dimanche 6 novembre 2011

La couronne, simple ou triple?


« I know that our bodies were made to thrive only in pure air, and the scenes in which pure air is found. »
John Muir

« Je sais que notre corps est fait pour ne fonctionner correctement qu’au grand air, et dans les endroits où celui-ci se trouve. »



Photo PCTA
www.pcta.org




Ultra-longue distance. UL. Une spécialité américaine. Le Pacific Crest Trail n’est pas le seul parcours de tarés qu’on y trouve, loin s’en faut. Wikipedia en répertorie des dizaines. Et en 2000, le gouvernement américain a établi une liste de 16 parcours de randonnée à connotation historique, pourrait-on dire. Le PCT n’en fait même pas partie, mais le plus long, American Discovery Trail, fait tout de même… 10 200 kilomètres. On aime bien une certaine démesure, ou une démesure certaine, dans l’Église des dingues furieux. Question de dignité.
Dans le sens nord-sud, les trois seigneurs dans ce domaine - l’Everest, le K2, et le Kanchenjunga de la rando - sont néanmoins l’Appalachian Trail, sur la côte Est (3500 km), le Continental Divide Trail (5000 km) dans les Rocheuses, et le Pacific Crest Trail (4300 km). (9, 4 et 1 sur la carte)



Quand vous appartenez à l’Église des dingues furieux, vous avez éventuellement la possibilité d’adhérer à la sous-sous-sous-sous catégorie de ceux qui ont fait les trois parcours. On vous décerne alors ce qu’ils appellent la Triple Couronne (Triple Crown). Ne rigolez pas, mais je me suis déjà dit (à l’insu de mon plein gré) que si tout se passait bien pour le PCT, il se pourrait que je réfléchisse ensuite à l’idée d’aller voir du côté des Rocheuses… Ça doit être beau, les Rocheuses. Toujours ce besoin irrépressible à la con de vouloir me prouver… C’est terrible, quand même. Heureusement qu’ils n’ont pas inventé la quintuple couronne !
Alors bien sûr, les Triple Crowners sont une minorité. Mais en 2001, Brian Robinson, dit Flyin’ Brian, a obtenu la Triple Couronne. Assez rapidement. Les trois parcours, PCT, CDT, AT.
Dans l’année.
Oui, oui, dans l’année, à la suite les uns des autres. 12 800 kilomètres. Étalés sur 365 jours, ça ne fait que 35 kilomètres par jour. Tous les jours. Effectivement, Brian Robinson fonctionnait correctement au grand air.

Brian Robinson

Brian à la fin de sa Triple Couronne.


Quant au PCT, le premier parcours intégral a été accompli par un jeune de 20 ans, Eric Ryback, en 1970. En jeans, avec un sac de 30 kg. Sans les cartes dont nous disposons dorénavant, sans GPS ni iPhone. Sans petite cuillère en titane.

Eric Ryback pendant le 1er thru-hike du PCT.


Tout ça relativise la question de la distance à parcourir sur le Pacific Crest Trail, même si ça représente un aller-retour Paris-Moscou. En montagne, essentiellement. Et pas en avion.




L’histoire du PCT remonte aux années 20 et à quelques visionnaires, qu’on pourrait aussi qualifier de dingues. Catherine Montgomery,  Clinton Clarke… Mais il n’a été reconnu officiellement, gravé dans le marbre, les poteaux de bois des deux monuments, et la montagne de l’Ouest américain,  qu’en 1968. Sacré coup de bol, quand même. C’était, malgré la guerre du Vietnam, l’époque du Peace and Love. J’ai bien dit 1968. Ça ne vous rappelle rien ? L’aspect attristant de tout ça est qu’aujourd’hui, dans cette époque de marchés financiers omnipotents, de traders fous, de capitalisme échevelé et de crises de la dette, il n’y aurait AUCUNE chance, nada, niet, no way, rien, que dalle, n’y pensez même pas, qu’une loi établissant un parcours de randonnée, à cheval sur trois États, soit votée. Et les intérêts privés, alors ? Vous voudriez qu’on protège un territoire aussi immense pour que quelques dingues furieux aillent respirer le grand air ? Pour que les ours, les pumas et les loups aient de la place pour gambader ? Pour que les serpents à sonnette puissent frétiller de plaisir au soleil du Mojave ? No kiddin’ ?

Ça n’a d’ailleurs pas été si facile que ça, de faire accepter le droit de passage du PCT. Dans le sud californien, une bataille judiciaire homérique a opposé, dans les années 1990, le PCTA et un ranch privé du nom de Tejon. Ils ne voulaient pas accorder le droit de passage aux sadhus malodorants du PCT, les propriétaires. Ça faisait tache dans le paysage. L’ennui, c’est que ce n’était pas vraiment un ranch modeste, façon petite maison dans la prairie. Le Tejon Ranch est bien américain. Il est presque aussi grand que la Suisse. Et au bout du compte, il a été responsable d’une notable circonvolution du parcours, pour le contourner.
Maintenir le PCT en vie est d’ailleurs une lutte sans fin, contre les fameux intérêts privés. Il faut au PCTA la foi qui soulève les montagnes pour ne pas se décourager. Et des sous, beaucoup de sous. Parce qu'il faut aussi l'entretenir, le p'tit sentier. Des sous qu’ils n’obtiennent que grâce aux dons qui leur sont faits, et aux cotisations des membres. Si donc vous envisagez de partir sur le Pacific Crest Trail, commencez donc par adhérer… Rien que pour dire « merci » qu’une telle possibilité existe.



Pas mal non plus, les Pyrénées, tout de même...





Encore un p’tit post-scriptum (quel putain de bavard, quand même !):
Un thru-hiker / triple crowner du nom de Roo (www.throohiker.com) mentionne sur son blog que sa philosophie de la vie pourrait se résumer ainsi :

« Life should NOT be a journey to the grave with the intention of arriving safely in an attractive and well-preserved body, but rather to slide in sideways – champagne in one hand and strawberries in the other – a body totally used up and worn out, screaming… WOOHOO, what a ride ! »

« La vie ne devrait PAS être un voyage vers la tombe dans l’intention d’y parvenir à bon port avec un corps en bon état, mais bien plutôt un dérapage désordonné – champagne dans une main et des fraises dans l’autre – le corps totalement usé et épuisé, mais qui crierait : WAAOOU, quel parcours de folie ! »

J’aime bien cette vision des choses, et l’état de mes articulations, dont je connais la cause, semble indiquer que je suis la bonne trajectoire… PCT, à nous deux !

Je vous embrasse tous.

3 commentaires:

  1. WAAOOU........ VIVE ROO.!!!

    C'est tout ??... vivement demain !!!

    r.

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  2. Bonjour Philippe, je découvre ton blog et c'est passionnant !
    le passage sur Eric Ryback suivit de quelques remarques sur la finance m'a fait sourire, je ne sais pas si c'est volontaire de ta part mais je t'invite à jeter un oeil ici sur le lien suivant :
    http://books.google.fr/books?id=AOEDAAAAMBAJ&pg=PA13&lpg=PA13&dq=eric+ryback+backpacker&source=bl&ots=4wEkq_vUH0&sig=8bsCg6K30JEa7ht4u96zFKMaFOc&hl=en&ei=4vDySuSDH9SzlAeakZSxAw&sa=X&oi=book_result&ct=result&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

    bonne route, je vois que tu es en marche et merci !

    Nicolas

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  3. Bonjour Nicolas, et merci pour ces commentaires. Si tu as commencé à lire le blog au début, ce qui est louable, mais va t'occuper tout l'été (!), tu ne sais sans doute pas qu'un genou récalcitrant et usagé m'a contraint à abandonner après 600 km. J'espère très vivement que ce n'est que partie remise et que je serai à nouveau à Campo en avril prochain. Je vais lire l'article sur Ryback...

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