Dénivelé entre Campo et Mount Laguna: 1674
mètres
Nuit blanche totale à Mt Laguna Lodge. Mon
cerveau est devenu une sorte de flipper dans lequel s’entrechoquent toutes
sortes d’informations sur le PCT. Je suis tout, sauf détendu, mentalement
parlant. Il semblerait d’ailleurs que j’aie perdu le peu de sommeil dont je
disposais encore, à mon âge avancé. C’est fatigant, mais je m’efforce de rester
serein. Il faut dire que je loge dans un petit bungalow au milieu des arbres (les
écureuils gris s’en donnent à cœur joie sous mes fenêtres) et le chauffage est
assuré par une soufflerie d’air chaud intermittente: tous les quarts d’heure,
un chasseur F16 décolle de ma chambre. Un fluide bizarre coule de sous l'ongle noir de mon gros orteil. Promis, je ne ferai pas de photo.
Les dernières nouvelles sur le front de la
météo ne sont pas bonnes. Du tout. Je viens d’acheter un bonnet chaud; c’est
bizarre, comme idée, dans le sud californien. On annonce une tempête sévère
pour aujourd'hui vendredi, et peut-être jusqu’à samedi inclus. Vent à 100 km/h. Alerte de tempête hivernale sur toutes les chaînes télé. Clairement,
il vaut mieux rester ici un jour de plus. On pourrait même dire que je suis bloqué ici. C’est aussi la décision prise par
Alaska. Hot Wing vient d’arriver hier, à 15 h 30, alors que nous étions partis
ensemble de Lake Morena. Et, ajouterai-je avec une certaine perfidie, Hot Wing
a déjà fait l’Appalachian Trail et est bien plus jeune que moi. Na na nère…
Question de perspective, en fait. On pourrait aussi dire tout bêtement qu’il a
été moins bourrin que moi. Il était tout de même surpris de ne pas avoir pu me
rattraper avant-hier.
Le
patron du motel, John, me parle d’un randonneur, arrivé en catastrophe au
lodge, plutôt paniqué. À quelques miles d’ici, là où je suis passé avant-hier,
il est tombé presque nez à nez avec un puma, perché sur un rocher. Il a essayé
de l’effrayer en gesticulant et en criant, et le puma a sauté du rocher dans
les fourrés, où il ne pouvait plus le voir! Du coup, paniqué à l’idée de monter
sa tente dans ce secteur, il a poussé jusqu’à Mount Laguna.
J’étudie ce qui m’attend pour les cinq à
six jours à venir. Plutôt effrayant, maintenant que j’ai le nez dans le guidon,
ou dans le caca, diraient certains. Nous devons quitter les Laguna Mountains
dans la tempête, puis descendre dans le désert d’Anza-Borrego. Là, les choses
sérieuses vont commencer, mais j’ai de bonnes raisons de penser qu’elles ont
commencé au monument de Campo. Ça va peut-être devenir pire encore, néanmoins.
Dans les jours à venir, l’approvisionnement
en eau va devenir une question de survie. Les topos sont pleins d’avertissements:
“Alerte, pas d’eau sur… 50 kilomètres”!! (Vous imaginez le poids d’eau à
porter? Lundi, j’ai bu quatre litres en 15 kilomètres.)
Et quand ils signalent des points d’eau,
c’est toujours aléatoire (bon, et qu’est-ce que je fais s’il n’y a pas d’eau?)
ou… euh, peu engageant. Voici le commentaire de Scott Williamson à propos d’un
des points d’eau possibles, à Rodriguez Spur: “En juin 2009, il y avait
beaucoup de souris et de lézards morts dedans. L’eau avait un goût HORRIBLE. Faites
travailler votre imagination, pensez “cadavres de souris”. En plus, le niveau
d’eau dans la citerne était très bas. Un usage irresponsable de l’eau en
laissant le couvercle ouvert a BOUSILLÉ cette source d’eau. Si vous buvez dans
ce réservoir, gardez à l’esprit que les cadavres de reptiles peuvent apporter
des salmonelles. Je vous conseille de traiter l’eau!”
Il y a tout de même quelque chose
d’angoissant à se dire que je vais m’engager dans un parcours sans réel
échappatoire, où l’eau est une denrée très, très rare, dans un désert qui
devrait être torride, ou glacé, c’est selon. Grand Dieu, mais pourquoi donc me
suis-je mis dans un truc pareil?
Un des paradoxes du PCT est que tout le
monde vous dit de prendre votre temps, mais c’est en réalité impossible.
Au-delà de la trame générale imposée par le rythme des saisons, qui impose de
parvenir au Canada avant l’hiver très précoce dans les Cascades, d’autres
paramètres entrent en jeu, comme dans l’étape que je viens péniblement
d’accomplir. Mais il y a avant tout la question de l’eau. Vous auriez envie de
flâner, vous, dans un désert dans lequel il n’y a pratiquement pas d’eau et où vous devez boire du jus de cadavre de souris? Vous êtes contraints de viser les
destinations où vous pouvez raisonnablement espérer trouver de l’eau, ou celles
où vous aurez encore suffisamment d’eau pour camper sans vous ratatiner comme
un raisin de Corinthe.
Le désert d’Anza-Borrego porte le nom de
Juan Bautista de Anza, conquistador espagnol, qui a exploré pour la première
fois cette région en 1772, avec une vingtaine de soldats, à la recherche d’un
itinéraire entre le Mexique et San Francisco. Eux aussi, ça a dû leur faire
drôle…
La prochaine “étape”, la poste de Warner
Springs, est à 106 kilomètres d’ici. Une bonne centaine de kilomètres
supplémentaires me conduiront au prochain hôtel, à Idyllwild. À vrai dire, je devrais
pourrais parvenir à Idyllwild le 21 avril. D’ici là, aucune possibilité de
mettre à jour le blog. Ce sera donc silence radio total, comme si j’étais passé
derrière la face cachée de la lune, pendant une dizaine de jours. Ça va vous
faire des vacances, vu mon effarante prolixité… Seuls pourront parvenir à ma
famille les points GPS que j’enverrai tous les trois jours, en gros, à l’aide
de la balise de secours.
Une pensée, plus que jamais d’actualité,
adressée notamment à ceux qui n’avaient pas lu le blog avant mon départ: Scott
Williamson a parcouru le PCT quatorze fois (!) à ce jour, dont plusieurs
“yo-yo”, c’est-à-dire arriver au Canada, et repartir aussitôt vers le Mexique,
en une seule saison. Une bagatelle de 8600 km. En octobre dernier, il a battu
le record de vitesse sur le Pacific Crest Trail en 64 jours. Après avoir lu mes
premières… impressions du parcours, vous prenez conscience de l’extraordinaire,
surréaliste, stupéfiante performance sportive? Et c’est le genre de type dont vous
n’entendez jamais parler, en-dehors du monde très fermé des thru-hikers, pour
qui il est légitimement un dieu vivant. Vous ne croyez pas que ça vaut
largement les performances d’athlètes olympiques ou la traversée de l’Atlantique
à la rame? Scott, il a parcouru une moyenne de 67 kilomètres par jour, en
montagne, dans les conditions que je vous décris, pendant 64 jours. Et ça ne
lui rapporte pas un kopek. Presque deux marathons par jour…
J'espère que vous mesurerez à sa juste valeur les efforts faits pour vous envoyer des nouvelles. Pour me connecter au réseau wi-fi du lodge, je dois m'asseoir sous le porche, à l'extérieur! Et il fait un froid polaire. Je tremble presque autant qu'avant-hier soir.
Au camp de base que constitue la boutique, avec son café gratuit à volonté, viennent d'arriver Alaska, Hot Wing et Running Wolf. Ils restent tous jusqu'à samedi matin. Je suis donc dans les clous, même si je me sens bloqué ici. La tempête est plutôt exceptionnelle et personne ne bouge. Ils sont tous les trois un peu effarés que je sois arrivé de Lake Morena à Mount Laguna en une seule journée. Je savais que j'étais un bourrin... Running Wolf me dit que c'est le genre de mileage que nous ferons quotidiennement, mais... dans un mois.
La phrase du jour:
Running Wolf, à propos de ma journée de folie: "Wow, that was kick-ass, man!!"
Très difficile à traduire... P...! Tu t'es botté le cul, mec!!
Au camp de base que constitue la boutique, avec son café gratuit à volonté, viennent d'arriver Alaska, Hot Wing et Running Wolf. Ils restent tous jusqu'à samedi matin. Je suis donc dans les clous, même si je me sens bloqué ici. La tempête est plutôt exceptionnelle et personne ne bouge. Ils sont tous les trois un peu effarés que je sois arrivé de Lake Morena à Mount Laguna en une seule journée. Je savais que j'étais un bourrin... Running Wolf me dit que c'est le genre de mileage que nous ferons quotidiennement, mais... dans un mois.
La phrase du jour:
Running Wolf, à propos de ma journée de folie: "Wow, that was kick-ass, man!!"
Très difficile à traduire... P...! Tu t'es botté le cul, mec!!
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