mercredi 16 novembre 2011

Vermilion



“It is not down in any map; true places never are.” 
Herman Melville

"Ça ne figure sur aucune carte. Les vrais lieux n'y sont jamais".




La traversée de la Sierra Nevada est la partie la plus difficile du Pacific Crest Trail. C'est là que le PCT et le John Muir Trail ne font plus qu'un seul et même itinéraire. 320 km de haute montagne, 8 grands cols, dont le plus élevé est Forester Pass, à 4000 mètres d'altitude.
En quittant Kennedy Meadows pour s'engager dans la haute Sierra, on sait qu'on ne verra pas la moindre route, piste, ou chemin avant dix à quinze jours. Porter sa nourriture pour un si long parcours, éprouvant, pose quelques problèmes. Le bidon blindé anti-ours est obligatoire et il pèse, à lui seul, un à deux kilos.
Sans compter ce qu'on doit y mettre en sécurité. Un kilo de nourriture par jour, peut-être? Vous entrevoyez le casse-tête logistique? Et le poids du sac, encore alourdi par un équipement hivernal, piolet et crampons.
Stocker une dizaine de jours de nourriture dans le bidon relève de la gageure, d'ailleurs.

 Nombre de hikers adoptent une stratégie leur permettant de résoudre cette quadrature du cercle. En cours de traversée de la Sierra, ils quittent la montagne par Kearsage Pass et redescendent  ravitailler vers Bishop ou Lone Pine, les villes qui longent le flanc est de la Sierra Nevada, à la limite du désert et de la Vallée de la mort.

Mais il existe une sorte de havre dans ce monde de brutes. Il porte le nom de Vermilion Valley Resort. VVR pour le personnel EDF.
Vermilion est un endroit étrange. Un camp de pêche, initialement, au bord d'un lac, le Lac Edison, au milieu de nulle part. Assez américain, avec un enchevêtrement de ferrailles diverses, quelques bungalows, des tentes, un restaurant. Un certain désordre, dans la forêt. Un charme certain, également. On peut parvenir à VVR par une piste routière qui fait l'ascension de la Sierra par l'ouest, en provenance de Fresno, dans la grande plaine de Californie.  Le slogan de Vermilion est d'ailleurs: "Where the pavement ends... and the wilderness begins!" "Là où la route s'arrête... et la nature sauvage commence". Oui, c'est bien ça, un pont, un checkpoint, entre deux univers.

Edison Lake (vidéo Sean Olson)

Nulle part. D'un côté, une piste surréaliste et dangereuse, de l'autre - pour les hikers - un petit bateau qui leur fait traverser le lac pour les mener à Vermilion. Les rares voitures montent, les randonneurs descendent, pour se rejoindre dans ce Fort Apache de la Sierra.
Mais, en dépit de cette localisation lunaire, Vermilion sait ce qu'il convient de faire pour attirer les randonneurs du PCT. On y mange. Bien et beaucoup. Bien est une donnée relative, en fait. Les hikers ne sont pas en quête d'un repas chez Bocuse. Vermilion est un phare au bout de la nuit. Et à Vermilion, on garde aussi les colis de ravitaillement que vous vous êtes expédiés au préalable. Une escale bien difficile à éviter.

Les Plotnikoff, une famille de randonneurs, ont créé un site (Best on the Crest) qui constitue une sorte de Guide Michelin du PCT. J'adore leur humour.
Concernant Vermilion, leurs commentaires résument bien la situation, à tous les sens du terme:

"Regardless of what you've been eating since Kennedy Meadows, by the time you make it here you really want food and drink on a Bunyanesque scale. VVR will cheerfully provide as much as your tummy can handle -- and run you a tab, to boot. The restaurant features one of the better burgers on the PCT. Be glad you walked in under your own power and then rode the utterly charming Edison Queen across Lake Edison. Because nothing you do on the way down the hill into here nor on the way up the hill out of here will be even remotely as dangerous as the drive in on Kaiser Pass Road to the west. We're talking serious hair-raising terror on the blind curves. One lane, 20 miles. Pack station trucks with bad brakes coming the other way at unreal speeds. No guard rails. Pray to your god. If you are planning to hook up with relatives here, you need to warn them what they're in for. It's the slowest, scariest 20 miles they'll drive in this decade, guaranteed. ''Where the pavement ends and the wilderness begins.'' Bahahahaha!"

"Quoi que vous ayez mangé depuis Kennedy Meadows, quand vous parviendrez ici, vous voudrez manger et boire à une échelle gargantuesque. VVR se fera un plaisir de fournir tout ce que votre estomac pourra gérer - et vous tendra une note salée, de surcroît. Le restaurant fournit un des meilleurs hamburgers du PCT.
Soyez reconnaissant d'être parvenu là par vos propres moyens et d'avoir emprunté leur charmant ferry, l'Edison Queen, pour traverser le lac. Parce que rien de ce que vous aurez pu faire pour descendre de la montagne vers Vermilion, ou ce que vous ferez pour en partir, ne saurait être aussi dangereux que d'y parvenir en voiture par la route de Kaiser Pass. Nous parlons ici de réel effroi à vous faire dresser les cheveux sur la tête dans des épingles sans visibilité. Une seule voie, 35 kilomètres. Des camions de ravitaillement avec des freins pourris qui arrivent en face à des vitesses surréalistes. Pas de glissières de sécurité. Priez votre Dieu. Si vous avez prévu d'être rejoints ici par la famille, il faut les avertir de ce dans quoi ils s'engagent. Ce sont les 35 km les plus longs et les plus effrayants qu'ils parcourront au cours de cette décennie, c'est garanti. "Là où la route s'arrête... et la nature sauvage commence". Bah!"

www.emeraldlake.com/pctguide/pctintro.html


En 1996, nous avons ravitaillé à Vermilion. Nous nous étions envoyé un colis que nous y avons récupéré. Notre épuisement était tel que nous avons décidé de passer la nuit dans un des bungalows. Un vrai lit, une douche!

Le bungalow de VVR


Nous nous sommes affalés dans la chambre, avons ouvert un énorme colis de nourriture et nous avons imaginé que nous allions pouvoir passer une nuit de rêve. Mais dès la tombée de la nuit, plusieurs chiens se sont mis à hurler interminablement devant notre porte et nous ont empêché de dormir. Pas sûr, à vrai dire. Vous êtes en réalité dans les limbes, un état second où vous entendez les aboiements, pensez qu'il va falloir se lever, ouvrir la porte et leur jeter des cailloux, mais vous n'en êtes pas vraiment capables. Je me lève? Je ne me lève pas?
Une nuit pourrie.
Au lever, je rencontre Butch Wiggs, le patron. Butch est une sorte de caricature de cow-boy. Un colosse barbu, jovial, Stetson sur la tête, santiags, ceinture à grosse boucle. Elle peine à retenir un estomac qui trahit un certain penchant pour la Budweiser. Et Butch de me demander si nous avions entendu les chiens aboyer. No kidding? Sans blague?
"Euh, en fait, vous aviez un ours debout, appuyé contre la porte de votre chambre. C'est pour ça que les chiens aboyaient. J'ai bien pensé à l'abattre, j'en aurais eu le droit, mais je me suis dit que ça ne vous aurait pas plu".
À la fin de la saison, Butch avait publié la liste de tous les randonneurs qui avaient fait une halte à Vermilion. À la suite de notre nom, il avait ajouté: "Les ours vous regrettent"...

Butch a dû finir par avoir du mal à vivre dans une forêt au milieu de nulle part, cerné par les ours. Il a mis fin à ses jours en 2001.


C'est encore loin, Vermilion?

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