dimanche 22 avril 2012

21 avril Paradise Café - Palm Springs

240 km du Mexique. J'ai franchi le cap des 150 miles.

Aux premières lueurs du jour, vers 5 heures 30, nous commençons à nous agiter. En silence, parce que nous devons tous les trois être complètement décalqués. Ce qui est dans notre tête? Aller plus vite que le soleil et la chaleur et nous jeter sur un monstrueux petit déjeuner au Paradise Café.
Je n'ai pas de tente à démonter, je m'habille et je suis prêt à démarrer avant eux. Mes vêtements sont poisseux et raidis par la croûte invraisemblable de sel et de crasse. Comme me le disait Alaska, encore un jour et je pouvais enlever ma chemise et la poser par terre pour qu'elle me serve d'étagère! Je ne pouvais pas imaginer que le corps humain puisse évacuer autant de sel, ni générer une telle odeur. Mes vêtements ont ces croûtes blanchâtres, le sac aussi, y compris au travers des matelassages. L'appareil photo a blanchi, lui aussi, à cause de la transpiration. En frottant mon visage, je pourrais saler la soupe d'un régiment.
11 miles. Ce n'est pas vraiment beaucoup. C'est énorme quand vous êtes totalement épuisé, que l'air est déjà chaud à 6 heures du matin, qu'il vous tarde réellement d'achever cette première tranche du Pacific Crest Trail. Je calcule le poids d'eau au plus juste, et je me permets le luxe inouï, la folie, même, de jeter l'excédent.
Vers 7 heures, le soleil me rattrape. C'est un sprint d'escargot. Je n'en peux plus. J'ai regardé les courbes de niveau sur la carte de Halfmile afin de déterminer ce qui m'attend. Mais c'est toujours trompeur. Il y a toujours la colline suivante. Et le GPS me donne l'impression d'être bloqué.
Vers 10 heures, enfin, au détour du sentier, je vois dans le lointain la route 74. Que c'est bon d'apercevoir les voitures! Alaska et Gourmet sont passés devant moi. Une fois parvenus à la route, il faut prendre un sentier latéral qui la longe sur 1 km 500 pour arriver à Paradise Café. Je ne vois pas bien où démarre ce sentier secondaire. Je ne veux prendre aucun risque: je décide de longer la route, et j'aperçois le café au loin. Un sprint final et je m'affale en terrasse où Alaska et Gourmet ont déjà fait apporter un grand verre d'eau glacée pour moi.
Vite, le téléphone, dont la batterie est à l'agonie, pour laisser un message à Richard et Pat. ils ne semblent pas être là. Qu'importe, on commande le petit déjeuner. Et dans les 2 minutes qui suivent, la serveuse arrive et demande qui est Philippe. "Vos amis viennent d'appeler. Ils sont en route, mais vous font dire que ça prendra du temps". OK, envoyez le Coca à gogo (on vous sert un verre, puis deux, puis une carafe..., pour le même prix), le jus d'orange, les hash browns (pommes de terre râpées et poêlées), les œufs au plat, les saucisses, les toasts, et on verra après.

Richard et Pat finissent par arriver. Retrouvailles, je n'ai pas vu Richard depuis trop longtemps. Nous devons aller à Idyllwild récupérer mes colis, mais nous craignons que la poste ne soit fermée le samedi. Mais nous embarquons aussi Alaska et Gourmet qui vont prendre un zero day là-bas. Idyllwild est une adorable petite ville de montagne au milieu des sapins, un délice, très style Lake Tahoe. Je fais mes adieux (?) à Alaska et Gourmet qui reprendront le chemin dès demain, ou lundi au plus tard. Je pense pour ma part avant tout à récupérer, plus longtemps sans doute. Je suis à l'agonie.
Coup de bol, la poste est fermée, mais un panneau indique qu'on peut néanmoins retirer les colis dans... 3 minutes!

Et c'est la redescente vers la fournaise de Palm Springs, en passant par un incroyable désert pierreux qui me fait penser aux images de Mars. Arrivé chez Pat et Richard, pas de surprise. Je me déshabille, direction la douche. Lessive, et mise à jour du blog.
En fin de journée, nous partons dîner dans un restaurant mexicain très agréable, avec leur ami Randy. Il doit faire encore 40°. Choc incroyable: ce matin, il y a quelques heures à peine, j'étais en train de tirer la langue dans le désert et je me trouve à table dans un superbe restaurant à déguster de la cuisine mexicaine, et les conversations que j'aime tant, dans ce pays que j'aime tant.

Ce matin, je pensais vraiment abandonner. Le Paradise Café m'a ragaillardi. Savoir que j'avais pu maintenir le même rythme que mes compagnons aussi. En fait, parmi ceux qui ont démarré le même jour que moi, certains ont déjà abandonné, et je les comprends, certains sont encore derrière (Running Wolf, Drew, Hot Wing, Penn-J), mais les plus rapides ne sont qu'à une journée devant moi.
Objectivement, je trouve cette marche pour le moment plutôt infernale. Mais d'un autre côté, je vis quelque chose d'extraordinaire, notamment sur le plan des relations humaines. De fait, ce soir, j'ai envie de dire que je reviens en troisième semaine, mais il va falloir que je retrouve mes esprits. Ce début de Pacific Crest Trail me laisse sonné, K.O. debout. C'est violent, brutal. Je n'ai jamais fait de randonnée aussi dure. Mais ce serait dommage de déjà renoncer.
Alaska m'avait suggéré de prendre le téléphérique qui monte de Palm Springs vers Mount San Jacinto. Mais Pat vient de m'annoncer qu'il culpabiliserait et qu'il me reconduira exactement là où ils nous ont récupéré...


Gourmet, voyons où nous sommes...

Lézard à cornes.


Alaska - Paradise Café, le bien nommé.






7 commentaires:

  1. La seule raison que tu aies d'abandonner est un problème physique grave qui t'empêche d'avancer. Toutes tes considérations philosophiques, on s'en fout. Elles occupent ta tête pendant que tu galères dans ce merdier, elles occupent ton blog qui te sert de psy - merci le blog - et tu es seul à pouvoir répondre à la question - "que suis-je venu chercher sur le PCT ?" Question-réponse à partager avec Riri, Fifi, Loulou et les autres. Que feras-tu en dehors d'une dépression si tu rentres maintenant ? Qu'en dis le psy des hikers tarés ? Repose toi, mange, bois et repars.
    anne marie, celle qui peut bosser sans dormir...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Voilà qui s'appel un remontage de brettelle, maintenant tu y vas, tu reprends ton sac ton appareil photo et en route; moi je veux savoir comment c'est après Ydelwild je sais quoi et puis tu as trop parlé, tu as trop rêvé, tu nous as fait trop rêvé. Tu ne t'arrêtes pas y a encore 4000 km a faire, un broutille
      Jean-françois qui rêve de te suivre dans un an

      Supprimer
    2. Les femmes sont formidables! Elles sont capables de te donner un coup de pied au cul à 10000 kms de distance. Je crois que maintenant tu n'as plus le choix (à moins de perdre une jambe au moins), et pas question de se plaindre n'est-ce pas! Plus d'états d'âme, il suffit juste de mettre un pied devant l'autre.
      Je ne sais pas non plus ce que tu es venu chercher sur le PCT mais je sais ce que tu vas y trouver: les plus beaux souvenirs qui hanteront tous les jours ta mémoire. C'est mon cas et je ne suis pas le seul (n'est-ce pas Stéphane).

      Bien amicalement.

      Jean-Michel Villard

      Supprimer
    3. "Les femmes sont formidables"... Euh, oui, elle s'appelle Anne-Marie, c'est un sacré personnage, elle est sans aucun doute beaucoup plus cinglée que moi. Les femmes sont aussi beaucoup plus fortes que nous.
      Merci de ton soutien, Jean-Michel.

      Supprimer
  2. COURAGE !!!! je vois que tu serres les dents, je suis fier de toi!! C'est rassurant de voir que tu es en compagnie de mecs aussi "cinglés" que toi !!!
    Ce matin, je suis allé voté, et au lieu de voter Mélanchon, j'ai voté pour toi !!! hihihihihjiihihhhihi !!! je t'embrasse fort ainsi que Rosalie.
    Roger.

    RépondreSupprimer
  3. Ah ben c'est pas possible d'arrêter là, hein... et la suite de notre feuilleton alors !! c'est comme "The truman show", le public veut sa part de souffrance, de soleil et de dépaysement... et l'attaque du puma et la rencontre avec la belle blonde...Rhhho encore encore..
    Blague mise à part bon savourage de couette et d'oreillers, de remontage de moral..
    Et d'après les photos faire le PCT , c'est encore mieux que Duncan pour la ligne !!!
    Audrey

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ma chère Audrey,
      Juste quelques remarques concernant le régime Duncan, version PCT.
      Mécaniquement, la perte de calories ne peut pas être compensée par l'alimentation, surtout la purée en poudre! Et l'organisme, qui fait la gueule, commence par bouloter les muscles (sauf les jambes, dont il a un peu besoin), un phénomène que les médecins appellent le catabolisme.
      Cela dit, Ron estimait qu'il perdait 500g par jour sur le PCT. Et j'ai déjà largement perdu une taille de pantalon.
      Mais le corps se venge quand on arrête: il pense qu'on a essayé de l'affamer (il n'a pas vraiment tort, d'ailleurs) et il refait des réserves dès qu'on cesse de jouer à Koh Lanta.

      Supprimer