mercredi 11 janvier 2012

Règlement de comptes à OK Corral


"The journey is the reward."
Steve Jobs

"C'est le cheminement qui constitue la récompense".


Il y a du rififi parmi les thru-hikers du forum pct-l à propos de la cartographie. De manière tout à fait atypique sur ce forum aux mœurs généralement civilisées et d'une courtoisie hors normes, le ton est en train de monter. Les flingues sont de sortie. État des lieux...

Le problème de la cartographie est complexe sur le Pacific Crest Trail. Il s'agit en effet de disposer, sur un parcours de 4300 kilomètres, de cartes précises, à 100 mètres près, dira-t-on, en raison d'une signalisation sur le terrain délibérément anémique et de l'impérieuse nécessité — quasiment une question  de vie ou de mort — de savoir exactement où trouver de l'eau. Cette question de l'eau, j'y reviendrai, parce qu'à l'évidence, ce sont des informations qui changent, dans le désert, d'un jour à l'autre. Et je soupçonne que, si cet hiver confirme qu'il est tragiquement sec, ces informations sur les sources dans le désert seront pour ma promo absolument cruciales. Le terme de "source" peut être trompeur, à ce propos, dans le désert du Mojave. N'imaginez pas forcément un ruisseau d'eau cristalline dans une prairie fleurie. Une mare d'eau croupie dans laquelle flottent des excréments et se décomposent quelques cadavres de souris sera considérée comme une source. Pensez à emporter un filtre à eau performant.

Quels sont les protagonistes susceptibles de vous proposer des cartes?
Historiquement, il existe un guide du PCT, qui était en deux volumes (ceux que j'ai) et comporte maintenant trois volumes. Un guide à l'Européenne, pourrions-nous dire, qui fournit beaucoup d'informations, faune, flore, géologie, etc., en même temps qu'une description détaillée de l'itinéraire et des cartes. Dans l'édition que je possède, les cartes en noir et blanc ne sont vraiment pas terribles, mais ils ont peut-être amélioré les choses. Je vous ai dit que je pensais au PCT depuis 15 ans. Mes guides un peu anciens en témoignent. Ils sont volumineux et c'est bien là que le bât blesse, d'ailleurs. À 350 pages le volume, vous imaginez le poids, et le problème d'utilisation? Il y a beaucoup de "bavardage", pour le thru-hiker dont la préoccupation première est de rester sur le sentier et d'avancer vers le nord.





Ce guide, comme toute autre publication papier dans le monde, souffre de surcroît de la concurrence des informations disponibles sur internet. Au point que ses auteurs ont dorénavant renoncé à le mettre à jour et envisagent de le laisser mourir de sa belle mort.

La communauté des thru-hikers, vous le savez, a développé d'autres stratégies pour résoudre le problème. Avec l'aide de randonneurs aussi incroyablement généreux que Halfmile, notamment. Je vous en ai déjà parlé, les cartes  de Halfmile sont gratuites (en dehors du prix de l'impression, bien sûr) et librement accessibles sur internet. Halfmile fait des efforts surhumains pour les maintenir à jour, en y ajoutant les dernières informations qui lui sont communiquées régulièrement. Les cartes de Halfmile sont devenues le bréviaire du thru-hiker.
Elles offrent un autre avantage: on les imprime sur des feuilles A4 recto-verso et on les jette au fur et à mesure de la progression. On n'a ainsi besoin de porter que les quelques feuilles correspondant au parcours jusqu'au prochain point de ravitaillement où on se sera envoyé la suite.
J'ai personnellement une grande admiration — et non moins grande reconnaissance — pour le travail de bénédictin bénévole fourni par Halfmile.

Mais il y a d'autres "concurrents": Erik the Black a mis au point une série de cinq guides qui sont très bien présentés.


Erik a fait de son travail un business, ce qui peut aisément se comprendre, vu le travail de taré que cela implique. Il vend ses guides. Assez cher, mais ce n'est pas le tirage du Goncourt non plus. Parmi les thru-hikers, il est l'objet de beaucoup de critiques concernant l'imprécision ou les véritables erreurs de ses cartes. En bref, Blackwoods Press n'a pas vraiment bonne presse.

Et il existe un nouveau venu dans ce panorama qui s'appelle Scott Parks, plus connu sous son trailname de Postholer. Il a créé un site d'informations sur le PCT tout à fait précieux. C'est aussi là que la majorité des hikers publient leur journal, à l'aide d'un site de publication très bien organisé et gratuit.
Mais Scott vient de publier, lui aussi, sa série de guides, qu'il commercialise, assez cher, lui aussi.
La crise actuelle (celle du forum, pas l'autre) me paraît avoir deux origines: la communauté des thru-hikers repose de manière fondamentale sur l'entraide et la générosité. Solidarité et désintéressement sont leurs maîtres-mots. Ils me semblent avoir une sorte de réticence génétique dès que certains veulent faire commerce de leur travail. On est normalement dans le monde des anges et des magiciens, pas celui du business et de la finance. Erik et Scott sont ainsi plutôt mal vus, d'emblée. D'autant que Halfmile leur fait une certaine ombre, parce qu'il fait le même travail, mais en coulisses et gratuitement. Et Scott aggrave son cas de temps à autre par une stratégie commerciale agressive, et sans doute peu adroite, qui consiste à clamer régulièrement que ses cartes sont les meilleures, et de très loin, et que les "autres" (vous entendez là quelqu'un dont le trailname commence par H) ont des cartes minables qui datent de l'Antéchrist.



Les membres du forum me paraissent maintenant avoir épuisé leur dose de patience concernant les piques régulièrement lancées par un Scott bien cavalier à l'endroit des autres cartographes, et de ses rodomontades. Ils sont eux aussi en phase de préparation de leur randonnée, sans doute assez énervés d'être enfermés chez eux sans pouvoir aller marcher. On sent que la saison va démarrer et l'impatience rend chatouilleux. Et on commence à se jeter à la figure les erreurs commises par les uns et les autres. Signe que la situation ne va pas tarder à ressembler à celle des quartiers nord de Marseille, Halfmile, d'une discrétion légendaire, vient d'entrer dans la mêlée, sa kalachnikov à la main. Dans son dernier message, il fait gentiment remarquer que ses calculs de distance sur la traversée de la Californie ont une marge d'erreur de 100 mètres, alors que Scott, lui, s'égare de 25 kilomètres. Vous voyez le genre de préoccupations des randonneurs du PCT?
Halfmile précise également que sur telle carte, il indique quatre points d'eau, dont un pollué par des vaches, mais que Scott n'en indique qu'un, celui qui est pollué, évidemment... Bref, la discussion ne porte pas vraiment sur les stations de ski à la mode ou le meilleur endroit (Londres ou Milan?) pour aller faire les soldes.
Au-delà de ces querelles de cour d'école — ou de candidats à une élection présidentielle, c'est selon — il convient cependant de remarquer que Halfmile garde une hauteur de vue et une dignité dans le "débat" que je trouve aussi admirable que sa générosité. Scott - postholer, lui, n'est vraiment pas à la hauteur, c'est le moins que l'on puisse dire, et il agace beaucoup de monde. À une remarque qu'il a faite, en disant que dans les cartes de Halfmile, "certaines choses ne peuvent être corrigées", on lui a aussitôt répondu: "Ce qui ne peut être corrigé, c'est l'attitude agressive de merde de postholer, et son auto-promotion éhontée".
En quelque sorte, on approche sérieusement d'une situation aussi sereine que celle de cette scène des Tontons Flingueurs: "Non mais t'as déjà vu ça ? En pleine paix ? Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance et une sévère… Je vais lui montrer qui c'est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu'on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m'en fait trop je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile !" Les Tontons Flingueurs, à ranger sur la même étagère que les œuvres complètes de Shakespeare. Si vous êtes sages, je vous expliquerai peut-être un jour Romeo et Juliette, et le génie ébouriffant et vertigineux de son auteur (qui a crié "Non! Non! Pas ça!"?). 

Quand les membres du forum ne sont pas agacés ou agressifs, ou en train de dynamiter et de ventiler, ça peut donner ceci:

"I have known Halfmile to spend days on side trails on San Jacinto in order to provide alternate routes into Idyllwild. Accurate information. I can also attest to his integrity and decency. The man is driven to provide excellence. There is no question which maps I will use on the sections I hike this year. Halfmile's. 
I admire both Scott (postholer) and Erik. I don't mind combative, and Erik has some creative ideas about the delivery of information. I just consider Halfmile's maps to be the best available. By far."

"J'ai vu Halfmile passer des journées entières sur des petits sentiers du côté de San Jacinto afin de fournir des itinéraires de remplacement vers Idyllwild. Des informations exactes. Je peux aussi garantir son intégrité et sa dignité. Cet homme est guidé par le désir d'excellence. Il n'y pas le moindre doute quant aux cartes que j'utiliserai pour mes randonnées cette année. Celles de Halfmile.
J'admire tout à la fois Scott (postholer) et Erik. La combativité ne me gêne pas, et Erik a de bonnes idées concernant la communication de l'information. Je considère simplement que les cartes de Halfmile sont les meilleures. De loin".


Comparons donc les offres. Un test Que Choisir?. Voici la première feuille, celle du départ à la frontière mexicaine, à Campo, vue par Halfmile, Postholer, et Erik. Il me semble effectivement qu'il n'y a pas photo...

Halfmile

Scott, dit Postholer

Erik the Black



Mon choix?
Halfmile, bien sûr, mais j'emporterai aussi les cartes de Scott (postholer), par prudence et pour comparer. Je ne connais pas leur précision, mais je dois reconnaître qu'elles sont magnifiques.
Vous imaginez le turbin? Vous sortez de chez vous, empruntez un petit chemin dans le bois voisin et vous voulez aller jusqu'au Kamchatka, sans quitter ce sentier. Un certain nombre d'explications vont vous être nécessaires, littéralement mètre après mètre, mais sur 4300 kilomètres. Une paille...

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