais le suspense plane quant aux premières dates de livraison. Nikon a souffert de quelques sérieuses mésaventures depuis plusieurs mois, des petits désagréments genre tremblement de terre, tsunami, inondations en Thaïlande, usines détruites, et leurs capacités de production ont été gravement affectées. L'appareil que je convoite avec une concupiscence certaine est aussi attendu comme le Messie par une horde de photographes professionnels, et en particulier ceux qui seront à Londres pour les Jeux Olympiques pendant que je m'efforcerai de décrocher ma médaille d'or à moi. On peut soupçonner Nikon de vouloir leur accorder la priorité s'ils ne parviennent pas à produire suffisamment dans leur usine de Sendai, à quelques kilomètres à peine des régions côtières dévastées par le tsunami. Chouette, je vais avoir un appareil radio-actif qui luit dans le noir! La date des premières livraisons était officiellement le 17 février, mais elle a déjà été repoussée à la mi-mars. Je me ronge les ongles, en espérant que l'appareil sera disponible pour le 5 avril. Je suis 19e sur la liste d'attente chez le distributeur que Rob a choisi pour moi. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pourquoi diable ai-je toujours des idées à la con? Bon, je vais bientôt avoir du temps pour réfléchir à tout ça...
P.S. qui a à voir:
Le mot qui m'est immédiatement venu à l'esprit pour le titre de ce billet est celui de "mood", l'humeur. Je suis de bonne humeur, d'humeur à faire ceci ou cela, de quelle humeur suis-je? Ça fait un peu cuistre, sans doute, mais il arrive souvent que les mots me viennent plus facilement en Anglais qu'en Français, déformation professionnelle oblige. Or, "I'm in the mood" (je suis d'humeur, je me sens prêt à...) est aussi le titre d'un fabuleux morceau de John Lee Hooker dont je suis un fanatique inconditionnel, d'autant qu'il joue cette formidable version avec Bonnie Raitt. Que du bonheur! Vous avez décidément beaucoup de chance: vous lisiez des divagations sur un trek de cinglé et vous gagnez un grandiose moment de blues. Veinards, va!
I'm in the mood for some hiking...
I'm in the mood for some hiking...
I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood, I'm in the mood for love
I say night time is the right time, to be with the one you love
You know when night comes baby, you're so far away
I'm in the mood, Lord, Lord, I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, in the mood, O Lord, in the mood for love
Yes, my dad told me, to leave that man alone
But my dad didn't tell me, O Lord, that man was puttin' down
I'm in the mood, baby, in the mood for some of your love
I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, I'm in the mood, I'm in the mood for love
I say night time is the right time, to be with the one you love
You know when night comes baby, you're so far away
I'm in the mood, Lord, Lord, I'm in the mood, I'm in the mood for love
I'm in the mood, in the mood, O Lord, in the mood for love
Yes, my dad told me, to leave that man alone
But my dad didn't tell me, O Lord, that man was puttin' down
I'm in the mood, baby, in the mood for some of your love
I'm in the mood, I'm in the mood for love
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