mercredi 25 avril 2012

24 avril Échec (et mat?)

AVERTISSEMENT: tout ce que je vais écrire ici n'est que mauvaises excuses, je sais. J'écris à mon psy, c'est tout.


Si, si, je suis de retour à Palm Springs. Épuisé, rincé, vidé, genou en vrac, un peu démoralisé. Une journée de merde.
Explications...

Suivez bien le (mauvais) guide: pour rejoindre le PCT, j'avais deux solutions. Repartir à proximité d'Idyllwild, où Richard et Pat nous avaient repêchés. Ou bien prendre le téléphérique censé me faire gagner deux jours de marche (à la louche), en me conduisant directement dans le massif. Mais hors du PCT. Il fallait donc récupérer le PCT, par une bonne dizaine de miles de marche en haute montagne.

Oui, mais... Les conditions de neige se sont avérées pourries de chez pourries. En arrivant au sommet, je pars directement au poste de rangers pour avoir les infos sur les conditions. Raquettes ou crampons fortement recommandées, me dit-il. Conditions dangereuses. Merci, Monsieur, bonne journée.
Et pourtant, tout — la lumière cristalline, les sapins géants, les effluves de bois de cèdre, les écureuils gris qui courent partout, les geais de Steller bleu métallisé que je vois porter des brindilles pour faire leur nid, tout me transporte instantanément quinze ans en arrière, vers le John Muir Trail. Cette montagne a un parfum américain. Que ces montagnes sont belles!





Mais effectivement, la neige est rapidement devenue la pire, la plus traîtresse, qu'on puisse trouver. Gelée en surface, une croûte de glace glissante, je pose le pied pour tâter le terrain, j'appuie pour vérifier qu'elle pourra porter mon poids (considérable, certes), et au moment exact où je transfère tout le poids, ou une demi seconde plus tard, elle s'effondre et ma jambe s'enfonce jusqu'à la taille. Je me tors bien sûr plusieurs fois le genou. La progression se fait pas à pas, prudemment, ce qui n'empêche pas de de passer très souvent, trop souvent, au travers de la croûte de neige. Le plaisir d'être dans ces magnifiques paysages a déjà fait place au cauchemar. Mon objectif est d'atteindre un endroit appelé Wellman's Divide, à 3000 mètres d'altitude. Ensuite, il faut continuer de grimper, changer de versant, et — au bout d'une douzaine de kilomètres — récupérer le Pacific Crest Trail. Et après ça, gagné?? Non, non, ce n'est au contraire que le début des emmerdements, parce que le PCT franchit ensuite la très redoutée arête de Fuller Ridge, sur 4 kilomètres, rien que ça, un des endroits réputés les plus dangereux de tout le parcours entre le Mexique et le Canada. Dans cette neige pourrie? Vraiment? De surcroît, vous l'imaginez bien, le sentier que je voudrais suivre est recouvert par la neige et la navigation se fait au GPS, mètre par mètre.
En montant par le splendide téléphérique rotatif, j'avais fait la conversation (bizarre, bizarre, hein?) avec une charmante dame âgée qui partait, elle aussi, faire une balade d'une journée dans le secteur. Quelques heures plus tard, je la retrouve. Elle porte des crampons, elle sait visiblement ce qu'elle fait, mais fait demi-tour, et m'explique qu'elle juge des conditions beaucoup trop dangereuses. "Et pourtant, je viens ici toutes les semaines", ajoute-t-elle, en me demandant si quelqu'un sait où je vais. Elle lève les yeux au ciel quand je lui dis que non, mais je tente de la rassurer en disant que j'ai une balise de secours. Mais je me dis aussitôt que si je me cassais une jambe, une éventualité du domaine du réel dans ces circonstances, le signal ne passerait pas à cause des arbres.
Je tente de continuer. Vient le moment où l'idée de faire demi-tour m'effraie autant que celle de tenter de continuer. Je me sens piégé, et les heures passent. Il va falloir penser à la nuit qui va arriver. Ça devient crétin, mon histoire du jour. Et à force de réfléchir à ma situation, je me dis que ces risques sont absurdes et que je n'ai pas envie de les courir. Je bataille depuis des heures, mais n'avance pas. La météo a de plus annoncé du mauvais temps pour demain. Je vais où, là?

À contre-cœur, mais sûr de faire le bon choix, je fais moi aussi demi-tour. La descente est aussi pénible et dangereuse que la montée. Mais je me sens rassuré d'avoir pris cette décision. Arrivé au téléphérique, j'entre dans le domaine des touristes en shorts et en tongs (pas de sarcasmes). Mais ce sont des touristes américains et chacun d'eux me dit bonjour ou me pose des questions sur ce que j'ai fait. Et à la dame qui me demande: "Was it great?" "C'était bien, votre balade?", je réponds: Super!
Mon genou a rendu l'âme, ça y est, et il me fait boiter à nouveau.
Au bas du téléphérique, il me reste à appeler Richard et Pat qui, avec leur gentillesse coutumière, viennent aussitôt me récupérer. Et j'écris, douché, avec un bon verre de blanc (Viognier Cline 2007) à portée de la main.

Je jette un coup d'œil au journal de Seth et Kristin, membres de ce blog, qui ont un peu d'avance sur moi. Depuis Idyllwild, ils ont zappé tout le massif de San Jacinto et sont déjà dans le désert. Étrange...
Mais il ne faut pas se leurrer: nombre de hikers vont passer Fuller Ridge. C'est juste une question d'acharnement et de risques qu'on accepte de prendre.

Le bilan? Je suis en échec. Mais il est clair que le sac est encore TROP lourd. Envisager de parcourir le Pacific Crest Trail avec des kilos superflus est impossible, je le sais maintenant. Le problème, c'est que je ne suis pas capable de faire une telle randonnée en prenant quelques photos à la sauvette avec un téléphone, et en écrivant des compte-rendus quotidiens (ou pas) de trois lignes sur le même téléphone. Je me suis levé, j'ai marché jusqu'au diable vauvert et il faisait beau. Je recommence demain... Je ne peux pas avoir ce type "d'égoïsme". J'ai un besoin viscéral de partager ce que j'aime, de force, parfois. La conclusion est qu'il y a une incompatibilité entre les paramètres que j'ai moi-même établis. Et ça, je suis quand même bien obligé de le reconnaître.
En outre, tous les hikers le disaient, mes pieds ont gonflé dans le désert (ils préconisent de porter des chaussures une, voire deux, tailles trop grandes dès le départ); mes chaussures sont trop serrées et me font souffrir. Mes ongles qui noircissent en témoignent.
Je dois convenir tout simplement que je ne suis sans doute pas assez fort pour une telle entreprise de cinglé. Ça fout tout de même un coup au moral, vous l'imaginez bien. Je croyais avoir mes lettres de créance, chez les cinglés.

Les plans? Repartir demain à Long Beach chez Rob et Pam pour faire le point et essayer de prendre une décision calme et raisonnable. Il est cependant aussi clair que les États-Unis est le pays où je suis heureux, le seul où je me sente aussi serein, et rentrer maintenant en France me chagrinerait, hors la joie immense de retrouver Anne-Marie.
Je ne tiens pas particulièrement, pour l'heure, à me retrouver au milieu des coups tordus de la campagne électorale tricolore, surtout qu'il y a un camp où ça pue sérieusement. Bref, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans mes réglages, mais je ne sais pas comment réparer. Et puis, toujours, hibou, caillou, genou...


Mise à jour: si, je sais comment réparer...
Sac ÜLA Airx: 1,1 kg - matelas intégré (économie: 2kg / dépense: $300)
Remplacer l'appareil photo par un "point and shoot" (économie: 2,5 kg / dépense: $200?)
Remplacer le portable par un carnet (économie: 1kg)
Changer les chaussures (économie: confort très amélioré, plus léger / dépense: $ 150?)
Je gagne 5,5 kg et mon poids de base retombe à 10/11 kg. Celui d'Alaska est de 8,4 kg. Comment fait-il, scrogneugneu?!
Je perds... des dollars. Non, plus exactement, Anne-Marie perd des euros...

Dans tout ça, une chose me remonte le moral, quand même: Alaska a un sac de 8,4 (on parle bien du sac sans eau ni nourriture, d'accord?), le mien faisait sans doute 18 kg. J'ai aussi un certain nombre d'années de plus que lui. Et pourtant, en lisant le journal d'Alaska, avec qui j'ai traversé le désert d'Anza-Borrego, je lis ceci:

Étape Paradise Café:
"Arguably one of the hardest 8 miles I’ve ever done. It’s mostly up hill from the cache and although an early start kept me mostly in the shade it was up and up and up around every corner, then down followed by more up."
De toute évidence un des 8 miles les plus difficiles que j'aie jamais faits. C'était la plupart du temps en montée depuis la cache et malgré un départ tôt qui m'a permis de rester à l'ombre, c'était grimper, grimper et grimper à chaque virage, puis une descente et grimper encore plus".

Étape Hiker's Oasis (Nance Canyon):
"Snaking through the canyons with random climbs was wearing in me. Every time I entered auto pilot I’d stumble or twist my ankle."
Serpenter dans ces canyons avec toutes ces ascensions finissait par être usant. Chaque fois que je me mettais en pilote automatique, je trébuchais et je me tordais la cheville.


J'en profite d'ailleurs pour piquer une photo de moi prise par Alaska dans Nance Canyon:

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