lundi 13 février 2012

Russell


"There was the Count's mountain. Count Henry Patrick Marie Russell-Killough, the monstre sacré of Pyrenean exploration, was eight years younger than his friend Charles Packe, but a man whose eccentricity brought him greater notoriety. Russell, born to an Irish father and a French mother, was a romantic, a man who had studied philosophy, was an accomplished violinist and, according to his contemporary Beraldi, an effréné valseur, a wild waltzer. He was also responsible for sixteen first ascents in the Pyrenees.
Russell fell in love with Vignemale, the highest peak in the French Pyrenees, clothed in the range's most elegant glacier. Russell's infatuation with this white-robed colossus led him to climb to the summit thirty-three times, on the last occasion at the age of seventy."
Nicholas Crane, Clear Waters Rising, A Mountain Walk Across Europe, Viking, 1996.


"Là se trouvait la montagne du Comte. Le Comte Henry Patrick Marie Russell-Killough, le monstre sacré de l'exploration pyrénéenne, avait huit ans de moins que son ami Charles Packe, mais son excentricité lui avait valu une plus grande notoriété. Russell, né d'un père irlandais et d'une mère française, était un romantique, qui avait étudié la philosophie, était un violoniste accompli et, d'après son contemporain Béraldi, un valseur effréné. On lui doit aussi seize premières ascensions dans les Pyrénées.
Russell était tombé amoureux du Vignemale, le plus haut sommet des Pyrénées françaises, drapé dans le plus élégant glacier de la chaîne. La passion de Russell pour ce colosse en robe blanche l'avait conduit à en faire l'ascension trente-trois fois, la dernière à l'âge de soixante-dix ans".






Le Comte Henry Russell est un personnage pour lequel j'ai beaucoup de tendresse. C'était un dingue d'origine irlandaise qui, après avoir bourlingué dans le monde entier, au XIXe siècle, avait fini par débarquer dans les Pyrénées dont il était tombé éperdument amoureux. Son nom est tout particulièrement attaché à l'histoire du Vignemale, le 3e sommet des Pyrénées, le 1er côté français. Il a même réussi à en obtenir la concession pour 99 ans et a fait creuser des grottes près du sommet pour y séjourner. Que voulez-vous, un type assez cinglé pour faire monter un poêle et des tapis persans sur un glacier afin d'y fumer sa pipe tranquillement, haut de forme sur la tête, moi ça m'attendrit.
Bref, on pourrait longuement parler de Russell, mais c'est un extrait de son livre "Souvenirs d'un montagnard", publié à Pau en 1908, et que j'ai la chance de posséder, que je voudrais vous soumettre. Ce qu'il écrit dans ce passage permet de relativiser les états d'âme des randonneurs ultra-légers armés de cuillères en titane. Ce texte date de 1899.



"Quoiqu'il en soit, je n'ai aucune hésitation à poser en principe que dans les Pyrénées, un homme solide et bien portant, prudent et jeune, c'est-à-dire n'ayant guère dépassé les quarante ans, peut s'habituer à gravir les plus hautes cimes sans risque sérieux, s'il a soin d'observer certaines règles que dicte le sens commun et qu'apprend l'expérience. Ainsi celui qui veut apprendre ce qu'on pourrait appeler "l'art de la solitude" dans le dédale souvent perfide des montagnes, loin de la vie civilisée, doit avant tout être en parfaite santé: sans cela, il risque sa vie à chaque instant. C'est la première de toutes les conditions... Si le matin de son départ il est un peu malade, ou s'il a mal dormi, de manière à partir fatigué, il ne doit pas partir du tout.
Il devra prendre des vivres pour plus d'un jour, car il peut arriver à tout le monde de se perdre: mais ce n'est pas un accident sérieux, si l'on a de quoi vivre. Dans les sauvages montagnes de la Nouvelle-Zélande, je suis une fois resté trois jours perdu et seul, sans un atome de nourriture. C'est le beau temps du troisième jour qui me sauva la vie. Sans cela, j'étais "fini". Mais la leçon a été bonne! Ce sont des catastrophes auxquelles on ne s'expose jamais deux fois! Et la moindre prévoyance me l'aurait épargnée!
Le "solitaire" devra toujours avoir un sac en peaux d'agneaux, pour pouvoir se passer de cabanes, et à plus forte raison, d'hôtels! On s'habitue bien vite à dormir sous des blocs de granit: et dans les Pyrénées, il n'en manque pas! On n'a que l'embarras du choix! Un bon rocher vaut une maison, et on se sent chez soi. Aucun voisin pour faire du bruit; pas d'ouvriers, pas de bébés miaulant ou gémissant; sécurité complète contre l'incendie; pas besoin d'assurance!
N.B.- La laine du sac devra être en dedans, d'abord parce que cela tient plus chaud; ensuite pour éviter d'être pris pour un agneau, danger sérieux dans les pays de loups, qui sans cette précaution, m'auraient peut-être mangé en 1865, au milieu de la nuit, sur les déserts du Cotiella.
Il saute aux yeux qu'il faudra une chemise de flanelle, et des bas de rechange, ainsi qu'une carte et une boussole. Les espadrilles sont très utiles sur les rochers, et la nuit, elles remplacent les pantoufles.
On me dira peut-être que tout cela constitue un grand poids... Erreur! Vivres pour trois jours, costume et sac n'arrivent certainement pas ensemble à peser quinze kilos: et si l'on a bon appétit, comme c'est probable, la charge des vivres diminue vite! Mon sac en peaux d'agneaux, qui depuis trente-six ans me sert de lit dans les montagnes, et qui, dans d'effroyables tempêtes de neige, m'a plus d'une fois sauvé la vie, ne pèse que trois kilos! C'est une des plus belles inventions de notre siècle, dont on dit tant de mal... Le voilà réhabilité."

Henry Russell, Souvenirs d'un montagnard, Pau, Vignancour, 1908


Pas de tente ni de tarp. UL hiking, façon Russell.

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