Vos papiers, s'il vous plaît!

"The mountains are calling and I must go."

John Muir

"Les montagnes appellent et je dois y aller".

Les randonneurs ne portent pas leur nom… officiel sur le Pacific Crest Trail. Ils ont presque tous un nom de sentier, leur vraie identité, un trail name.

C’est une idée formidable.

Lorsque vous marchez sur le PCT, on se fout éperdument de savoir si vous êtes avocat ou charpentier, universitaire ou chômeur (ce n’est pas incompatible). Personne ne veut savoir d’où vous venez, quel nom vous portez, ce que vous faites dans l'autre monde. Personne ne s’intéresse à votre origine sociale. Savoir si votre petite cuillère en titane n’est pas trop lourde, peut-être, mais c’est tout. Vous êtes entré à EDF, dans l’Église des dingues furieux, et comme dans toute secte, vous abandonnez tout au seuil du sanctuaire. Vous avez adopté une autre identité, sale, malodorante, mais riche de fraternité et de solidarité. Vous êtes devenu un taré parmi les tarés. Membre de la famille, au sens mafioso du terme. Votre trail name en est la manifestation.

On ne choisit pas son trail name. Grand Dieu, non! On vous l’attribue. C’est une sainte onction, par vos congénères. Le titre de noblesse suprême. Le brevet officiel de fêlé. Et il arrive souvent qu’il définisse plutôt bien votre véritable identité, la persona que vous avez endossée en mettant un pied devant l’autre à Campo.

Il importe d’être prudent dans les actes que l’on commet devant les autres hikers. Si vous n’avez pas encore de trail name, ceux-ci seront à l’affût pour vous coller un redoutable trail name sur le front. Et il sera très difficile de vous en débarrasser. Tout et n’importe quoi peut être exploité sur le champ pour vous affubler d’une nouvelle identité, la seule qu’ils connaîtront dès lors.

Yogi, qui écrit le guide le plus couramment utilisé, explique judicieusement que l’expérience du PCT change profondément ceux qui se lancent dans cette aventure. Je veux bien le croire. Il est donc logique qu’un nom particulier représente cet autre individu que vous devenez. « Let your trail name happen. It will find you. » écrit-elle. « Laissez votre trail name arriver. Il saura vous trouver ». Le nom inscrit sur votre passeport n’est pour les dingues furieux pas votre « vrai » nom ; c’est votre « autre » nom.

« Your  trail name represents a very unique piece of you, and after the trail, whenever you get a phone call from an unknown number and the person on the other line uses that name, it snaps you back someplace very dear. » Fidgit.

«  Votre trail name représente une partie très spéciale de votre personnalité, et après le sentier, chaque fois que vous recevrez un coup de téléphone et que l’inconnu au bout du fil emploiera ce nom, il vous renverra immédiatement dans un lieu qui vous est très cher ».

John Henzell, remarquable journaliste australien avec qui je suis en relation, a fait le PCT en 2006 (voir billet d'hier). Il ne s’en est pas trop mal tiré, finalement. Pas du PCT, non, ça, il y est brillamment arrivé. Du trail name. Parce qu’il raconte qu’il a un soir laissé échapper… la manifestation d’un embarras intestinal bruyant et malodorant et qu’il est instantanément devenu, pour les siècles des siècles, « Rolling Thunder », le tonnerre qui gronde. Ça aurait pu être pire.

Cucumber Boy ne peut pas vraiment en dire autant : le « garçon au cornichon » est une fille.

Cucumber Boy

(photo John "Rolling Thunder" Henzell - PCT 2006)

Étrangement, cependant, certains ne reçoivent pas de trail names. Scott Williamson en est le meilleur exemple. Peut-être parce que c'est un extra-terrestre? Il a parcouru le PCT... 13 fois. Ouaip, 55 000 km de montagne.

Jack (Tequila Kid) et Barb se sont attaqués au PCT cette année. Barb a dû abandonner au bout de 1700 km, genou en vrac, mais Tequila Kid est parvenu au bout. Voici l'amusante petite vidéo qu'ils avaient préparée pour la projeter à l'ADZPCTKO, au moment de leur départ en avril dernier: