mercredi 4 janvier 2012

Un rite de passage




Je n'adhère pas bien à l'idée développée par l'auteur de cet article (dont je ne vous donne qu'un extrait). Néanmoins, il reconnaît être section-hiker, ce qui signifie qu'il ne fait "que" des tronçons du PCT et ne pourrait jamais envisager, dit-il, de parcourir l'intégralité d'un trait. Et tout le problème est là, d'ailleurs. On est dans deux univers très différents. La décision de parcourir l'intégralité du PCT en une seule saison est... une décision, et elle impose de sacrées contraintes.
Je comprends tout à fait son point de vue et je me trouve, en le lisant, pas mal de côtés féminins. L'honnêteté m'oblige cependant à admettre que je me reconnais quand même dans les deux dernières lignes. Même si je pense avoir résolu depuis longtemps tout problème de masculinité, si j'en ai jamais eu. Je compte bien néanmoins, et avant tout, savourer cette fabuleuse "balade".  Cela, malheureusement, ne laisse pas vraiment le temps de flâner. C'est un choix. On peut aussi, et c'est ce que fait l'immense majorité des randonneurs sur le PCT, n'en parcourir que des parties, et prendre tout son temps. John semble faire une généralité "masculine" de la dizaine de thru-hikers qu'il a rencontrés. Ils avaient, par définition, fait un choix précis, et ce choix particulier leur imposait une attitude particulière.
Je regrette qu'il semble considérer, apparemment, que les thru-hikers soient des sortes de brutes obnubilées par leur objectif lointain qui ne savent pas apprécier leur environnement et que seuls les section-hikers soient dignes d'intérêt. Les deux attitudes ne sont pas incompatibles du tout.
En outre, je ne crois pas qu'il n'y ait que des hommes parmi les thru-hikers... N'est-ce pas, Élodie? N'est-ce pas, Carley? N'est-ce pas, Wandering Dot? N'est-ce pas, Erin? N'est-ce pas, Katie? Pour ne mentionner que les premiers noms qui me viennent à l'esprit de la promo 2011.
Mais je suis d'un naturel (extrêmement) tolérant et je pense que son avis mérite d'être lu.





John Henry Smihula, A Rite of Masculinity, in The Pacific Crest Trailside Reader, The Mountaineers' Books, Seattle, 2011.


"Si je ne parviens pas au Canada avant la neige, je suis foutu", déclara cet homme d'un certain âge tout en réajustant ses lunettes et en observant nerveusement le ciel d'été chaud et sans nuage de la Californie du Nord. Il se trouvait près de Lookout Rock, couvert de sueur, courbé sous un sac lourd, et il ne voyait que la frontière canadienne. C'était le mois d'août et il ne pensait qu'à octobre. Il anticipait le ciel bas d'automne et sentait le vent glacé du nord, mais il ne paraissait pas avoir remarqué les deux faucons à queue rouge qui tournoyaient à trente mètres au-dessus de lui.
Bien qu'un peu bizarre, il n'était en aucun cas une anomalie. Je randonnais vers le sud de Bucks Summit en direction de la Middle Fork de la Feather River, vers Lakes Basin et Sierra Buttes. Ma destination? ma copine et une bière à Sierra City. J'avais croisé une dizaine de thruhikers au cœur vaillant qui, comme cet homme, étaient partis de la frontière mexicaine au début du mois de mai avec une vision du Canada devant les yeux. Ce que j'avais rencontré, c'était une migration saisonnière, ou un rituel: la marche de 4300 km, sur cinq mois, en direction du nord, le long du PCT.
C'étaient tous des hommes, remarquablement semblables d'apparence — tous sauf un étaient blancs, la plupart âgés d'une vingtaine d'années, ou jeunes trentenaires, de toute évidence de classe moyenne. Et en ce qui concerne leur comportement, minces et concentrés, d'un sérieux quasi surnaturel, plus ou moins obsessifs-compulsifs, préoccupés par le temps, le kilométrage et où trouver de l'eau. À mes yeux, à cause de leur attitude, chacun semblait porter sa croix, en pénitence de quelque crime indicible. À coup sûr, me disais-je, le soleil pourrait briller sur des entreprises plus joyeuses que celles-ci — la randonnée n'est pas censée être une punition. Le plus jeune de ceux que j'ai rencontrés était aussi probablement le plus pauvre. Au chômage depuis peu d'un petit boulot, il se reposait à l'ombre, en tirant sur sa cigarette. Habillé de surplus de l'armée — l'opposé du tout dernier équipement ultra-léger, ultra-cher porté par le randonneur bourgeois. Ses chaussures étaient usées, comme ses pieds, couverts d'ampoules, de sang séché, et de ruban adhésif. Tout ça ne le préoccupait absolument pas; ses pensées étaient focalisées sur le Canada, dont la frontière tremblotait devant ses yeux pleins de lassitude. La Californie, l'Oregon, et le Washington n'étaient que des obstacles à surmonter.
Les hommes sur le sentier: quel phénomène étrange et déroutant, si différent des femmes! Après avoir achevé ses études, ma copine Wendy et son amie Bailey avaient parcouru 350 miles du PCT dans le nord et le centre de la Sierra, et elles n'avaient elles aussi vu que des hommes (tous l'air hanté). Wendy et Bailey avaient un projet assez simple: voir de beaux paysages, faire l'expérience du wilderness, et s'amuser. Pour elle, le temps n'exerçait aucune pression. "Nous n'avions pas de mission, rien à prouver", dit Wendy. Bailey et elle pêchaient, observaient les oiseaux et les fleurs, prenaient les sentiers de droite et de gauche,  et retrouvaient de temps en temps amis et membres de leur famille sur le parcours. Elles ont été, tout comme Cindy Ross, sidérées de voir à quel point les hommes étaient "sérieux" et focalisés sur un objectif. En deux saisons, Ross a parcouru tout le PCT pour échapper à l'ennui de sa vie bien réglée d'ouvrière et profiter de la liberté et de l'aventure du wilderness. Elle a décrit ses randonnées dans un livre de 1987, Journey on the Crest. Les femmes, semble-t-il, ne sont pas sur le sentier pour tester leur féminité — quel que soit le sens qu'on puisse donner à ça. Qui a déjà entendu parler d'une femme se battant pour parvenir à la féminité? Qui a déjà entendu parler d'une "crise de féminité"?
[...]
Les hommes que j'ai observés sur le PCT étaient en mission ou en croisade, métaphysique tout autant que physique. Quelle qu'ait été leur crise de masculinité, ces hommes s'acharnaient à la résoudre. Ce qui se déroulait devant moi était un rite de passage, un impératif masculin de voyager à pied sur de grandes distances, de faire face au défi des grands espaces, de faire le test de leur volonté et de leur persévérance.
[...]


Comment on se protège des mauvais esprits, au Bhoutan.


Une note de bas de page qui n'a rien à voir, mais un blog sert avant tout à s'exprimer, donc...
Je suis triste. Ronald Searle vient de mourir. Ronald Searle était un caricaturiste de génie. Britannique, il avait passé quatre ans prisonnier des Japonais pendant la guerre, en enfer, à construire la voie ferrée qui deviendra l'argument du film Le pont de la rivière Kwai. Mais, par-dessus tout, c'était un génie. Il est placé très haut dans mon Panthéon personnel.
Si cette note vous permet de découvrir son gigantesque talent, elle aura été utile.







3 commentaires:

  1. Kesseke tu fous à ton ordi à 4h02 ????

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  2. Très intéressant de découvrir ce que renvoie l'image d'un "thru hiker" pour un "section" (enfin pour celui là).
    Il est vrai que lorsque l'on croisait un autre randonneur "plus normal", nous pouvions présenter un visage plus ou moins frais, un esprit plus ou moins las, enfin sur 5 mois, ça se comprend.
    Mais c'est justement là que c'est intéressant : en 5 mois, nous avons le temps de passer par bien des états mais au final, il ne reste que le meilleur décuplé, puissance 4300, et ça, le "section", lui, ne le connaitra jamais. Il n'aura fait que des randos à la journée voir à la semaine. Bref, des vacances. On ne joue pas dans la même cours... encore quelqu'un qui n'a pas compris ce que font les thru hikers. Et ce n'est pas le dernier. Si il reçoit cette image là, c'est qu'il veut recevoir cette image. A mon avis, il n'a jamais "vécu" (à miles interposés) 5 mois avec des thru hikers. Il n'aurait jamais écrit cela. C'est loin d'être un chemin de croix. C'est une aventure exceptionnnelle que seuls méritent ceux qui s'en donne la peine. C'est tout.

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  3. Ca me fait penser à ton post sur la devise chère aux thru-hikers "Hike your own hike" ... mais ma façon à moi, c'est quand même la mieux !

    A ce sujet, il y a un article très sympa de P-Mag : http://www.pmags.com/hike-my-hike-damn-it-hmhdi

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