mercredi 4 avril 2012

Roadbook


Je n'en suis toujours pas aux serpents à sonnette. Ici, à Long Beach, la faune locale est pourtant plutôt exotique: perroquets que j'entends s'engueuler dans le jardin, oiseaux-mouches, putois, ratons laveurs... Le ciel, lui, est bloqué sur bleu, pas moyen de changer la couleur. Je précise que pour vous, Long Beach et Los Angeles, ça doit être bonnet blanc et blanc bonnet. Oui et non. Long Beach est bien une des villes qui constituent ce gigantesque et monstrueux furoncle sur la côte californienne que nous appelons Los Angeles. Mais justement, l'échelle est telle (Los Angeles au sens large doit bien faire 200 km de long) qu'à Long Beach — le port le plus important des États-Unis —, il doit falloir une bonne raison pour prendre la 405 et décider de monter vers Los Angeles. De même, Geoff qui habite à Hollywood nous paraît être sur la lune. Et pour notre dîner ensemble de cette semaine, Rob et moi envisageons de faire un beau geste et de lui proposer d'aller le rejoindre dans le grand nord. Il faut savoir que Geoff est le seul habitant de la mégalopole qui n'a pas de voiture! Et sans voiture ici, vous vous compliquez très, très gravement la vie. Le moindre déplacement dans l'agglomération vous conduit sur la 405 et c'est tout de suite vertigineux.

Entre Long Beach, où je suis actuellement, et le bas de l'image, il y a une trentaine de kilomètres.
Geoff est à Hollywood, dans le nord, au-dessus de Beverly Hills. Loin, loin, loin...



Un aperçu des problèmes de logistique dans lesquels je me débats. Prenez deux comprimés d'Ibuprofène, la vitamine I, comme l'appellent les hikers, vu l'usage immodéré qu'ils en font. La première étape doit me conduire de Campo à Mount Laguna. Au rythme que j'ai déterminé à l'avance, pas trop rapide au début, histoire de ne pas se carboniser d'entrée de jeu, le logiciel de Craig me dit qu'il me faudra 3,2 jours. Bien. Je dois donc emporter trois jours de nourriture, voire un peu plus. Dans la Bounce Box, il y aura avant tout les cartes et les infos des étapes suivantes. Inenvisageable de porter tout ça, c'est un véritable dictionnaire. Mais il y aura aussi des médicaments, des câbles divers pour recharger, par exemple, la batterie solaire plus rapidement, un disque dur pour stocker les photos, le lecteur de carte mémoire, les étiquettes pour les futurs colis de ravitaillement, ce genre de fatras. Aurai-je besoin de la BB (dorénavant, je l'appellerai comme ça) à Mount Laguna? Disons que oui. Je vais donc l'envoyer à Mt Laguna, qui se trouve — soit dit en passant — en montagne. Je serai dans le désert sur les premiers 1200 kilomètres, mais à trois jours  seulement du départ, je serai très certainement dans la neige. Vous avez prévu crampons et piolet dans l'équipement du désert? Ce serait plus prudent.
J'envoie aussi, bien sûr, un premier colis de ravitaillement à Mt Laguna. Là, bonne nouvelle, il y a un hôtel qui accepte de recevoir ces colis. Ça tombe bien, parce que je ne serai pas tributaire des parfois étranges horaires d'ouverture d'un minuscule bureau de poste américain, et obligé d'attendre le lendemain matin si j'arrive trop tard.
À Mount Laguna, j'utilise ce dont j'ai besoin dans le ou la BB, puis je remballe et je l'expédie à la destination suivante. Oui, mais où, justement? L'étape suivante, c'est Warner Springs, à un peu plus de quatre jours de marche de là. Warner Springs était particulièrement apprécié parce que, comme son nom l'indique, il y a des sources... chaudes. Et il y avait un motel, doté d'une très agréable piscine d'eau chaude. Après 7 jours de marche dans le désert, une journée de farniente dans la piscine. Oui, mais non. Le motel de Warner Springs a récemment été vendu à la tribu des Indiens Pala, qui l'ont fermé. Ils doivent songer à y construire un casino, beaucoup plus lucratif, comme l'ont compris nombre de tribus. Damned! Plus de piscine, plus de nuit de repos dans le motel, plus de douche. Plus de BB, parce qu'à Warner Springs, il ne reste plus QUE le bureau de poste. C'est tout. Absolument tout. Quel intérêt, alors, d'y récupérer le BB si je n'ai pas le temps de m'en servir, ni de prise de courant pour recharger ma centrale nucléaire?
OK, je laisse tomber concernant le BB à Warner Springs. Où est la destination suivante? Oups, c'est la petite "ville" d'Idyllwild, à plus de quatre jours de marche. Je pose deux, je retiens cinq, entre Mt Laguna et Idyllwild, je n'aurai pas l'usage du BB pendant neuf jours. C'est beaucoup pour tout ce qui est électrique. Pour recharger la batterie de l'appareil photo, par exemple, ce que je ne pourrai faire avec le solaire. Et il faut espérer que je n'aurai besoin de rien d'autre qui soit dans le bidon. De Mount Laguna, le BB partira directement vers le bureau de poste d'Idyllwild, où il faudra que je le récupère à l'heure. Concernant le ravitaillement, je dois donc disposer dans mon sac de provisions pour trois jours en direction de Mt Laguna, expédier un colis de cinq jours pour Warner Springs, un de quatre pour Idyllwild, un colis de six jours (ouïe, ce sera lourd à porter ensuite!) pour Big Bear City.
Mais il peut y avoir d'autres considérations: je vais aussi préparer un colis de six jours qui partira à Agua Dulce, parce que la poste n'aurait pas assez de temps entre deux de mes étapes pour l'y livrer. il vaut mieux le prévoir dès le départ. Vous imaginez le résultat? Un colis? Non, désolé, nous n'avons rien pour vous. Revenez voir demain, ou après-demain.

Comme vous le voyez, il faut sortir de Polytechnique pour réfléchir à tout ça sans (trop) commettre d'erreurs. Comme je n'en sors pas, je m'attends à de grossières bévues. Je suis déjà en train de gribouiller le planning que j'avais préparé en France. Et je ne m'occupe pour l'heure que des premières étapes! Ce qui est agaçant, c'est de se dire, à chaque nouvelle "lecture": Ah zut, non, ça ne colle pas. Faut modifier ça...


Le post-scriptum qui a à voir: on vient de retrouver un randonneur de 75 ans qui avait disparu sur le Pacific Crest Trail, dans le sud de la Californie, depuis... une semaine. Vivant et en bonne forme. Il s'était égaré. Pas un illuminé parti une marguerite sur l'oreille, non. Un hiker compétent, bien organisé, ce qui lui a d'ailleurs sauvé la vie. Mais il y a tout de même quelque chose de vertigineux dans cette nouvelle. Un randonneur sachant randonner a quand même pu se perdre au point d'errer pendant une semaine sans retrouver une route... Allo, Halfmile? Je TIENS à vérifier que mon GPS est bien réglé et fonctionne correctement. Une idée, comme ça...

Un autre post-scriptum qui a à voir: Seth et Kristin sont inscrits comme membres  de ce fantastique blog. Ils ont démarré leur parcours le 1er avril. Le premier jour, donc, ils ont été attaqués par un essaim d'abeilles, histoire de les mettre en condition. Et, euh..., comment dire, ils se caillent grave dans le désert, pour le moment. Il gèle la nuit et leur tente se couvre de glace. Il se pourrait que ma doudoune rentre en grâce et retrouve une place — je ne sais pas bien où — dans le sac. Une idée, comme ça...





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