jeudi 12 avril 2012

10 avril Lake Morena


Dès les premières lueurs, je sors de ma tente et commence à remballer tout le barda. La nuit n’a évidemment pas été bonne. Courbatures, crampes, inconfort, les incessants passages des hélicoptères qui nous éclairent avec leurs projecteurs, les animaux qui viennent gratter à proximité des tentes… Pas vraiment de raison de faire la grasse matinée, sans compter que l’obsession est déjà là: avancer avant d’être rattrapé par le soleil. Ça va me valoir mon trail name, officiel. Je suis dorénavant “Tent Wrestler” sur le PCT (prononciation: [taintt raissleur]. Lutteur de tente… Effectivement, mon matelas ultra-léger est très bruyant, et ils ont jugé que j’étais bruyant et bien agité de bon matin en levant le camp. J’essayais d’utiliser le peu d’énergie dont je disposais encore à ranger avant d’être paralysé.
Peu à peu, nous nous préparons, petit déjeuner réduit à sa plus simple expression: quatre cookies. Je suis de toute façon tellement fatigué que je n’ai pas faim. Ça m’agace, parce que j’ai pris beaucoup trop à manger.





Alaska part le premier, je le suis un moment plus tard. À l’assaut de Morena Butte, même si mon assaut n’est pas très agressif, je dois en convenir. Heureusement, une bonne partie de l’ascension sévère est encore à l’ombre. On peine à imaginer ce que ça doit être en plein soleil. Un beau sentier sablonneux, de grains de granit rose décomposé, au milieu de l’abondante végétation du désert. Je suis rattrapé par Justin, puis Southern, et continue ma montée péniblement. J’ai mal partout, y compris à des endroits de mon organisme dont j’ignorais qu’ils pouvaient devenir douloureux et qui manifestent leur réprobation vis-à-vis de mes activités un peu sauvages. Des crampes aux jambes, d’accord, mais aux mains?



Morena Butte

Southern à l'assaut de Morena Butte.


Lake Morena

Camping de Lake Morena.


Enfin arrivé à Lake Morena et son camping, je m’assieds pour évaluer la situation. Je vais rester là pour me reposer un peu et je repartirai demain. Arrivent bien vite Alaska, Justin et Southern, qui s’étaient, eux, précipité vers la boutique voisine acheter des boissons. Ils font une longue pause avec moi ; ils se demandaient où j’étais passé. C’est d’ailleurs étrange de constater qu’on sait très vite qui est devant, qui est derrière et de voir la solidarité. Ils se surveillent les uns les autres. Drew a disparu, à ce propos. Je doute qu’il soit parvenu au terme de la première étape. On discute du poids du sac et je passe finalement un très agréable moment avec des garçons très gentils (je pourrais ajouter, s’agissant d’Américains, “comme d’hab”). Alaska m’explique que je fais exactement ce qu’il a lui-même fait l’an dernier, lors de sa tentative avortée dans le Mojave. Quant à Southern, il ajoute que tout ça est tout à fait normal, qu’il faut que mon organisme s’adapte. Lors de la première étape de son parcours de l’Appalachian Trail il y a deux ans, me dit-il, il a fini les derniers 10 kilomètres en larmes, alors que l’étape était moins longue que ce que nous venons de faire. “J’ai été trop stupide pour abandonner”, ajoute-t-il.

Ils repartent tous les trois sur le sentier, dans l’intention de faire une dizaine de miles avant la nuit, jusqu’à Fred Canyon. J’ai eu beaucoup de plaisir à être avec eux depuis hier matin. J’espère les retrouver un jour.

En attendant, je vais essayer de récupérer et de me débarrasser d’un peu de nourriture inutile, histoire de commencer à diminuer le poids. Je ne suis pourtant pas très loin du poids des sacs de mes compagnons d’un jour. Ça confirme sans doute que c’est aussi une question d’adaptation. Pas de doute, le Pacific Crest Trail est une activité un peu bestiale. Et je sais que désormais, l’obsession principale sera celle de l’eau. Tout le temps. Et elle fausse tous les paramètres auxquels j’étais habitué, parce que c’est non seulement votre principale préoccupation, mais vous avez toujours sur le dos (c’est vital) plusieurs kilos d’eau.

Pendant que je rédige mon journal en rechargeant mes appareils dans les douches, arrive Running Wolf, originaire de l’Alaska, qui a dû abandonner sur blessure il y a deux ans. Il tente à nouveau. Running Wolf a une trentaine d’années, et la voix très grave. Pas de tente, juste un sac de bivouac, pas de réchaud. Pas de doute, le PCT attire les cinglés.

Dans deux jours, je dois être à Mount Laguna. Là m’attendent ma bounce box et un premier colis de ravitaillement, et une nuit à l’hôtel. J’y ferai la grande révision de mon équipement. Il faudra tenir jusque là.

Southern et Alaska, Lake Morena.

Justin, Lake Morena.

Alaska

Southern

Justin


La phrase du jour:
Running Wolf: “Within a few weeks, you’ll have legs of iron. It takes a little time.”
Dans quelques semaines, tu auras des jambes d’acier. Ça prend un peu de temps.

Acceptons-en l’augure…


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire