"I love California, I practically grew up in Phoenix."
Dan Quayle
"J'adore la Californie. J'ai pratiquement passé mon enfance à Phoenix".
Celle-là nécessite des explications, amis lecteurs. Phoenix est... en Arizona. Et Dan Quayle a été vice-président des États-Unis, réputé pour son intellect particulièrement brillant...
En 1991, il se verra même attribuer une parodie du Prix Nobel "pour avoir démontré mieux que quiconque le besoin d'une éducation nationale".
Quand j'étais enfant, j'étais un lecteur assidu du journal de Spirou. Et en dernière page, il y avait toujours une "Belle histoire de l'oncle Paul". Je revois très bien la bande-titre, et l'oncle Paul avec sa pipe à la main. J'ai dû être marqué par l'oncle Paul, parce que je m'en souviens encore malgré une mémoire calamiteuse et je fais comme lui. Sans la pipe, néanmoins. Il y a vraiment des choses qui me fascinent dans l'histoire américaine. Et j'estime que, comme pour tout autre type de voyage, il serait regrettable de randonner idiot. Je ne peux donc pas résister à la tentation, une fois encore, de vous raconter une histoire, de l'oncle P.
Elle a un lien avec le Pacific Crest Trail, bien sûr, parce que sur plusieurs dizaines de miles, le parcours piétine un terrain pour lequel on s'est entretué il y a 150 ans. Et parce que ce qu'on y trouvait était le résultat direct du mécanisme de la subduction dont je vous entretenais très récemment, et qui est également la cause de la présence de tous les volcans.
Reprenons au début. Au début du XIXe siècle, un Suisse du nom de Johann Sutter fait faillite dans son pays. Pour échapper à la prison pour dettes, il s'enfuit aux États-Unis. Rappelez-vous les Donner: à cette époque, les États-Unis, c'est la frange côtière de l'Atlantique, en gros. Ça ne va pas très loin vers l'intérieur des terres. Mais Sutter veut partir loin, très loin. À l'autre bout du monde, loin des créanciers. Et il décide de gagner la Californie, une province mexicaine paumée et presque déserte. Cinq ans de périple depuis la Suisse, à peine.
En arrivant là-bas, il se fait naturaliser Mexicain pour pouvoir obtenir des terres. Il est arrivé au bon moment. Y a pas un rat, en Californie, et on cherche par tous les moyens à développer un peu ce trou perdu. Le gouvernement mexicain lui concède 20 000 hectares dans la grande plaine de Californie, une région qui est de nos jours une sorte de paradis terrestre de l'agriculture (sauf pour les journaliers mexicains qui y triment en plein soleil), au confluent de deux rivières, American et Sacramento. Johann Sutter devient riche. Très riche. 12 000 têtes de bétail. Il a bâti un petit empire auquel il donne le nom de Nouvelle Helvétie. Il était aussi connu sous le nom de Fort Sutter. C'est là que l'expédition Donner comptait arriver.
Trou perdu, la Californie? Certes, mais il y avait quand même quelques occupants séculaires. Des Miwok, Chumash, Pomo, Paiute, Shoshone, et beaucoup, beaucoup d'autres nations et tribus. Certains ont été photographiés par Edward Curtis, qui a fait un phénoménal travail d'ethnologie.
Jeune fille Pomo, Californie du nord.
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Indien Pomo.
Avouez que vous êtes surpris de voir un Indien moustachu!
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En 1847, Sutter s'associe avec un dénommé James Marshall, qui lui a proposé de créer une scierie dans les contreforts de la Sierra Nevada, sur la rivière American. Un nom prémonitoire. La rivière a trois affluents, et nous parlons de l'affluent sud, South Fork of the American River. Un nom célèbre dans l'histoire américaine. Et après avoir construit leur scierie hydraulique sur la rivière, donc, à un endroit appelé Coloma, fin janvier 1848, James Marshall trouve une grosse pépite d'or dans 15 cm d'eau. Le bâtiment de la scierie a été emporté par une inondation en 1862, mais a depuis été reconstruit à l'identique avec les plans de Sutter. Nous y sommes allés il y a quelques années. Encore un endroit émouvant, vu ce qui s'est passé après le 24 janvier 1848.
Dès qu'il en informe Sutter, celui-ci comprend d'emblée la catastrophe qui pourrait se produire et demande à Marshall de tenir sa langue. Ce qu'il ne sait pas faire. Et exactement au même moment, la Californie mexicaine devient américaine, aux termes d'un traité signé début février, le traité de Guadalupe Hidalgo qui met un terme à une guerre entre Américains et Mexicains. Mais la nouvelle de la découverte de Marshall se répand comme une traînée de poudre à San Francisco, qui était encore une modeste bourgade de quelques centaines d'habitants. Ça ne va pas durer.
La suite, vous en avez sans doute entendu parler. Et vous narrer tout ça nécessiterait un bouquin plus gros que la Bible. La ruée vers l'or de 1849 sera un phénomène mondial. Une première dans l'histoire du monde. En effet, toutes les découvertes d'or de l'histoire de l'humanité avaient pu être contrôlées par un pharaon, un roi, un empereur qui avait les moyens de dire "pas touche, c'est à moi!" Mais en Californie, c'était plutôt "venez donc vous servir". En Europe, on placarde des publicités pour des navires rapides, les clippers, susceptibles de vous emmener à grande vitesse de l'autre côté de la planète pour y faire fortune. Pour tenter de mesurer le caractère extravagant de cette migration, il faut savoir que la population totale de la Californie à cette époque est estimée à 12 000 habitants. Dans un pays long de 1300 km. 300 000 personnes vont débarquer en quelques mois au milieu de nulle part. Beaucoup ne savaient même pas où elle se trouvait, et encore moins comment y aller. Mais ils vont y aller. Pas tous prospecteurs, d'ailleurs, comme vous pouvez l'imaginer. Prostituées, hommes de loi, commerçants, hommes d'affaire, escrocs de tous poil, aventuriers en tous genres vont trouver le moyen de parvenir à l'autre bout de la planète pour tenter leur chance.
Le niveau de folie généré par la perspective de l'or de Californie est difficile à imaginer de nos jours. Juste un exemple: un commerçant entreprend de vendre une sorte de glu. Très chère. Mais, affirme-t-il, c'est une glu très spéciale. Vous partez en Californie, vous vous déshabillez, vous vous enduisez de glu et vous roulez jusqu'au bas d'une montagne. En arrivant en bas, vous aurez récupéré tant d'or, grâce à la glu, que vous pourrez rentrer chez vous et vivre de vos rentes jusqu'à la fin de vos jours. Un des comtés de cette région de Californie s'appelle toujours "Eldorado"...
La carte de l'Ile au Trésor dessinée par un prospecteur.
Baie de San Francisco, Sutter's Fort et, à droite au-dessus de la ligne 39,
l'étoile qui indique le lieu de la découverte de Marshall ("Mill", le moulin).
En pointillés, l'itinéraire pour aller faire fortune...
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Le paradoxe de cette histoire effarante sera que Marshall et Sutter seront tous deux littéralement ruinés par la découverte de l'or. Le domaine de Sutter sera envahi et ravagé par des centaines de milliers de squatters. Ses employés abandonnent tout et partent prospecter. Son bétail est abattu par ceux qui veulent se nourrir. Le gouvernement américain arguera du fait que le domaine de Sutter lui avait été attribué par les Mexicains pour nier son titre de propriété. Sutter et Marshall mourront dans la misère. Celui qui fera fortune à San Francisco, en revanche, une fortune colossale, s'appelle Sam Brannan. Mais il n'ira jamais s'épuiser à jouer au mineur. Brannan s'est mis à vendre des pelles et des pioches... Et il annoncera la nouvelle de la découverte d'or dans les rues de San Francisco APRÈS avoir racheté toutes les pelles, pioches et batées de la région. Brannan était Mormon et avait le sens des affaires, ce qui n'est pas incompatible. Il n'oubliera pas de se rendre dans la Sierra faire la tournée de tous les prospecteurs mormons, qui sont censés reverser 10% de leurs revenus (c'est toujours le cas) à l'Église. Pas celle des Dingues Furieux. Celle des Saints des Derniers Jours.
On extraira l'équivalent de dizaines de milliards de dollars actuels du gisement de la Sierra Nevada. Cette exploitation sera à l'origine du développement fulgurant de San Francisco et de la Californie dans son ensemble. Il y avait 200 habitants à San Francisco en 1846. Quatre ou cinq ans plus tard, cette population se chiffre en dizaines de milliers. Une partie de la ville actuelle de San Francisco, la Marina, est bâtie sur la baie. Sur les centaines de coques de navires échoués ou coulés, entassés au fond de la baie.
Le fils de Sutter, John, fondera une petite ville à l'emplacement de Fort Sutter. Elle s'appellera Sacramento. C'est la capitale de la Californie.
San Francisco en 1850.
Il y avait 200 habitants 4 ans plus tôt.
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C'est la subduction qui est la cause de la présence de cet énorme gisement d'or dans la Sierra. Le long de la faille de San Andreas, je vous l'ai expliqué, la plaque Pacifique glisse vers le nord. Mais au nord de San Francisco, la faille se dirige, si on peut dire, vers le Pacifique. Entre la Californie du nord et le Canada, pas de glissement latéral. La plaque Pacifique s'enfonce sous la plaque nord-américaine. Et ce processus transforme les couches géologiques qui sont au fond de l'océan en magma. Ce magma ressurgit à la surface par les volcans. Des morceaux de la plaque Pacifique viennent se souder à la plaque nord-américaine. La pression est telle qu'elle est responsable de l'apparition de l'or sous la chaîne de montagne de la Sierra Nevada, dans des couches de quartz. Sur 190 km pour le filon principal (Mother Lode)... L'un de ces morceaux de plaque Pacifique égaré en montagne est célèbre. Il est au cœur du filon et porte le nom de Smartville Block.
C'est fou ce qu'on apprend sur ce blog! Merci, oncle Paul!
Et sur des dizaines de kilomètres, le thru-hiker du PCT arpente donc des territoires dont l'histoire récente a été terriblement houleuse. De Tuolumne, dans le parc national de Yosemite, jusqu'à celui de Lassen, au moins. Et pas uniquement à cause des tremblements de terre. Du moins, celui de 1849 était d'un style assez différent.
Moi, j'veux bien rapporter une autre pépite comme celle-là!
Comté de Tuolumne.
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Et le plus intéressant, si votre cuillère en titane vous permet de creuser. On estime que 80% de l'or du gisement se trouve encore dans le sol. Ça pourrait néanmoins créer un problème de poids pour votre sac à dos UL: la pépite la plus grosse qu'on ait extraite pesait... 90 kilos.
Mais je vous le promets: je regarderai attentivement par terre.
Je ferai attention à l'eau que je bois aussi, si c'est possible. On a calculé que les prospecteurs ont déversé 4000 tonnes de mercure dans les rivières de Californie du nord, pour amalgamer les particules d'or. Les poissons en témoignent encore.
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