"If they'd lower the taxes and get rid of the smog and clean up the traffic mess, I really believe I'd settle here until the next earthquake."
Groucho Marx
"S'ils diminuaient les impôts, éliminaient la pollution et réglaient les problèmes de circulation, je pense vraiment que je m'installerais ici jusqu'au prochain tremblement de terre".
Je vais encore faire le malin et et tenter de donner l'impression (fausse, je le crains) que je sais plein de choses. Mais la tectonique des plaques fait partie de ces disciplines à propos desquelles il peut être utile d'avoir quelques lumières quand on parcourt le PCT. Il traverse quand même trois fois la faille de San Andreas, la plus célèbre du monde. Allez, allez, dépêchons-nous avant le Big One. Il faut dire qu'en Californie, elle est difficile à éviter. Elle fait 1300 km, quasiment en ligne droite. Elle marque la limite entre la plaque Pacifique et la plaque nord-américaine. C'est la seule faille au monde, à ma connaissance, qu'on voit à la surface du sol. En se baissant et en regardant bien, on voit l'Arabie Saoudite.
San Andreas, c'est tout de même une sacrée histoire. Quand San Francisco a été détruite par le tremblement de terre de 1906, on ne savait pas du tout ce qui pouvait provoquer les séismes. Mais vu le désastre, le gouvernement californien voulait comprendre. Et ils ont mandaté des scientifiques pour enquêter. Ceux-ci ont relevé toutes les anomalies consécutives au séisme, dans toute la région, point par point. Et en reliant les pointillés, ils se sont rendus compte qu'ils découvraient une ligne droite qui passait par San Francisco et ce qui est maintenant la Silicon Valley, au sud. Tout ce qui était à l'ouest de cette ligne, depuis le Mont Tamalpais, s'était déplacé vers le nord. Tout ce qui était à l'est s'était déplacé vers le sud. Ils venaient de découvrir, sans le savoir, le phénomène de friction et de déplacement des plaques tectoniques. Et ils ont donné un nom à cette faille monumentale: San Andreas.
C'est un sujet passionnant, mais avant tout passablement effrayant. On sait qu'il y a actuellement 99% de "chances" de séisme majeur en Californie du sud d'ici 30 ans. Garanti. Ça tient notamment au fait qu'on a pu mesurer le déplacement de part et d'autre de San Andreas, en surface et en profondeur. En profondeur, ça bouge salement. Mais pas en surface, du moins pas autant. Cela veut dire que les roches de surface accumulent du stress... depuis 300 ans, date du dernier gros séisme à Los Angeles. On tire sur la manche de votre chemise, de plus en plus fort. Il y a un moment où la couture va lâcher. En Californie du sud, ce moment est très, très proche. Et ce n'est pas la théorie du hasard. C'est de la pure mécanique.
Sur le PCT, on chemine ensuite le long d'un long chapelet de volcans à partir de la Californie du nord. La ceinture de feu du Pacifique. Là, c'est la petite plaque Juan de Fuca qui s'énerve parce qu'elle est coincée entre les deux mastodontes. En fait, tout le parcours du Pacific Crest Trail est une illustration de la situation hautement explosive de la côte ouest américaine, et tout particulièrement de la Californie. Pas seulement pour la question de l'eau. Comme dirait Charles Trénet, ça fait "boum". Quand on roule sur la Highway 1, le long de la côte, vers Big Sur, c'est le grand huit. La route côtière est tellement chiffonnée par les plaques qui se foutent sur la gueule qu'ils laissent des bulldozers sur place en permanence, afin de dégager les glissements de terrain.
Comme l'a fait remarquer Marc Reisner dans un très intéressant bouquin sur la Californie intitulé "A Dangerous Place" (Un endroit dangereux), il y a davantage d'habitants à Los Angeles que dans l'ensemble des dix États de l'Ouest adjacents à la Californie! Manque de chance, cette masse de population s'est entassée dans les deux endroits précis où elle n'aurait pas dû. Mais alors, vraiment pas. San Francisco et ses environs, vous le savez, en raison du risque colossal de tremblements de terre. La Silicon Valley est posée SUR la faille. En fait, C'EST la faille. Los Angeles, d'autre part, en raison du manque d'eau ET du risque colossal de tremblements de terre. Charmant pays. En plus, faut prévenir Groucho Marx: ils n'ont toujours pas réglé le petit problème de la circulation. Prenons la délicieuse 405 qui traverse Los Angeles du nord au sud. 14 voies, parfois 16. Pare-choc contre pare-choc. Sur les 16 voies. Roger et moi pouvons témoigner, la main sur la Bible. On a même vu une femme qui se frisait les cheveux au Babyliss tout en roulant, c'est dire. Mais bon, il y a des palmiers. Et il y fait beau. Et y a les amis.
Quand les Beatles sont venus pour la première fois faire un concert aux États-Unis (oui, j'étais déjà né), la théorie de la tectonique des plaques était unanimement considérée comme une hérésie absolue. En très peu de temps, donc, on a fini par comprendre et accepter l'idée de la dérive des continents et des plaques qui s'entrechoquent. Et la côte ouest de l'Amérique du nord est au balcon pour observer le spectacle. Entre la plaque Pacifique et la plaque nord-américaine, c'est un feu d'artifice. Ça pète de tous les côtés. La Californie sera bientôt une île; en tous cas le sud glisse vers le nord le long de la faille, de sorte que le trajet Los Angeles - San Francisco sera bientôt beaucoup plus court, grâce à San Andreas.
Au nord de la Baie, mon ami Paul préfèrerait que la Californie tombe dans l'océan pour avoir une vue dégagée sur le Pacifique depuis chez lui, alors que le Mont Tamalpais l'obstrue pour le moment. Mais il est plus vraisemblable qu'il voie passer Santa Barbara et Los Angeles devant son balcon. On ne sait pas vraiment quand, mais le processus est certain. Désolé pour la vue, Paul.
Le Mont Tamalpais depuis la maison de Sharry et Paul, à San Rafael.
La faille de San Andreas est juste derrière, le Pacifique aussi.
Pour le moment.
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Il n'y a vraiment qu'un John Muir pour jeter sur cette situation quelque peu chaotique le regard embué d'un fumeur de joint cocaïnomane:
"Storms of every sort, torrents, earthquakes, cataclysms, “convulsions of nature,” etc., however mysterious and lawless at first sight they may seem, are only harmonious notes in the song of creation, varied expressions of God’s love."
"Les tempêtes de tous ordres, les torrents, les tremblements de terre, les cataclysmes, les "convulsions de la nature", etc., aussi mystérieux et désordonnés qu'ils puissent à première vue paraître, ne sont que les notes harmonieuses du chant de la création, diverses expressions de l'amour de Dieu".
Eh, John, t'es sûr que tu vas bien??
C'est pas mal raturé, les cartes de l'Ouest, quand même. C'est fou ce que Dieu les aime, là-bas!
Sur la carte ci-dessous, on voit en outre la zone de "subduction" du nord-ouest (en bleu). Pas séduction, non. Ça veut dire que la plaque Pacifique s'enfonce sous la plaque américaine. Et elle est responsable du même coup de la chaîne de volcans indiquée par la ligne rouge. 22 volcans. Autant de feux d'artifice potentiels.
Le 18 mai 1980, l'un d'entre eux, le Mont St Helens, a fait boum. Il a littéralement explosé. Ce fut l'éruption la plus destructrice de l'histoire des États-Unis. Cinquante-sept morts, et 200 habitations, 47 ponts, 24 km de chemin de fer et 300 km de routes détruits. La température de tout l'hémisphère nord a baissé à cause des poussières. Dans l'Ouest américain, ça fait boum.
Mount St Helens, Mount Adams, Mount Hood. À saute-volcan sur le PCT.
© Diane Cook et Len Jenshel
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Je confirme ... le PCT, ça secoue !
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