mercredi 25 janvier 2012

Cactus Eaters



"It is wise to bring some water, when one goes out to look for water."
Proverbe arabe

"Il est prudent d'emporter un peu d'eau quand on part chercher de l'eau".




Dans ce récit, Dan et sa femme Allison sont dans une sérieuse galère dans le désert du Mojave. Leur outre s'est vidée de son eau dans le sac et ils rationnent le peu qu'il leur reste depuis des heures en espérant trouver un trou d'eau...

"Il n'y a rien, me dis-je, strictement rien, pendant qu'Allison m'observe en plissant le regard. "Tu vas trouver une solution, tu vas trouver de l'eau", me dis-je. "C'est toi le mec le plus intelligent de la pièce". En fait, je suis le seul mec de la pièce, mais il n'y a pas de pièce, et je commence à me demander pourquoi on n'est pas partis à Bora Bora. On m'a dit que le tourisme l'avait envahie, mais que c'était sympa. On peut avoir des tarifs tout compris. Il paraît que l'hôtel Beachcomber est plutôt chouette. En ce moment, on pourrait être au bord du Pacifique tiède, à manger des hamburgers et boire des bières glacées, ou à faire l'amour dans un bungalow au sol vitré au-dessus de l'eau, en regardant les concombres de mer et les anguilles. À  la place, on a fait le choix d'être ici, à tituber. […]
J'observe le paysage attentivement, et je sens le cœur me battre dans les tempes. Je me rappelle les cours de biologie au lycée. Mme Caterberg nous avait dit que les ânes et les chameaux peuvent perdre un tiers de leur poids en eau sans en subir d'effets. Mais si un être humain perd le dixième de son poids en eau, il commence à perdre la boule. S'il perd vingt-cinq pour cent, son sang se transforme en marmelade. Ses muscles se bloquent. Puis il commence à avoir des hallucinations. À la fin, sa langue noircit. Combien d'eau ai-je déjà perdu? Et Allison? Dix pour cent? Onze pour cent?
Enfin, une lueur apparaît dans les arbres. On se faufile au milieu des buissons et on parvient à une bande de terre brun-rouge dans les hautes herbes, avec une triste mare au milieu. Un mètre par soixante centimètres, quelques centimètres de profondeur. C'est notre seule option. Il y a des sangsues dans l'eau. J'enfonce mon index dans cette mélasse. L'eau est tiède et incroyablement sale. Allison enlève son sac et sort notre seau pour la filtration — le fonds d'un bidon de cinq litres de jus de fruit. J'écope un peu d'eau et je laisse les particules de débris se déposer au fond. Je sors alors notre très coûteux filtre à eau en céramique, que nous avions commandé à Tehachapi lors d'un ravitaillement, en remplacement sous garantie, après que notre premier filtre avait explosé à un autre trou d'eau. Je place l'embout flottant dans l'eau et je prie.
"Sois gentil," dis-je, en chuchotant, à mon filtre.
Allison est au-dessus de moi et m'observe. Je tiens le filtre dans mes mains. Je le câline. C'est dingue de parler à son équipement, je sais. L'équipement n'est pas vivant. Mais si vous devez parler à votre matériel, faites-le de manière respectueuse. Ne criez pas ou ne lui manquez pas de respect. N'essayez pas de lui imposer votre volonté, ou il pourrait se venger. Prenez une voix naturelle, avec une très légère intonation d'autorité.
"Tout ce dont on a besoin, c'est quelques bonnes gorgées", dis-je au filtre. "C'est tout ce que tu dois faire".
Et le filtre se met à fonctionner parfaitement, au début. C'est quasiment de la sorcellerie, la manière dont il aspire l'eau boueuse et la clarifie. Nous filtrons suffisamment d'eau pour boire de suite. En fait, nous parvenons à filtrer un ou deux litres d'un coup, mais on en veut davantage, même si l'eau est tiède et a une odeur bizarre.
"Encore, encore, encore", dis-je au filtre. "Continue. Tu t'en sors très bien. Encore un demi-litre, s'il te plaît".
L'appareil laisse échapper un gargouillis, suivi d'un craquement, qui cède la place à un crachottis, un sifflement, un râle d'emphysème, alors que la pression augmente dans le tuyau d'entrée. Le filtre se bloque. Le levier ne veut plus bouger. Le tuyau de sortie ne veut plus laisser passer d'eau. Le type du magasin m'avait juré que ce filtre ne nous lâcherait pas. Il avait juré que c'était un nouveau modèle, ce con.
" Allez, bordel, allez!" lui dis-je furieusement en appuyant de toutes mes forces sur le levier. Un geyser d'eau sale sous pression jaillit. Le filtre se déboîte et tombe en morceaux. Un sentiment d'horreur s'empare de moi — l'impression que nos problèmes d'eau ne font que se répéter, comme si on était enfermés dans un trou noir du temps. Je regarde les morceaux éparpillés du filtre, puis Allison, puis le gras soleil. Pour le moment, nous avons assez bu pour étancher notre soif, pour le moment. Mais la soif va vite revenir."

Dan White, The Cactus Eaters, HarperPerennial, 2008.

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