dimanche 26 février 2012

Un paysage américain




Désert du Mojave
(PCT en vert, en haut à gauche)
(Google Earth)


En voyant ce paysage américain du désert, sur Google Earth, je me suis dit que je pourrais en profiter pour déballer ma science et vous expliquer très sommairement pourquoi on peut contempler des paysages aussi surréalistes quand on survole les États-Unis. Cette grille géométrique orientée nord-sud (les géographes appellent ça un carroyage) est en effet caractéristique de l'Amérique du Nord. Ou comment la politique peut se lire dans la nature... Ou l'histoire à travers la géographie.

Dès 1784, à une époque où les États-Unis indépendants depuis un an se trouvaient encore à l'est du Mississippi et où le continent nord-américain ne leur appartenait pas, les Américains, sous l'impulsion de Thomas Jefferson, décident néanmoins de cartographier l'Amérique d'une manière curieuse. Bienvenue chez les cinglés. Ils envoient des géomètres mesurer, à pied, l'intégralité du continent avec une chaîne d'arpenteur (plus fort que le PCT!) et le diviser en carrés de 10 kilomètres de côté, orientés nord-sud, qu'ils nomment "townships". Ces carrés de 10km sont affectés d'une référence orthonormée, et sont eux mêmes sous-divisés en 36 parcelles numérotées de... 1 à 36. Le but politique est de permettre la colonisation d'un continent qu'ils ne possèdent pas, et d'y favoriser le développement d'une république de petits agriculteurs vertueux. En bref, de le vendre. La propriété est en effet la base de l'idéologie américaine. En Europe, la propriété était l'apanage d'une minorité aristocratique. L'Amérique sera une démocratie; donc, tous les Américains pourront devenir propriétaires d'un bout d'Amérique. Ah? Elle ne nous appartient pas? Qu'à cela ne tienne, on va la piquer aux autres!

On part d'un méridien d'origine, situé en Ohio, et d'une "ligne de base," un parallèle de référence, et en avant. Ainsi, le township en orange sur le schéma ci-dessous (T2S / R3W) est le deuxième carré de 10 x 10 km, situé au sud de la ligne de base. "T" signifie "Township": Township 2 vers le Sud (T2S).
Ce même carré est également le troisième à l'ouest du méridien de référence. "R" signifie "Range". R3W = Range n° 3 vers l'ouest (W pour West).
Avec ces coordonnées, on a la localisation géographique exacte du terrain en question. Comme ça représente quand même un carré de 100 km2, on l'a subdivisé en 36 sections, dont la numérotation suit toujours le même cheminement. Les sections sont elles-mêmes subdivisées en demi, quarts, huitièmes de sections. Vous imaginez le turbin d'enfer? Si vous vous demandiez pourquoi les villes américaines ont un plan géométrique, eh bien, maintenant, vous savez...
On l'occurrence, si je suis intéressé par le terrain du deuxième schéma, je sais qu'il s'agit de la Section 14 de T2S / R3W. Et je sais dès lors exactement où il se trouve.

Un exercice pour vérifier si vous écoutez bien les explications:
Donnez le nom du premier carré situé en-haut à gauche du schéma ci-dessous (réponse au bas de la page).



Alors, le plus incroyable est qu'en plusieurs décennies, des géomètres ont arpenté (au propre et au figuré) tout le continent nord-américain et identifié et cartographié des milliers de townships. Cette trame a servi au développement des États-Unis à un point que vous n'imaginez même pas, et que ce n'est pas ici le lieu de développer. Si vous roulez dans l'Ouest américain en ligne droite sur des kilomètres et que, tout d'un coup, la route fait deux angles à 90°, un coup à gauche, un coup à droite, avant de continuer en ligne droite, sachez que vous pouvez remercier les géomètres du XIXe siècle. Le réseau routier initial (avant autoroutes) suivait pour l'essentiel les limites entre townships. Forcément, puisque ces townships étaient devenus des propriétés privées, dans le paradis de la propriété privée. Et à la fin du XVIIIe siècle, ils n'avaient pas pensé aux voitures! Les routes suivaient donc le quadrillage. Or, sur des distances aussi énormes, des lignes orientées nord-sud ne pouvaient pas toutes... rejoindre le Pôle Nord! Afin de respecter l'orientation des méridiens, on a donc été obligé de faire des décrochements réguliers, afin de garder la direction des pôles.

Ce n'est pas une grille de loto, c'est un plan cadastral américain.

Palm Springs, Californie.
(Google Earth)

Et cette grille géométrique est bien entendu toujours visible. Elle marque de son empreinte colonisatrice tout le continent, y compris au fin fond du désert du Mojave. Les ronds, quant à eux, sont le résultat de l'irrigation, quand des systèmes d'arrosage tournent en rond dans un endroit particulièrement aride.

Bienvenue en ville.
(Google Earth)
Agriculture à l'Américaine.
(Google Earth)
Google Earth... en Californie.
(au sud de Bakersfield)



Réponse exercice: T3N / R4W

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