dimanche 22 avril 2012

19 avril Mike Herrera's - mile 127

23 km parcourus aujourd'hui.

Je progresse: j'ai un peu dormi cette nuit (quel formidable plaisir!) et j'ai également réussi à lever le camp pour démarrer à 6 heures 50. La journée s'annonce chaude (quelle surprise!) et je sais qu'il faut faire l'ascension d'un, ou plusieurs, versants de montagne exposés au redoutable soleil (Cleveland National Forest). Mais au début, nous longeons un torrent, une denrée rare dans ces contrées (À Warner Springs, et pour cause, il y a des sources chaudes). Ce torrent est à traverser cinq fois. Mais à la cinquième fois, il ne faut pas oublier de faire le plein avant d'attaquer les choses sérieuses.
Je rencontre deux hikers. L'un d'eux s'avère être Rees Hughes, l'éditeur du recueil de récits sur le PCT dont j'ai traduit quelques passages dans ce blog. Il me donne son adresse afin que je lui envoie un récit et des photos. Avec mon aventure de Mount Laguna, il ne devrait pas être déçu.
Au moment où je fais le plein des bidons, je vois débarquer avec grand plaisir Alaska. Il campait apparemment à 200 mètres de moi. Nous continuons la rude ascension ensemble, et nous garderons toujours un contact visuel.
Il fait de plus en plus chaud, l'air devient pâteux. Le stress est toujours le même: comment avancer assez vite sous cette canicule étouffante, comment gérer une quantité d'eau limitée? Boire, mais ne pas dilapider les réserves très limitées.
Lors d'une pause, je bavarde avec Alaska, qui m'explique qu'il est cameraman en hiver pour des séries télévisées, et notamment ce programme, sur Discovery Channel, qui s'appelle "Deadliest Catch", où l'on suit les pêcheurs de crabes au large de l'Alaska. Le titre français m'échappe. En été, il change d'uniforme et devient infirmier pour le secours en montagne. Il est en particulier spécialisé dans les plongées sympathiques, celles dont l'objet est de récupérer les cadavres dans diverses épaves.
La montée est, comme d'hab, interminable et épuisante. À 10 miles, mon outre est vide. C'est officiel, je consomme 4 litres pour 10 miles. Un litre pour tenir quatre kilomètres. Allez, on rationne, et on essaie d'avancer. L'objectif du jour est de parvenir chez Mike Herrera, dans la Vallée de Chihuahua. Mike est un trail angel qui accueille les randonneurs cinglés, mais pas vraiment à la façon de Donna, à Agua Dulce. La maison improbable de Mike, perchée dans le désert à flanc de colline, est un enchevêtrement assez classique de détritus divers, de tôles rouillées, avec un énorme camping-car sur cales (celui de Breaking Bad!!), bref, un bordel innommable.
L'an dernier, Mike avait invité chez lui toute une bande de zozos déjantés — alcoolos, camés, marginaux de tout poil — et une soirée où se trouvaient quelques hikers avait fini en bagarre générale à coups de battes de base-ball. Cette année, la rumeur court que Mike a remis de l'ordre. Non, pas dans sa propriété, non, non. Dans ses fréquentations. En fait de fréquentations, il n'y en a plus guère. Lorsque nous arrivons avec Alaska, sous le soleil de plomb, au bout d'une piste de terre éblouissante, tout est à l'abandon, cadenassé. À l'entrée de la propriété, une citerne sur laquelle il est indiqué qu'on peut prendre de l'eau (toujours cette obsession et nécessité vitale), mais qu'il faut la traiter.
Dans la propriété, nous trouvons une sorte de hangar en bois dans lequel il y a quatre lits de camp fatigués. À l'ombre! Les souris font déjà la fête de notre arrivée. T'inquiète, doivent-elles se dire — ajoute Alaska — il vont bientôt s'endormir!

Je suis H. S., épuisé, courbatu des pieds à la tête. Pour l'heure, repos, si c'est possible. Je jette un coup d'œil dans le Winnebago, une demi épave, et y trouve une canette de Coca qu'Alaska et moi partageons goulûment. Tiède, bien sûr. Demain, l'objectif est d'atteindre Nance Canyon, à 15 miles, une étape aussi longue qu'aujourd'hui. Ça va être rude, je suis fracassé.
Samedi, il restera 10 miles pour parvenir à Paradise Valley Café dont le Jose Burger monstrueux est universellement réputé dans le petit milieu des thru-hikers, et les fait saliver des semaines à l'avance. La nourriture est déjà devenue une obsession. Je n'ai plus de réchaud, mes repas consistent à ouvrir un sachet lyophilisé et à y verser de l'eau froide. Samedi, ce sera aussi le moment de contacter Richard et Pat pour qu'ils viennent me récupérer. Je suis déjà une épave, j'ai besoin de repos à Palm Springs. S'il vous plaît, préparez la glace, les boissons très fraîches. Laissez tomber pour les filles en bikini, je m'en fous un peu, en ce moment.

En fin d'après-midi débarquent deux randonneurs, des vieux, comme moi. Nimble Foot (pied agile!!), un bon 75 ans, et Ron (Sierra Guy), 65 ans (?). Un grand et joyeux moment de conversation spirituelle, au milieu du ram-dam des souris. Un régal. Un moment comme je les adore. Ils ont en projet de venir sur le sentier de Saint Jacques de Compostelle. Je les invite et leur donne mon adresse. Je suis en passe de devenir trail angel sur le Camino. Et comme beaucoup d'entre eux viennent de voir le film "The Way", qui en décrit le parcours, je risque d'avoir de plus en plus de clients.
Ron fait des tronçons du PCT et, comme il me le fait remarquer assez judicieusement: "Why bother? The trail isn't going anywhere!" Pourquoi s'emmerder? Le sentier ne va pas bouger! Ouaip, ça donne à réfléchir, quand on est plongé jusqu'au cou dans ce truc de tarés graves.
À Warner Springs, ajoute Ron, ils ont ouvert un centre d'accueil pour hikers. L'institutrice en profite pour y emmener ses élèves, afin qu'ils posent des questions sur le Pacific Crest Trail. Et il ajoute: "S'ils nous demandent pourquoi on fait ça, on leur donnera l'adresse mail de Philippe! C'est lui qui fait des études philosophiques sur cette question!"...

Vu l'agitation croissante de souris qui se préparent à l'attaque, nous allons dormir à la belle étoile, ce qu'on appelle ici "cowboy camping" (traduction inutile, j'imagine?). Je finis par décider de dormir dans le camping-car de Jesse.

Les phrases du jour (ce fut un festival!): 
• Alaska:
"Just some more climbing, then it levels out, and it's downhill."
Encore un peu de montée, puis ça s'aplanit, et c'est en descente.
(Eh, Alaska! Tu te fous de ma gueule? Tu l'as vue où, la descente??)

• Ron (Sierra Guy), une bonne soixantaine d'années:
"Why am I doing this? Well, I saw some cute girls on Facebook doing this, I thought I would do it to meet them!"
Pourquoi je fais ça? Eh bien, j'ai vu des filles super mignonnes sur Facebook qui le faisaient, je me suis dit que j'allais le faire aussi pour en rencontrer!

• Nimble Foot:
"You were raised a Catholic? Then you understand now that need to punish yourself!"
T'as été élevé dans le catholicisme? Alors tu comprends maintenant ce besoin de se punir soi-même!

• Nimble Foot:
"I told my son: if you ever hear me talking about hiking again for over 500 miles, just shoot me!"
J'ai dit à mon fils de m'abattre s'il m'entendait à nouveau parler de faire une randonnée de plus de 800 km!

Manzanita.

Rees et Harvey.

Luke.

Alaska, on refait le plein - Agua Caliente Creek.


Alaska.











La fureur de vivre, suite.


Nimble Foot chez  Mike Herrera.

Ron (Sierra Guy).

Nimble Foot.

Alaska chez les souris.

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