"As to the Indians, the guiding principle was, promise them anything just so long as they get out of the way."
Stephen Ambrose, historien américain.
"Quant aux Indiens, le principe de base était de leur promettre n'importe quoi, du moment qu'ils sortaient du chemin".
Bridge of the Gods
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À la frontière entre l'Oregon et l'État de Washington, le Pacific Crest Trail traverse la Columbia River sur un pont qui s'appelle le Pont des Dieux, Bridge of the Gods. Or, en 1996, sur les rives de la Columbia, à l'est du PCT, deux spectateurs d'une manifestation sportive ont découvert un crâne au bord du fleuve. Un crâne qui s'est avéré extrêmement important et qui a soulevé une tempête scientifique, politique et médiatique qui n'est toujours pas retombée. On a donné à l'individu dont on a ainsi retrouvé le squelette le nom d'Homme de Kennewick. Il a aussi alimenté une conversation enflammée avec mes amis John et Phil — passionnés par cette affaire — lorsque j'ai dîné avec eux en août dernier.
Vous aurez compris que mon propos, dans ces derniers billets, est de montrer qu'on ne piétine pas que du sable ou des cailloux en randonnant. On marche sur une histoire. Au propre et au figuré. J'ai d'ailleurs, avant de revenir à l'Homme de Kennewick, un autre exemple qui m'avait marqué. En août 1991, Martine et moi faisions une course glaciaire en Autriche, sur le glacier du Similaun, sur la ligne frontière entre le Tyrol autrichien et le Sud-Tirol italien. Deux semaines plus tard, nous apprenions dans les médias que d'autres randonneurs avaient fait une découverte stupéfiante... sur le glacier du Similaun. Le corps momifié et congelé de celui qu'on a appelé Ötzi, parce que cela se passait au bout d'une vallée autrichienne qui s'appelle Ötztal. Je suppose que vous en avez tous entendu parler. Et les détails de la découverte nous ont montré que nous avions nous-mêmes littéralement marché sur Ötzi quelques jours plus tôt. Ça m'aurait bien plu de faire cette découverte... Mais là encore, nous ne marchions pas sur un simple glacier, mais sur une très, très longue histoire.
Bon, j'arrête de radoter. Enfin, je vais essayer.
On nous a tous appris que les Indiens d'Amérique avaient atteint ce continent en provenance de Sibérie, en passant par le Détroit de Bering à un moment où il était possible de le traverser à pied. Il y a 12 000 ans environ. Les "Indiens" (je vous expliquerai peut-être un jour pourquoi je mets des guillemets) étaient donc tous descendants de la même "race" (là, ce sont des triples guillemets qu'il faut mettre, mais ce serait hors sujet d'aborder cette discussion. En bref, il n'y a qu'une seule race, humaine).
Les Indiens sont des descendants des peuples de Sibérie et de Mongolie, point à la ligne.
Ils ont eux-mêmes adopté cette idée et depuis plusieurs années, les tribus indiennes des États-Unis vont devant les tribunaux pour récupérer les dépouilles archéologiques des leurs dans les musées afin de leur offrir une inhumation correspondant à leurs croyances.
Donc, je résume: les Indiens débarquent d'Asie. Et ensuite, c'est Christophe Colomb, 1492. On est bien d'accord? Ah oui, il y a aussi Erik le Rouge, dont on pense très fort depuis quelques années qu'il a emmené ses Vikings sur des drakkars jusqu'en Amérique, en longeant le Groenland. Il embrouille un peu le scénario, mais bon... Va pour Erik!
Tout ça est simple et limpide.
Limpide? De moins en moins. Les actions en justice menées par les tribus indiennes pour récupérer les restes des leurs se sont, ces dernières années, parfois retournées contre eux, de manière totalement inattendue. L'ADN est passé par là. Parce que l'insistance des Indiens à vider les musées d'ethnologie a poussé ceux-ci, qui possédaient ces restes dans leurs collections, à faire des analyses. Et ô stupeur, on a trouvé des Indiens qui n'étaient pas indiens. Des soi-disants Indiens qui avaient des ADN... européens. Saperlipopette! L'affaire se corse. Comment sont-ils arrivés là? D'où sortent-ils, ceux-là?
Ces découvertes ont remis en cause ce que nous pensions de la manière et de la date à laquelle l'Amérique a été peuplée initialement. Dans ce contexte, l'Homme de Kennewick est la cerise sur le gâteau. Un groupe de cinq tribus indiennes a tellement insisté pour le récupérer que l'affaire a été confiée aux tribunaux qui ont mandaté des experts. Parce qu'évidemment, les scientifiques ne tenaient pas vraiment à perdre ce squelette étrange pour qu'il soit enterré. Le conflit a duré plusieurs années. Et les résultats des analyses sont pour le moins troublants. Cet été, la Cour Suprême des États-Unis a fini par débouter les Indiens.
L'Homme de Kennewick a 9000 ans. Ötzi, avec ses 5300 ans, est un petit jeune, à côté. De plus, au-delà des caractéristiques caucasiennes du crâne (de race blanche, si vous voulez), son ADN est bizarre, pour un "Indien". Ses plus proches parents semblent être dans un archipel du nord du Japon.
Reconstruction du visage de l'Homme de Kennewick
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En clair, toute l'histoire classique des Asiatiques et du Détroit de Bering se casse la gueule. Il y a eu de toute évidence plusieurs vagues de peuplement, d'origines très variées, et on ne comprend pas comment ils sont arrivés là-bas sans prendre l'avion.
À titre anecdotique, cette petite révolution intéresse énormément les Mormons, pour qui les Indiens étaient les descendants de tribus bibliques d'Israël. Et donc, par voie de conséquence, l'Amérique devenait la Terre Promise et eux les Élus de Dieu. CQFD. Vous allez voir, c'est simple à comprendre. Toujours est-il que John me montrait, en août dernier, un très intéressant ouvrage publié par les Mormons, qui comparait les types ethniques des différentes tribus indiennes d'Amérique du nord, et Dieu sait si elles sont nombreuses. Oui, je sais, étude comparative des types ethniques, ça pue un peu. Mais de la part des Mormons qui attendent le retour imminent de Jésus-Christ sur terre et l'Apocalypse annoncée par Saint Jean, pas grand chose ne peut me surprendre.
Alors, accrochez-vous: Joseph Smith, le père fondateur des Mormons, au XIXe siècle, reçoit les tables de la loi en or d'un ange, Moroni. Manque de bol, il ne peut pas les montrer parce qu'elles se sont désintégrées instantanément. Mais ce n'est pas un souci, parce qu'il a eu les temps de les voir et de les mémoriser tout aussi instantanément, d'autant qu'il dispose de deux pierres magiques qui vont l'aider. En mettant sa tête dans un chapeau, il pourra les dicter à nouveau. C'est le Livre de Mormon. Je l'ai dans ma bibliothèque. Dans ce livre, on parle d'une tribu d'Israël qui a émigré en Amérique. Mais ils ont contrarié Dieu qui les a punis en leur donnant une peau foncée. Na na nère! Mais pas de problèmes, les Indiens retrouveront leur peau blanche, comme il se doit quand on est civilisé, quand ils accepteront les enseignements de Dieu, ce que les Mormons vont les aider à faire.
Ce qu'il faut que vous compreniez, c'est l'idéologie sous-jacente à cette belle histoire au XIXe siècle. Non, les Mormons ne sont pas exilés en Amérique, chez les sauvages au bout du bout du monde, ce qui leur ferait courir le risque de redevenir sauvages eux-mêmes. Non, non, non, en réalité, ils ont retrouvé la Terre Promise. La preuve, les tribus d'Israël y sont. C'est donc eux le Peuple Élu de Dieu. C'est aussi la raison pour laquelle la toponymie de l'Utah est truffée de noms bibliques. Vous comprenez, bande de sauvages?
Si vous le souhaitez, vous pouvez regarder la décapante série TV South Park consacrée aux Mormons, ici, là, et enfin là. Vous pourrez contrôler que je ne vous raconte pas des salades, moi.
Mais ce qui était frappant dans ces images du livre Mormon sur les groupes ethniques, c'est qu'ils n'étaient à l'évidence pas tous des Mongols, loin s'en faut. Y a vraiment un lézard dans l'histoire officielle.
Article à lire ici. En Anglais, of course.
Bon, là je sens que ça devient très dangereux, parce que j'ai longtemps fait cours sur ce sujet qui me passionne des Américains qui se considèrent comme le Peuple Élu de Dieu (les Mormons ne sont pas les seuls, oh non!) et il faut que je me calme, sinon je vais vous infliger de très longues explications qui s'éloigneront pas mal du Pacific Crest Trail. Quoique... L'invention par les Américains du parc national (et le PCT en traverse sept) est en lien direct avec leur vision d'une Terre Promise en Amérique. Rappelez-vous au moins une chose: les Américains ont inventé le concept du Parc National en 1872, avec Yellowstone. Expliquer le cheminement intellectuel et idéologique de leurs relations torturées à la nature m'a pris 6 ans et 700 pages. Et, plus que les commentaires du jury, j'ai obtenu ma vraie reconnaissance en la matière dans le cadre d'un échange de courriers sur ce sujet avec Scott (Schroomer est son trail name), membre éminent d'EDF. On va mettre la modestie, ou la fausse modestie, de côté, j'ai passé l'âge de vouloir faire le beau. J'ai juste un réel intérêt pour cette question et la prétention, dorénavant, de savoir de quoi il retourne. Et Scott, qui est journaliste, me l'a confirmé en écrivant ceci: "You have pegged probably the most central schism in the American psyche, and religion is at the core. It's not often I meet an American who sees those issues so clearly." "Tu as mis le doigt sur ce qui est probablement la déchirure la plus importante de l'esprit américain, et la religion en est le cœur. Ça ne m'arrive pas souvent de rencontrer un Américain qui comprend aussi bien ces questions." Ça ne vous avance pas beaucoup, comme commentaire, mais moi, ça m'a fait vachement plaisir.
Avec moi, c'est bien simple: vous appuyez, concernant l'Amérique, sur les boutons "politique", "religion", "nature", et hop! Je démarre. Ou je ne démarre pas, parce que ça me fatigue à l'avance d'essayer d'expliquer des choses compliquées. Ou j'ai peur d'emmerder le monde, ce que je fais peut-être en ce moment-même...
Bon, bref, je vais prendre ma camomille.
Concernant l'Homme de Kennewick, je simplifie le propos scientifique parce que ces histoires de génétique et d'ethnologie sont plutôt compliquées. Et je ne comprends pas tout, loin s'en faut. Mais sachez que ça fait beaucoup de vagues outre-Atlantique, évidemment. D'autant que ce débat n'est pas dépourvu d'arrières-pensées douteuses. Établir que les premiers habitants d'Amérique étaient Européens, par exemple, c'est ôter aux peuples indiens leur argument classique de l'antériorité d'occupation. Moi, j'étais là le premier, na na nère!... Non, t'étais pas le premier, t'as piqué la place de ceux qui étaient là avant, donc on peut faire pareil, na na nère!
Ce n'est donc pas seulement une question de réécriture de l'histoire. C'est un sujet extrêmement sensible, sur beaucoup de plans. Comme quoi, faut faire gaffe quand on marche sur un glacier ou qu'on patauge dans l'eau et qu'on ramasse des trucs.
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