vendredi 4 novembre 2011

Les règles du jeu

Take a course in good water and air; and in the eternal youth of Nature you may renew your own. Go quietly, alone; no harm will befall you. 
John Muir

Allez prendre des leçons d'eau pure et de bon air. Et la jeunesse éternelle de la Nature vous permettra de régénérer la vôtre. Partez marcher tranquillement, et seul. Il ne pourra rien vous arriver de mal.




Avant de se précipiter à Campo, il y a un certain nombre de choix, de réglages, à faire. Quand partir, dans quel sens, comment ravitailler, quel équipement porter, ou éviter de porter, etc.
Le choix du sens, nord-sud ou sud-nord, est sans doute le plus aisé à faire. L'immense majorité des thru-hikers part de la frontière mexicaine et marche vers le nord. Pour des raisons climatiques, d'enneigement, de température dans le désert. Il faut en effet composer avec le rythme des saisons et plusieurs paramètres contradictoires qui s'entrechoquent et partir du nord rend les choses bien plus compliquées. Partir du sud ne les simplifie pas énormément, pourtant. Mais c'est tout de même plus logique, dira-t-on.
Le début du parcours, c'est un millier de kilomètres de désert avant de parvenir à la montagne, dans la Sierra Nevada chère à John Muir. On y tangente même le désert du Mojave, une région si sympathique qu'on y envoie les Marines s'entraîner pour l'Afghanistan. Le désert peut poser de gros problèmes de température et d'accès à l'eau. À partir du mois de juin, s'y aventurer devient une entreprise très périlleuse. Ce n'est semble-t-il pas une sinécure non plus en avril, mais tout est relatif. On parle de la chaleur, mais le froid peut a contrario y être redoutable au printemps et plusieurs massifs montagneux qui y sont égarés délicats à franchir en raison de l'enneigement. Élodie et Stéphane (voir ci-dessous) m'ont dit que c'était là qu'ils avaient paradoxalement eu le plus froid...

Je résume: c'est bien là que vous avez dit qu'il pouvait faire le plus froid?


En tout état de cause, il convient d'arriver à Kennedy Meadows, le camp de base, en quelque sorte, avant d'attaquer la haute montagne, vers la mi-juin. Plus tôt, l'enneigement monumental d'une montagne qui porte bien son nom (Sierra Nevada) est susceptible de créer quelques soucis. Et le sentier passe à 4000 mètres d'altitude à Forester Pass. On peut même aller jusqu'à 4400 m au Mt Whitney pour faire une photo. De sorte que, traditionnellement, on a convenu d'une fenêtre de tir vers la dernière semaine d'avril. Désert pas trop, trop chaud, montagne pas trop, trop hivernale. Et, de ce fait, un rassemblement est organisé chaque année le dernier week-end d'avril à Lake Morena, à 30 km du point de départ, dans le grand sud californien, dans le but de faire se rencontrer tous les intégristes de l'Eglise et de leur donner une grande claque dans le dos en les poussant vers le sentier. Ce raout a le nom étrange de ADZPCTKO, Annual Day Zero Pacific Crest Trail Kick Off! Kick Off tendrait d'ailleurs à indiquer qu'au lieu d'une claque dans le dos, c'est plutôt d'un coup de pied au cul qu'il s'agit. L'intention est extrêmement louable, et la chaleureuse ambiance typiquement américaine, mais elle présente à mes yeux l'inconvénient de regrouper les départs sur la même période, et d'envoyer plusieurs dizaines de hikers sur le sentier le même jour. Ça me chagrine.

Il y a un autre important paramètre: la fonte des neiges et les crues des très nombreux torrents à traverser à gué. Le terme "gué" est d'ailleurs plutôt trompeur: il évoque des orteils mouillés, au pire, et des chaussures à la main. Et on est censé siffloter en traversant. Là, on parle de torrents potentiellement furieux, comme les dingues du même nom, et de niveaux d'eau pouvant aller jusqu'à la poitrine. C'est à mes yeux le plus grand danger du parcours. Assez flippant, à vrai dire.
Si on veut éviter les plus grosses crues, il faudrait passer vers le milieu ou la fin de l'été. Mais alors, le désert qui précède serait quasiment infranchissable et l'hiver aurait déjà commencé dans la Chaîne des Cascades, à l'approche du Canada. Saperlipopette! Pas bon. Donc, je vais partir avant la fonte des neiges... Non, ça ne marche pas non plus. Risques d'avalanches, des centaines de kilomètres en haute montagne en conditions hivernales, pas bon. Alors, on essaie de régler la question de la "bonne" date de départ sans jamais perdre de vue qu'il faut de toute façon parvenir au Canada avant le mois d'octobre et les premières chutes de neige de l'hiver. À l'heure où j'écris, certains hikers sont encore en train d'errer en pleine tempête dans le nord de l'État de Washington. Les pauvres! Ouh là là, que c'est compliqué!
Il n'y a pas vraiment de "bon" choix, d'ailleurs. Certains pensent qu'il vaut mieux partir plus tard, en mai, réduire les risques des traversées de torrents, et faire une course à la Scott Williamson pour arriver au Canada à temps. Mais tous ces calculs sont généralement réduits à néant, parce qu'on ne sait pas au moment où on les fait ce que nous réserve l'hiver prochain. Si les chutes de neige et les pluies sont abondantes, avec le concours d'El Niño ou de sa comparse La Niña, le désert sera moins sec, mais la montagne beaucoup plus dangereuse. S'il neige peu, c'est le désert qui deviendra dangereux. Bon, je prends une Aspirine et je recommence mes calculs.
Vous l'aurez compris, un parcours intégral du PCT vous conduit dans des régions climatiquement très variées à des périodes qui sont loin d'être optimales. Six des sept écosystèmes existants sur notre planète. Question de compromis, avant tout. La promotion 2011 a été victime d'un enneigement phénoménal et je tire à nouveau mon chapeau à Élodie et Stéphane, un jeune couple de Français, qui m'ont gentiment fait partager leur expérience après leur succès dans des conditions très difficiles. (http://www.elodiestephanevoyages.fr).

Mon choix est de partir bien avant l'ADZPCTKO, vers le 5 ou 6 avril. Avec les avantages et les inconvénients que ça implique. Le 1er avril, je serai dans l'avion pour Los Angeles où mon ami Rob m'attendra. Quelques jours de logistique sur place, à Long Beach, d'organisation du ravitaillement et de fignolage de détails concernant le matériel, et Rob me conduira un (beau?) matin au bout de la piste de terre qui mène à la grande clôture métallique censée enfermer les Mexicains chez eux, sans grande efficacité, à vrai dire. Là se trouve le monument du PCT dont le pendant est caché dans la forêt, le long de la frontière canadienne, à quelques miles de Manning Park, en Colombie britannique. Il ne restera plus qu'à remercier Rob, lui dire au revoir avec un grand hug et mettre un pied devant l'autre en direction du nord. Sans s'arrêter, pendant quelques mois.




C'est lui qu'on embrasse au départ.
Il est même de bon ton d'aller glisser la main au Mexique, sous la clôture.




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