"Taste cannot be controlled by law."
Thomas Jefferson
"Le bon goût ne peut pas être imposé par la Loi".
Glacier du Similaun, en Autriche,
où Ötzi sera découvert congelé 10 jours plus tard, en 1991.
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Vous n'apprendrez peut-être pas grand chose si je dis que les Américains ont une sérieuse propension à faire des procès. Pour tout et n'importe quoi, vous allez le constater. Comme nous copions généralement ce qui se passe outre-Atlantique, dans beaucoup de domaines, vous aurez remarqué que cette tendance à vouloir toujours rechercher un responsable ou un coupable nous a déjà atteint.
Mais gardons-nous (c'est parfois difficile, je le reconnais) de critiquer bêtement cette manière de réagir. Il faut toujours chercher à comprendre. Les Américains sont Anglo-Saxons. Les Anglo-Saxons sont une civilisation du Livre. On y pratique la vénération de certains textes écrits. Pas n'importe lesquels. La Bible et la Loi. Chez les Américains, vous êtes libres de faire ce que vous voulez... dans le cadre de la Loi, ou de la Bible. Si vous mettez un bout de pied sur la ligne jaune, toutes les foudres de l'enfer s'abattront sur vous.
A contrario, si vous estimez que vos droits n'ont pas été respectés, vous êtes libres — et ils ne s'en privent pas — d'agir pour demander réparation.
À cela s'ajoute l'effet pervers (ouais, bon, qualificatif discutable) du système judiciaire américain. Une grande partie des affaires sont jugées par des jurys populaires, qui ont tendance à en remettre une couche pour défendre la veuve et l'orphelin. Donc, si vous attaquez une société lambda parce que le t-shirt qu'elle vous a vendu a rétréci au deuxième lavage, vous avez de bonnes chances de décrocher le jackpot, parce que le jury voudra vraisemblablement "punir" la société pour faire un exemple. Aux États-Unis, les t-shirts, du coup, sont de bonne qualité...
Shon, thru-hiker de son état, vient d'envoyer un message au forum pct-l que j'ai trouvé intéressant. C'est agaçant, tous ces trucs que je trouve intéressants, à la fin! Je vous rassure, je ne trouve pas tout intéressant. Il y a aussi ce que je juge consternant et affligeant, mais là, la liste serait beaucoup plus longue. Et puis, je préfère essayer de ne pas trop montrer que je peux être un vieillard acariâtre.
Bref, Shon évoque des exemples qui suscitent effectivement des interrogations. Voilà ce qu'il explique, que je soumets à votre méditation:
Deux familles différentes sont actuellement en train de poursuivre en justice le gouvernement fédéral dans l'État de Washington, par le truchement de ses agences, le National Park Service dans un cas, le National Forest Service dans l'autre, pour des accidents survenus en montagne, dans la Chaîne des Cascades. Le service des parcs nationaux est poursuivi en justice parce qu'un randonneur a été tué par un bouquetin (mountain goats, des chèvres à longs poils blancs, partie nord du PCT); le service des eaux et forêts parce qu'une fillette de 11 ans a été tuée dans la chute d'un bloc de glace de la taille d'un 4x4.
Et Shon de s'interroger sur la légitimité de poursuites judiciaires lorsque de tels accidents se produisent dans la nature. Il en profite pour rappeler un autre exemple, celui d'un garçonnet de 11 ans tué dans sa tente par un ours noir. Ses parents ont attaqué illico l'État et le gouvernement fédéral.
Devinez quoi? Les autorités ont été condamnées et les parents ont perçu des dommages et intérêts de près de 2 millions de dollars. Shon se demande — et nous aussi, j'imagine — comment une quelconque organisation peut être considérée responsable du comportement d'un animal sauvage.
Dans le cas du petit garçon tué par un ours, qui avait malheureusement des friandises dans sa tente — pas l'ours, le petit garçon — les parents se sont appuyés sur le fait qu'un autre touriste avait été menacé par un ours la veille et la mère déclara que "cette situation aurait pu être évitée si les autorités avaient fermé la zone à risques avec un ruban avertisseur". Euh...
Les autorités du parc, quant à elle, avaient immédiatement lancé une chasse à l'ours dès la première "attaque" et avaient affiché des avertissements un peu partout.
Mais le juge décida, tenez-vous bien, que le gouvernement fédéral (qui n'avait pas su dresser ses ours correctement, probablement) était responsable à 65%, l'État à 25%, et les parents 10%. À cause des bonbons...
Shon s'interroge sur cette "dérive" de la culture américaine (n'aie crainte, Shon, nous y arrivons aussi) qui veut qu'il y ait toujours un responsable ou un coupable, et que la notion d'accident soit en voie de disparition, y compris dans le wilderness, la nature sauvage.
Dans les deux affaires des décès dûs à un bouquetin et à une chute de sérac, les familles s'appuient sur l'absence de panneaux d'avertissement. Vous imaginez, sur le PCT, s'ils doivent mettre des panneaux d'avertissement devant chaque risque potentiel, devant chaque serpent, ou scorpion, ou tarentule, ou ours, ou puma, ou plaque de neige...
Comme quoi, pas de doute, l'enfer est vraiment pavé de bonnes intentions. Et un système censé protéger vos droits peut gravement déraper et conduire à des situations de cinglés.
Shon conclut d'ailleurs en évoquant le cas d'une fillette (oui, je crois que c'est le terme approprié) de 13 ans tombée enceinte malgré l'utilisation de crème spermicide. Sa maman avait porté plainte contre le fabricant. Pas à cause de son absence d'efficacité, non. La fillette prenait la crème spermicide par voie orale, et sa maman reprochait au fabricant de ne pas avoir fourni de mode d'emploi assez précis...
En tout cas, s'il m'arrive quoi que ce soit sur le Pacific Crest Trail, Anne-Marie saura quoi faire. Je conseille les avocats de DSK, ils ont l'air bien.
Tre Cime di Lavaredo, massif des Dolomites (Italie).
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