mardi 21 février 2012

Pan, pan!



"Vivre, c'est ne pas se résigner".
Albert Camus


Contrairement à ce que pensait ce bon Docteur Pangloss, tout ne va pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Je suis sûr que vous l'aurez remarqué aussi.
Deux sujets parallèles, et quelques photos, viennent d'alimenter le débat, voire la fureur chez certains, dans l'Ouest américain. Le loup et le puma, encore.
Même si l'existence miraculeuse du Pacific Crest Trail et de la très étonnante communauté qu'il a générée, peuplée d'anges et de magiciens, pourrait laisser accroire qu'on a rangé les armes, au Far-West, et qu'on consacre désormais tout son temps à contempler les petites fleurs, à observer avec émerveillement les pérégrinations d'OR7 et à verser une larme sur les petits pumas orphelins, nous sommes des vieux de la vieille à qui on ne la fait pas et nous nous doutons bien que l'homme ne renonce pas aussi aisément à sa capacité illimitée de nuisance. Surtout si on lui met une arme entre les mains.
N'ayez crainte, l'opposition féroce entre défenseurs du wilderness, d'une nature sauvage et aussi vierge que possible, et... ceux qui ont une vision radicalement différente fait rage de l'autre côté de l'Atlantique, au même titre que dans les Pyrénées, par exemple, à propos des quelques ours qui s'y cachent. C'est très certainement bien plus violent là-bas, d'ailleurs, pour des raisons historiques, politiques, idéologiques.
Alors, voilà, en quelques mots, les sujets qui se sont télescopés ces derniers jours du côté de la Côte Ouest et qui fournissent riche matière à réflexion. Car c'est vraiment ça qui est le plus intéressant, finalement. Réfléchir...

Je vous ai déjà parlé de Tejon Ranch, cette incroyable et gigantesque propriété privée à l'est de Los Angeles, sur les premiers contreforts de la Sierra Nevada, à la limite du désert du Mojave. Une propriété privée quasiment aussi grande que la Suisse (j'exagère à peine), qui a longtemps fait obstacle au passage des randonneurs pouilleux du PCT. Ils continuent de les regarder d'un très mauvais œil, espérons seulement qu'ils ne finiront pas par leur faire le même sort qu'aux pumas. En effet, vous le savez aussi, si vous apprenez par cœur cette Bible du PCT, le puma est une espèce extrêmement protégée en Californie. Le puma a le droit de me briser la nuque, mais je n'ai pas le droit de lui faire le moindre mal. J'ai juste droit à la légitime défense avec mes petits poings musclés. Tiens! Prends-toi ça dans les crocs, ça t'apprendra à me mordre! Or, une des activités de Tejon Ranch — qui exploite par ailleurs ses fabuleux paysages pour de nombreux tournages de films, puisqu'on est à portée de fusil de Hollywood — est d'organiser des safaris. Et il semblerait qu'ils aient choisi de profiter de l'immensité de leur territoire pour proposer à de riches Angelenos de venir tirer le puma comme un vulgaire lapin, en toute discrétion. Manque de bol, un des garde-chasse a été tellement choqué qu'il a fini par vendre la mèche, offrant aux journaux, au passage, des photos en guise de preuve. Il est d'ailleurs sur la photo, l'air un peu piteux. On pourrait dire qu'il en est tombé de cul, de les voir estourbir autant de pumas de manière absolument illégale. Le Tejon Ranch vient d'être condamné à une forte amende et a promis qu'on ne l'y reprendrait plus. Déjà qu'au vu de leurs démêlés avec l'association du PCT, je n'avais guère de sympathie pour eux... Mais les choses ne sont jamais aussi simples qu'on le souhaiterait. Tejon Ranch a expliqué qu'ils abattaient les pumas pour protéger d'autres espèces, afin de... pouvoir les chasser eux-mêmes. Le message adressé aux pumas, donc, c'était: "c'est moi le tueur, pas toi". Calife à la place du calife, en somme: on élimine le prédateur pour devenir prédateur soi-même.

Activités de loisirs à Tejon Ranch
Tejon Ranch va payer une amende pour avoir tué des pumas.



Le pauvre puma, il a une vie de chien, si j'ose dire. Il peut certes être dangereux, mais il semble que ce soit surtout sa propre vie qui soit dangereuse, vu le nombre de ceux qui cherchent à lui faire un mauvais sort. Une autre photo vient de scandaliser un grand nombre d'Américains. Le responsable de la Commission pêche et chasse de Californie vient de publier une photo épouvantable, d'un mauvais goût achevé, du moins pour ceux qui ne partagent pas sa vision très particulière de l'amour de la nature sauvage. Il me rappelle cette phrase célèbre d'un des généraux de l'armée américaine au XIXe siècle, Philip Sheridan, qui avait déclaré que le seul bon Indien était un Indien mort.
Ô ironie suprême, c'est cette même commission qui a fait payer une amende à Tejon Ranch... pour avoir abattu des pumas!! C'est comme avec Orwell: deux jambes: pas bien; quatre pattes: bien (two legs bad, four legs good). Ici, c'est pan, pan! sur les pumas en Californie: pas bien. Pan, pan! sur les pumas en Idaho: bien.
La photo a été prise en Idaho, en haut et à droite du PCT, où la chasse au puma est légale. Cela ne l'empêche pas d'être quelque peu consternante, ni la photo d'être pitoyable. D'ailleurs, en réponse à la publication de la photo, plusieurs lecteurs américains se sont proposés pour partir à la recherche du chasseur et lui faire subir le même sort qu'au puma... Il faut bien reconnaître qu'il a vraiment une tronche de con, si vous me passez l'expression, vous ne trouvez pas? Pas le puma, celui qui est derrière lui, avec son sourire d'auto-satisfaction imbécile.
Au XIXe siècle, on profitait de la nouvelle invention de la photographie pour se faire immortaliser devant des montagnes d'ossements de bisons massacrés. Plus ça change, moins ça change, non?




Petit rappel de géographie: sur la côte ouest, en partant du Mexique, vous avez la Californie, puis Oregon, et Washington. Jouxtant l'Oregon à l'est, l'Idaho. Idaho et Montana voisin sont parfois des caricatures des représentations qu'on peut avoir de la mentalité de l'Ouest. Il n'est peut-être pas si étonnant que ça que des groupuscules nazis s'y entraînent dans les bois. Pan, pan! On tire à tout va, en vue de la lutte finale. En Idaho, donc, on peut tirer sur des espèces protégées dans la Californie voisine. C'est bien l'objet du débat concernant OR7, dit Journey, le loup isolé venu d'Idaho, en transitant par l'Oregon où on l'a affublé d'un collier émetteur et de ce nom de code exotique, avant de parvenir en Californie où il est officiellement protégé.
Moi, je serais OR7, je resterais planqué bien au chaud en Californie. En effet, son frère (oui, vraiment, son frère) OR9 vient d'être dézingué par un chasseur en Idaho, avec les félicitations du Gouverneur de l'État, qui a même proposé sarcastiquement au Gouverneur d'Oregon, d'où était revenu OR9, de lui envoyer quelques loups supplémentaires, s'il en manquait. 

Comme vous le voyez, ce n'est pas toujours avec un appareil photo à la main qu'on se promène dans la nature, dans l'Ouest américain tant vénéré par John Muir. Du puma ou du mec hilare derrière lui, on peut légitimement se demander lequel est le plus dangereux. Mais, sans pourtant adopter une vision angélique et naïve de ces questions de "nature",  je pense que vous avez déjà deviné ce que j'aurais tendance à en penser.
Pourtant, j'ai aussi bien conscience que la vision de la nature sauvage "vierge" qu'entretiennent nombre de citadins américains est un peu simpliste et fantasmée. Je ne sais pas bien non plus comment je vivrais si j'avais des pumas, des ours et des loups dans mon jardin. Déjà que les taupes m'emmerdent!... On en revient, encore et toujours, à la relation à la nature. Amie ou ennemie? Amérique des villes contre Amérique des champs. Une question d'importance, intéressante, à méditer. On verra ce que je penserai de tout ça quand je serai sur le Pacific Crest Trail, après quelques nuits blanches passées à guetter les ours rôdant autour de ma tente.

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