"La persévérance est la noblesse de l'obstination".
Adrien Decourcelle
"Tis known by the name of perseverance in a good cause, and of obstinacy in a bad one."
Laurence Sterne, Tristram Shandy, 1759
"On appelle ça de la persévérance si la cause est bonne, de l'obstination si elle est mauvaise".
Prenons la peine d'examiner une question existentielle fondamentale: qu'est-ce qu'un thru-hike? Qu'est-ce qu'un thru-hiker?
Ah, ah, je sens que vous n'aviez pas bien réfléchi à la question! Mais quand on se lance dans un truc de cinglé d'une telle ampleur et qu'on veut son diplôme de dingue furieux, il faut bien se fixer quelques règles de conduite, une éthique (et toc) de randonneur. Imaginons: je parcours le PCT à raison de 10 jours par an, chaque été. Au bout de quinze ans, j'ai fait le parcours intégral, suis-je un thru-hiker? À vrai dire, on s'en fout, si ça me satisfait, mais cette manière de procéder, la plus répandue, très largement, me permet également de ne pas me trouver dans certains secteurs au mauvais moment. Le désert quand il fait trop chaud, la Sierra quand il y a trop de neige, les Cascades quand il fait trop froid, etc. Sans compter que de toute évidence, les difficultés ne sont pas les mêmes.
Ou alors, je me lance dans un parcours complet d'un trait, mais en arrivant dans la Sierra, je trouve qu'il y a trop de neige, je rejoins une route et je pars directement dans le nord, décidant de revenir faire le morceau manquant quand les conditions seront meilleures. Ce qui peut d'ailleurs être l'année d'après.
Ou alors, j'apprends que le niveau des torrents est très élevé et je zappe ce secteur en attendant que la situation redevienne moins dangereuse.
En 2006, Rolling Thunder et les quelques hikers avec qui il marchait ont été contraints d'esquiver 60 km du parcours dans l'État de Washington en raison d'un incendie qui avait contraint à la fermeture du sentier. Ils sont revenus l'année d'après parcourir les kilomètres manquants, ce qu'ils ont appelé Missing Miles Mission, la mission des miles manquants.
Vous voyez qu'on peut trouver des arrangements avec le bon Dieu, et la Sierra, contraint ou pas. Vous n'imaginez pas les discussions que cette question a alimentées sur le forum de l'association des dingues furieux. Il y a en effet une forme d'intégrisme qui consisterait à penser ou dire qu'un vrai thru-hike consiste à partir de la frontière mexicaine et à marcher jusqu'à la frontière canadienne, sans s'arrêter, et cela quelles que soient les conditions rencontrées en chemin. Il y a même plus intégriste que les intégristes, d'ailleurs. Pour cela, il faut, comme d'hab, se tourner vers Scott Williamson qui met un point d'honneur à battre les records de vitesse sur le PCT, mais sans jamais monter dans une voiture! Oui, j'imagine que ça vous paraît être une évidence, mais ce dont il s'agit là, ce n'est pas de zapper des tronçons du parcours, mais de faire du stop pour aller ravitailler et revenir sur le sentier. Certaines villes sont à des dizaines de kilomètres du PCT. Si vous refusez de monter dans une voiture, la logistique devient beaucoup plus compliquée. Ou alors, vous marchez encore plus, beaucoup plus.
Ça me rappelle Bernard Ollivier — un vieillard de mon âge — qui a parcouru la Route de la Soie à pied et en solo, en trois étés. De la Turquie jusqu'en Chine. Il insistait pour que les voitures qui auraient pu le prendre en stop pour diverses raisons le reconduisent scrupuleusement à l'endroit où elles l'avaient pris. Pas un mètre de gagné en voiture, surtout. Et pourtant, Bernard était seul. C'est bien là le problème, on est surveillé par soi-même, ou sa conscience. "L'œil était dans la tombe et regardait Caïn", comme disait ce cher Victor.
Ah, au fait: lisez donc Bernard Ollivier: La Longue Marche, éditions Febus, 2005, 3 volumes. C'est magnifique.
Il y a même un autre débat: peut-on être considéré thru-hiker si on ne suit pas le PCT dans son intégralité? Et là, ce dont il est question, ce sont les secteurs où il peut arriver que le sentier soit fermé et dérouté à cause d'un incendie, par exemple. Si vous êtes contraint de suivre une déviation, votre réputation est-elle détruite? Il y a en outre un endroit où l'immense majorité des randonneurs ne passe pas par le PCT officiel, pour emprunter un sentier voisin, mais beaucoup plus beau et spectaculaire (Eagle Creek Trail). Peuvent-ils affirmer qu'ils ont parcouru le Pacific Crest Trail sans que le rouge de la honte leur monte au front?
Et puis, imaginons que vous descendiez en stop jusqu'à une ville pour votre étape ravitaillement, mais que vous repartiez subrepticement le lendemain vers un point légèrement plus au nord sur le parcours, qui vous fait gagner quelques kilomètres. Et alors??? Tricheur ou pas tricheur?
Toutes ces arguties sont cependant en conflit avec un des mantras de la communauté des hikers, qui est "Hike Your Own Hike". Faites votre propre randonnée, en clair, faites les choix qui vous conviennent, dans tous les domaines, sans vous préoccuper du qu'en-dira-t-on.
C'est bien évidemment ce qu'il convient de penser, à mon sens. Mais cela n'empêche pas d'adopter une ligne de conduite, parce qu'on ne fait un tel parcours que pour soi-même, et personne d'autre. Ma philosophie est celle adoptée également par Élodie et Stéphane: on démarre à Campo et on marche non stop jusqu'à Manning Park, quelles que soient les difficultés, même si très occasionnellement on n'est pas sur le parcours estampillé "officiel". Pour ce qui me concerne, esquiver un secteur en me disant que j'y reviendrai plus tard ne me conviendrait pas du tout. C'est tout droit vers le nord, un point, c'est tout. Façon bourrin. On ne renie pas ses gènes.
Vous en avez même qui insistent pour glisser la main sous la clôture métallique à la frontière et pouvoir ainsi affirmer qu'ils sont bien partis du Mexique. Il convient en outre de remplir régulièrement les registres que l'on trouve le long du parcours, avec votre nom et la date de votre passage.
Pour le reste, dès lors qu'on a quitté temporairement le sentier pour aller ravitailler, je ne vois pas en quoi faire du stop pour rejoindre une ville serait déshonorant. Mais... Hike Your Own Hike. HYOH.
Hiker népalais
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Monastère de Taktsang, Bhoutan
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Anne-Marie et Tenzin: arrivée à Manning Park à la mode bhoutanaise.
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É si feuzé plutôt Compostelle en 5 ans le môssieu ?
RépondreSupprimerC'est tellement vrai !!! Le débat est inévitable entre thru hikers. A mon avis, le plus important, c'est de se donner une ligne de conduite propre à soi même et de la respecter ... quoi qu'il arrive. "Hike your own hike" d'accord, mais quand même ... no skip, no flip, no break, c'est du lourd, ça envoie du bois, bref, c'est du vrai thru hiking.
RépondreSupprimerPrendre 2 semaines off pour aller au mariage de sa soeur ? Bof. Skipper la Sierra pour la refaire en septembre ? Bof. Ne pas reprendre le trail exactement au même endroit où on l'a quitté (pour aller se ravitailler) ? Bof. Marcher sur la route pour éviter une section signalée dangereuse par d'autres hikers sans être allé voir par soi-même ? Bof. Prendre 1 ou 2 semaines off pour se remettre d'une blessure ? OK ! Prendre un détour car un secteur est fermé officiellement ? OK ! Bref, notre ligne de conduite était "continuous northbound thru hiking".
Ce sera aussi la mienne. Reste à la mettre en œuvre...
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