mercredi 9 novembre 2011

Tartarin


"Climb the mountains and get their good tidings. Nature's peace will flow into you as sunshine flows into trees. The winds will blow their own freshness into you, and the storms their energy, while cares will drop off like autumn leaves."
John Muir

"Grimpez sur les montagnes et recueillez la bonne nouvelle. La paix de la nature coulera en vous comme les rayons du soleil se glissent entre les arbres. Les vents vous offriront leur fraîcheur, les tempêtes leur énergie, tandis que les soucis tomberont comme feuilles d'automne".











Long Beach, Californie, août 2011.

Rob :
- Alors, dis-moi, quel tronçon du PCT tu veux faire exactement, l’an prochain ?

Moi :
- Tronçon ? Quel tronçon ?

- Ben ouais, tu m’as dit que tu allais randonner sur le PCT. Tu m’as bien demandé de te conduire à Campo en avril, non ? Alors, combien de jours tu comptes marcher ?

- Euh, Rob, je crois que tu n’as pas bien tout compris. Assied-toi. Ce n’est pas un « tronçon » que je compte faire, c’est tout le bazar. Le parcours complet, jusqu’au Canada. 6 mois.

Un blanc… Grand silence. Le regard de Rob devient étrangement fixe, perdu dans le vide… Et puis :

- … YOU’RE FUCKING CRAZY !!! (en Américain dans le texte)

Ce qu’on pourrait traduire par : T’ES UN PUTAIN DE CINGLÉ !!!

Et voilà, j’ai mon ticket d’entrée dans l’Église des dingues furieux. Mes lettres de créance. Rob semble avoir reconnu ma capacité à adhérer au club des fêlés. Il faut dire que j’ai quelques lourds antécédents, qu’il connaît. Ça lui a permis de porter un jugement sûr, étayé, argumenté. Rob me connaît bien.

Mais c’est pas le tout, ça. Entrer dans le club, c’est une chose, mais combien de temps vais-je pouvoir y rester ? Est-ce que je suis capable d’aller jusqu’au Monument 78, à Manning Park ?
Ça nécessite quelques interrogations, a minima, voire une tentative d’introspection. Et maintenant que je pourrais donner l’impression de plastronner en parlant de Scott Williamson et Brian Robinson comme si c’étaient des frères (moi, beau-frère à Tarzan!), en essayant de vous décrire les mœurs étranges de cette tribu déjantée, il vaut peut-être mieux que je pose quelques limites à ce qui pourrait aisément passer, dans quelques mois, pour de cuisantes tartarinades.


Je l’ai déjà dit, j’ai commencé à faire de la montagne à l’âge de 14 ans. Je préfère nettement le terme « montagne » à celui de « randonnée » qui me fait un peu trop penser à Décathlon, à fond la forme, et à de gentilles sorties du dimanche où on ne salit pas son sac. Aucun sarcasme, pourtant. « Montagne », que je ne confonds pas du tout avec « alpinisme », a cet aspect rugueux qui me convient bien. Ça me paraît de plus en plus étrange, en ces temps de jeux vidéo, mais mes copains ados et moi nous retrouvions régulièrement dans un bistrot. Normal. Pour y concocter deux activités : les soirées avec les filles, et les sorties en montagne. J’ai eu cette chance. Une bande de copains, puis d’amis, à qui je dois des souvenirs inoubliables de sorties en montagne - parfois passablement déjantées - à tout jamais gravés dans ma tête et mon cœur. À 15 ans, notre jubilation - les chuchotements autour d’une table de bistrot, les Solex garés dans la rue - c’était de préparer le week-end qui arrivait, en plein hiver. Prendre le train de la Vallée d’Aspe, puis monter ensemble en raquettes dans une cabane de berger et y refaire le monde, dans un froid polaire, avec un équipement de Pieds Nickelés. Se rendre compte, parfois, qu’on avait oublié de prendre le sac de couchage. C’était encore mieux quand il y avait une tempête. On pouvait se prendre pour Lionel Terray. Ou Walter Bonatti, dont nous avions lu qu’il s’entraînait en passant ses nuits d’hiver sur son balcon, les mains plongées dans des seaux remplis de glaçons. Ma chance, ce fut aussi mes parents. Qui ne m’ont jamais empêché de faire des choses que des parents normaux auraient jugées très peu raisonnables. Un père à qui je dois l’amour de la montagne.

Les week-ends entre amis

Qu'est-ce qui passe à la télé ce soir?



À mon âge qui commence à être avancé, le tri s’est fait en ce qui concerne les « passions ». On se débarrasse des scories et il ne reste que le noyau dur, l’indestructible. La montagne, la photo. La photo en montagne. La montagne pour faire des photos. Voyager.
C’est enfoncer des portes ouvertes que dire que la montagne est une activité qui peut être douloureuse, qui vous pousse dans vos retranchements. Qui peut vous contraindre à aller plus loin que vous le pensiez possible. À découvrir ce que votre corps vous cachait de ses possibilités. Nous disposons d'une prodigieuse machine qui s'appelle le corps humain. La montagne est un des endroits où l'on peut prendre conscience de ce qu'elle est capable de faire.
J’entends encore Gérald, un soir d’ascension du Vignemale, après 16 heures d’efforts épuisants, clamer dans la nuit : « Ce qu’il y a de bien avec la montagne, c’est qu’on sent bien son corps ! »
Quel pied ! Voilà ce qui est jubilatoire, un peu masochiste, non ? Pas sûr, à vrai dire. Voir jusqu’où on peut aller, aller chercher cette indicible récompense au plus profond de vous-même.
Vous voyez que le Pacific Crest Trail m’attend…

Mais il serait parfaitement crétin d’affirmer que je parviendrai au bout. Je ne le sais pas. Personne ne le sait, dans cette lutte que se livrent contre votre gré le mental et le physique pour s’autodétruire. Il faudra aussi savoir gérer la solitude. 300 hikers disséminés sur 4300 km. Ça laisse de l'air.
Chercher à me prouver… C’est certainement le maître mot. Voir jusqu’où…
Il restera à garantir que je ferai le maximum, mais il vaudrait mieux rester à la maison si je n’étais pas prêt à ce minimum syndical-là. Pour le reste…
Andrea Dinsmore a, une fois de plus, le mot juste: "Il n'y a que vous-même que vous puissiez impressionner."



Environ 300 hikers s’attaquent au PCT chaque année, dans l’espoir d’atteindre le Canada quelques cinq mois plus tard. Les statistiques ne sont pas précises, mais on estime que 30% y parviennent. La plus forte proportion d’abandons se produit au cours de la première semaine. Et ceux qui sortent intacts de la Sierra Nevada (à 1300 km du départ) ont d’assez grandes chances de parvenir à Manning Park. Et de pouvoir embrasser le Monument 78.
Il y a moins de randonneurs qui ont parcouru l’intégralité du Pacific Crest Trail d’un trait que d’alpinistes qui sont parvenus au sommet de l’Everest.


Mais bon, comme le dit à juste titre Anne-Marie, je ne pars pas sur le PCT entre deux gendarmes. Fred, lui, m'aurait dit: "On t'a pas mis un revolver sur la tempe?" Certes, non. C'est au contraire une chance et une joie inouïes, dont j'ai pleine conscience. Une grande fête. Peut-on imaginer disposer de davantage de liberté? Se trouver devant le monument de Campo, aux côtés de Rob et de sa moue qui sera certainement dubitative, regarder dans le désert, en direction du nord, au-delà du chaparral, et se dire qu'on a devant soi plusieurs mois de liberté absolue. Totalement responsable de ses propres actes et décisions, dont il faudra bien assumer les conséquences seul. Plusieurs mois à jouir de paysages fabuleux, à construire méthodiquement un accomplissement que l'on désire ardemment. Et à profiter de la compagnie de quelques fêlés sympathiques.
Un hiker le résume dans le film "Six Million Steps": "Je suis privilégié d'être ici. Nous sommes 300... Sur combien de millions qui aimeraient y être?"
J'ai de la chance, encore.



Scott "Squatch" Herriott a fait plusieurs vidéos à propos du PCT (http://www.walkpct.com). Je vous invite à regarder la très brève bande-annonce de l'une d'elles. Même si le premier hiker à qui il demande quel conseil il aurait à donner à de futurs randonneurs répond: "N'Y ALLEZ PAS!"


Je suis décidément trop bon avec vous. J'imagine que vous vous demandez ce que dit notre hiker interviewé, à la fin. Il est toujours dans les conseils aux randonneurs:
"Restez chez vous, regardez la chaîne Discovery à la télé, mangez des burritos, essuyez-les sur votre chemise..."


Petit matin dans les Pyrénées

4 commentaires:

  1. É komen kil est félé
    Le dénommé Phil Gouvet
    Pour 6 mois il a signé
    Pas avant il doit rentrer

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  2. Waouh ! Quel défi, je suis surpris du si peu de tentatives ou de réussites de la PCT. Moi aussi, un jour, j'irais sur les pas de John Muir. Quelques jours passés dans Kings canyon National Park m'avait permis de chasser l'ours...

    A bientôt

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  3. Oui, je suis aussi surpris que le PCT ne soit pas plus connu. Si ce blog peut modestement y contribuer, j'en serai heureux.

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