jeudi 10 novembre 2011

The Pacific's longest walk

"Methinks that the moment my legs begin to move, my thoughts begin to flow."  
Henry David Thoreau (1817-1862)


 "Il m'apparaît qu'au moment même où mes jambes commencent à bouger, mes pensées commencent à se développer".








Peu après avoir parcouru le Pacific Crest Trail en 2006, Rolling Thunder (également connu, dans le vrai monde, sous le nom de John Henzell) a publié un compte rendu dans un journal néo-zélandais, The Press. C'est une très bonne synthèse et, dans mon incommensurable bonté, je vais vous le traduire. Mais n'y revenez pas! Il serait peut-être temps de vous mettre à l'anglais...






La marche la plus longue du Pacifique

Un sentier de 4200 km se glisse le long de la crête montagneuse de l'Ouest américain. Notre journaliste JOHN HENZELL s'est joint à ceux qui tentent de parcourir la totalité du Pacific Crest Trail d'un trait.




Le voyage le plus long, nous dit-on, commence par un simple pas. Il s’achève avec un pas, aussi. On ne vous parle pas de celui-là.
Ce matin-là, nous venions de traverser la frontière entre l’État de Washington et la Colombie britannique et nous avons encore marché 14 km pour déboucher sur une petite route goudronnée en lisière de la station canadienne de Manning Park.
Il n’y avait aucun signe pour indiquer où partait le Pacific Crest Trail de l’autre côté de la route. Parce que c’était la fin du PCT. Le sentier de randonnée que j’avais parcouru pendant pratiquement la moitié d’une année s’arrêtait là.
Ce soir-là, je n’allais pas monter ma tente ni cuisiner de la nourriture que j’aurais portée sur mon dos. Je ne serais pas bercé par le gargouillis d’un torrent sous un ciel tourbillonnant d’étoiles. Le lendemain matin, je ne serais pas dans mon sac de couchage, à retarder le moment où il faudrait se lever, tout fourrer dans mon sac et reprendre la marche.
Voilà. Un peu plus de cinq mois et environ 4200 km après avoir quitté la frontière mexicaine, nous avions terminé.
Fini. Terminé. Finito. Le bout du chemin.
Cela paraissait un peu irréel et c’était bizarrement déstabilisant. Je me suis demandé si c’était ce que ça pouvait faire d’être coupé du monde. Et puis, je me suis interrogé pour déterminer si l’expression appropriée ne serait pas plutôt « retourné à l’état sauvage ».
Demain, j’entamerais mon retour vers le monde plus compliqué où l’objectif du jour ne se mesure pas en miles ou en dénivelé, mais s’avère probablement impossible à mesurer de manière concrète.

« Je me rappelle quand j’étais gamin avoir entendu cette phrase à propos d’un voyage de 1000 kilomètres qui commençait par un simple pas », m’avait dit Chris, un randonneur australien, environ cinq mois auparavant.
« Et je me suis dit : mais pourquoi donc quelqu’un voudrait-il faire 1000 kilomètres à pied ? »
C’était bien le point crucial. À ce moment-là, nous n’avions fait que deux jours d’un voyage de quatre fois et demi cette distance et nous ressentions déjà les effets de l'abandon d’emplois essentiellement de bureau pour notre nouveau rôle de randonneurs longue distance.
En conséquence, nous nous sommes mis à l’abri du soleil californien à l’ombre fort peu accueillante d’un buisson de manzanita et nous avons pris la pause – étrange, mais thérapeutique – qui consistait à retirer nos chaussures et à élever nos pieds palpitants plus hauts que notre cœur.
Ce n’était qu’un petit aspect de ce nouveau monde étrange que l’on connaît aux États-Unis sous le terme « thru-hiking ». Chaque année, environ 300 randonneurs tentent de parcourir les 4277 km du Pacific Crest Trail en une seule fois.
Il était probable qu’environ 120 d’entre nous allaient y parvenir, les autres seraient victimes de blessures, de problèmes de motivation ou d'un manque de ressources financières. Nous ne le savions pas à l’époque, mais deux de nos camarades randonneurs allaient mourir sur le sentier, l’un d’une chute et l’autre d’une crise cardiaque.

La randonnée la plus longue que j’avais faite jusqu’alors avait été de six semaines. Au bout de six semaines sur le PCT, nous avions à peine couvert le quart du trajet et nous nous trouvions encore dans le sud de la Californie – le premier des trois États qu’il nous fallait traverser.
Devant nous se trouvait la partie la plus difficile du parcours, la haute Sierra – une région enneigée sauvage à des altitudes supérieures à celle du Mont Cook, qui comportait 320 km sans la traversée de la moindre route.
C’est là que nombreux sont ceux qui souffrent, mais c’est aussi là que l’expérience de la randonnée en Nouvelle-Zélande s’est avérée idéale. Randonner avec des sacs horriblement lourds, une navigation délicate sur des névés interminables, et traverser des torrents furieux ne sont que le quotidien des montagnards kiwis.
Vers la fin de la Sierra, nous avions acquis ce qu’on appelle dans les milieux de la randonnée longue distance « le look ». Cela tenait en partie à ce que nous étions minces et en forme. Lorsque je suis sorti des 320 km de cette montagne sauvage, la perte de poids avait creusé mes joues et je voyais mes côtes pour la première fois depuis mon adolescence.
Mais c’était plus que ça. Plus qu’un bronzage qui tenait autant à la crasse incrustée qu’au soleil. Il y a quelque chose d’intangible qui provient d’une marche de trois mois, et cela transparaissait dans notre attitude.
Au début, quand on nous demandait jusqu’où nous comptions marcher (« Du Mexique au Canada », répondions-nous, le visage impassible afin d’obtenir l’impact maximum), on nous lançait des regards incrédules. Après la Sierra, il y avait toujours un élément d’incompréhension – « Vous allez jusqu’où ?» – mais l’incrédulité avait disparu.
Nous étions en forme. Il était agréable de constater qu’en dépit de générations de processus de domestication, notre physiologie avait maintenu suffisamment du chasseur-cueilleur en nous pour s’adapter à ce monde. Les 22 km du premier jour, depuis la frontière mexicaine, m’avaient lessivé, mais nous pouvions désormais faire des étapes de plus de 50 km sans effets négatifs majeurs, du moins tant que nous ne tentions pas d’en faire trop souvent à la suite.
Graduellement, nous nous sommes rendus compte que le mental était l’aspect le plus essentiel de cette randonnée.
Pour nombre d’Américains, il paraissait anormal et vaguement inquiétant de nous avoir vu quitter la galère du toujours plus : plus grande maison, plus grand bateau, plus grand 4x4, plus gros emprunt. Mais il était tout aussi intéressant de voir à quelle vitesse nous avions ajusté notre mode de vie et nos espérances pour percevoir que l’argent n’était qu’un des symboles de la richesse et n’avait que peu de valeur si on ne disposait pas d’une égale mesure de temps, de santé, de liberté.
Le long des derniers 2500 km, j’ai marché en compagnie d’un consultant environnemental du nom de Robert qui, à l’âge de 42 ans, avait été horrifié de constater qu’il participait à tant d’événements officiels que ça valait la peine d’acheter un smoking plutôt que de le louer.
Alors, il avait pris sa retraite. Et maintenant, il se sentait incroyablement riche et privilégié si nous trouvions un torrent dont l’eau n’aurait pas besoin d’être filtrée ou un emplacement pour la nuit avec une vue ou peut-être même simplement un beau coucher de soleil.
C’est peut-être cette décision de sortir de la norme, combinée à l’épreuve physique, qui fait des hikers la communauté la plus soudée que j’aie jamais vue. Les gens prenaient soin les uns des autres ici, d’une manière quasi-tribale.

Ce fut beaucoup plus difficile d'abandonner ma mentalité de randonneur néo-zélandais, où le moindre projet dans les Alpes du Sud comportait une énorme marge de sécurité dans le domaine du temps ou des provisions afin de prendre en compte les vicissitudes météo.
Car au lieu de vivre quatre saisons en une seule journée, comme en Nouvelle-Zélande, nous avons eu une seule saison en quatre mois, un ciel bleu éclatant jour après jour, en Californie. À la fin des 2700 km nécessaires pour traverser cet État, nous avions eu environ 12 heures de pluie.
La contrepartie de tout ça était la nécessité d’accepter que nous ne soyions plus au sommet de la chaîne alimentaire, les humains relégués en 3e place, loin derrière les ours et les pumas. Et la présence de serpents à sonnette venimeux fut une chose à laquelle je n’ai jamais pu m’adapter.
D’autres aspects ont été encore plus difficiles à accepter. L’un d’entre eux est que ce sentier – qui fait 80 fois la longueur du Milford Track, mais a été construit selon les mêmes standards, dans cette incroyable période de prospérité et de possibilités américaine des années 1960 – ne pourrait plus jamais franchir l’obstacle des intérêts privés au Congrès.
Progressivement, la poussière et la chaleur de la Californie se sont métamorphosées en montagnes verdoyantes d’Oregon, puis en forêts humides de Washington, où nous fûmes refroidis par une semaine de crachin avec des températures à peine au-dessus de zéro.
Au fur et à mesure que les points de repère défilaient, l’objectif d’atteindre la frontière canadienne est lentement passé de l'inconcevable au possible, puis au probable, avant de devenir, finalement, proche.
Le compte à rebours fut un processus bizarre. Le dernier parc national, la dernière semaine, la dernière ville, la dernière route, le dernier col, la dernière nuit de camping, et puis le dernier jour de marche jusqu’à l’arrivée à la frontière entre les États-Unis et le Canada.
Alors, après cinq mois et quatre jours, nous avons franchi le dernier mètre du sentier, nous nous sommes arrêtés à la petite route goudronnée aux abords de Manning Park, et nous nous sommes demandés comment nous allions nous réadapter à la vie dans le vrai monde.


John "Rolling Thunder" Henzell

Le p'tit post-scriptum:
J'ai naturellement écrit à Rolling Thunder pour lui demander l'autorisation de publier cette traduction. Il vient de me répondre - des Émirats Arabes Unis où il travaille dorénavant - en me parlant de trail angels de San Diego, Barney et Sandy Mann, "les premiers des nombreux, très nombreux êtres humains généreux et merveilleux que [je] rencontrerai sur [mon] chemin". Barney et Sandy accueillent les futurs thru-hikers chez eux et les conduisent au départ, à Campo. Trois heures de route aller-retour. Ils l'ont fait plus de 500 fois. Ah oui, ils sont aussi magiciens sur le parcours...
Le PCT se trouve dans ce pays étrange où des gens font des centaines de kilomètres en voiture, pour le simple plaisir d'aller offrir un petit moment de joie à des randonneurs qu'ils ne connaissent pas.
Le PCT n'est décidément pas un parcours ordinaire. EDF (l'Église des Dingues Furieux) non plus.

Le message de Rolling Thunder se terminait par ces mots, en Français:
"Bon courage! En marche!""Embrace the craziness!" (Jette-toi dans la folie!)


1 commentaire:

  1. "Le courage, c'est l'art d'avoir peur sans que cela paraisse".
    (pierre véron)

    r.

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