Le relais wi-fi, où je me trouve, est trop faible pour mettre les photos. Je les ajouterai quand je pourrai...
Un toast pour le cinglé. |
Il m’aura fallu deux heures. Deux heures
pour me rendre à l’évidence que j’étais un âne. Bon, d’accord, deux heures,
c’est un peu long comme introspection, dans la mesure où c’est tout de même une
évidence. Un âne, parce que mon sac est vraiment trop lourd et que ce n’est pas
gérable comme ça. Je le savais, mais j’ai fait semblant de penser que j’avais
encore 25 ans. Et encore, à 25 ans, ça m’aurait cassé quand même.
Mais d’abord, retour sur les événements de
ce jour tout de même extraordinaire.
Rob et moi sommes arrivés au monument,
devant la clôture qui marque la frontière avec le Mexique, vers 7 h 15. Il y
avait déjà plusieurs randonneurs, accompagnés par Barney Mann (trail name
Scout). Barney est un trail angel de San Diego qui récupère la plupart des
hikers qui arrivent là-bas, les loge, et les conduit tous les jours au
monument, à Campo. À mon avis, deux bonnes heures de route aller-retour.
Heureusement que Barney est retraité, si j’ose dire, avec un cynisme simulé…
Inutile de cacher que j’étais un peu
stressé et contrarié, aussi, parce que je venais de sortir mon sac de la
voiture de Rob et j’ai vite compris qu’il y aurait comme un problème, avec les
six kilos d’eau et quatre kilos de nourriture. Un p’tit supplément de dix
kilos.
Il faisait un temps magnifique, mais peu
avant notre arrivée à Campo, avant que le soleil ne se lève, il ne faisait que 1
ou 2°. Mais on est bien dans le désert, et dès que le soleil est sorti, pendant
que je signais le registre, et qu’on faisait les présentations officielles,
États-Unis obligent, la température a commencé à grimper en flèche, un peu trop
vite à mon goût. C’était vaguement inquiétant.
Les autres randonneurs, aussi émus que moi:
Justin, Southern — un garçon barbu aux yeux bleus et au visage rieur —, Alaska,
un couple — Bone Lady et Swiss Cheese (leurs trail names, c’est quelque chose.
Je reviendrai plus tard sur ce dont ils me menacent déjà) —et deux hommes…
d’âge mûr, dirons-nous, dans mon style, quoi.
Tout le monde fait ses adieux et s’égaye rapidement
en direction du sentier. Campo est en contrebas et visiblement, nous avons tous
hâte d’aller voir comment ça se passe, et de tenter de gagner du terrain avant
la chaleur. Après avoir dit au revoir à Rob, un moment émouvant, je pars. Très
vite, je me retrouve avec Southern, une vingtaine d’années, originaire du
Tennessee, qui a déjà parcouru l’Appalachian Trail en 2010, et vise la triple
couronne. C’est la première fois qu’il vient en Californie, et il arbore une
jupe écossaise rouge tout à fait ravissante. Oui, oui, la jupe fait partie de
la tenue de certains hikers: plus léger, ventilé,…
Southern au 1er mile. |
Nous passons Campo, et peu après, Southern part en avant. La végétation est plutôt luxuriante,
contrairement à l’image qu’on s’en forme. Visiblement, il doit rester des
traces d’humidité et les plantes en profitent. Ça ne va pas durer. La
température monte très vite, au milieu du chaparral, que nous qualifierions
probablement de garrigue. Une garrigue tout de même assez exotique, avec de nombreux
cactus et yuccas de tous types, et des parfums de thym et de romarin.
Des "hikers" mexicains sont passés par là... |
Frontière mexicaine. |
Et là, les choses commencent à se gâter
légèrement. La température devient vraiment pénible et le poids du sac aussi.
C’est sûr, il va falloir procéder à des ajustements drastiques si je veux
continuer. Et puis, c’est clair, toutes les séances de tapis roulant du monde
ne sauraient remplacer la randonnée avec un sac lourd dans des conditions aussi
difficiles. D’un autre côté, sans l’entraînement en salle de sport, je
n’écrirais pas ce journal: je serais mort entre Campo et Lake Morena.
L’expérience est bien intransmissible, je
le confirme: j’avais bien lu toutes les informations sur le PCT, bien écouté
(?) tous les conseils, lu les avertissements de Halfmile concernant cette
première rude étape. “Vous ne parviendrez pas à Lake Morena si: 1. Votre sac
est trop lourd (ok, je coche), 2. Si vous n’êtes pas assez en forme (bon, je
coche aussi), 3. Si vous manquez d’eau (ah oui, je coche)”. Eh ben, j’avais la
grille complète, le jackpot.
Tout en marchant, je réfléchis déjà à ce
que je vais renvoyer chez Rob à la prochaine poste. Un peu plus loin, dans un
désert calciné, au propre et au figuré, je tombe sur un randonneur allongé à
l’ombre de son ombrelle en Mylar, la tête sur son sac. Il ne semble pas en
grande forme, lui non plus. Il n’est pas tout jeune, lui non plus. Drew arbore
un embonpoint certain, pas un certain embonpoint. Il vient de prendre sa
retraite et a décidé de partir sur le Pacific Crest Trail, alors qu’il n’a, en
tout et pour tout, randonné que 4 jours au cours de sa vie. J’aime bien les
dingues, je l’ai déjà dit. En plus, Drew est originaire de Reno, que j’adore,
et où se trouvent plusieurs de mes amis. Je laisse Drew se reposer, mais nous
jouerons au chat et à la souris, parce que j’en arrive moi aussi à faire de
nombreuses pauses, sous un soleil brûlant. Coups d’œil au GPS, les miles ne
défilent pas très vite. Ce qui défile très vite, en revanche, c’est l’eau, et
je commence à m’inquiéter. Je n’en suis pas encore à la moitié du parcours,
mais j’ai déjà vidé plus de la moitié de ma réserve. Et la gorge se déssèche
presque instantanément. On commence le rationnement. Visiblement, ça ne va pas
le faire, d’autant que je n’avance pas à cause de ce p… de sac. Je repense à
Warner Springs Monty dont la devise est
“le plaisir augmente quand le poids diminue”. Les photos de Monty tenant son
sac du bout du doigt avaient tendance à m’agacer, je suis en train de réviser
ma position.
Drew refait surface, un peu en titubant,
mais ça ressemble à ma propre démarche, alors... Il m’annonce qu’il va jeter
l’éponge pour aujourd’hui et renoncer à la descente, puis la redoutable
remontée, de Hauser Canyon. À la fin de l’étape, on descend dans un profond
canyon, pas encore tout à fait à sec, ce qui est une bonne nouvelle, avant de
devoir remonter une montagne de granit rose plutôt abrupte. Lake Morena se
niche derrière la montagne. Pour ma part, en arrivant en haut du canyon, je
suis inquiet pour l’eau. S’il n’y a pas d’eau dans Hauser Creek, je suis très
mal. Je vois un 4x4 des gardes frontière, omniprésents, tout comme leurs
hélicoptères qui tournoient sans cesse au-dessus de nous. Je vais à sa rencontre
pour lui demander s’il y a de l’eau dans le “torrent” (ou ruisseau, comme vous
voulez). Il me dit qu’il n’en reste presque plus et m’offre son eau, que nous
vidons dans ma gourde. Rassuré, je descends vers le canyon, en me demandant si
je vais avoir la force de remonter vers Lake Morena. J’ai de sérieux doutes. Mais
je rencontre Southern, Alaska, et Justin qui sont installés près du ruisseau,
sous un bosquet de cottonwood. L’affaire est entendue, je reste là pour la
nuit. C’est plus raisonnable.
Nous avons naturellement droit aux
histoires d’anciens combattants d’Alaska, qui avait entamé le PCT l’an dernier,
un peu trop tard. Arrivé dans le désert de Mojave, écrasé par une température
de près de 40°, il décide de planter la tente pour marcher la nuit. Il se lève
vers 21 h, il fait toujours plus de 35°. Il se recouche pour faire un nouveau
somme et repartir au milieu de la nuit. La température était toujours la même.
Il est rentré chez lui.
Hauser Canyon: Bone Lady, Swiss Cheese, Southern. |
Nous sommes en compagnie des grenouilles et
des moustiques, déjà, mais l’endroit est agréable, à l’ombre de ces grands
arbres caractéristiques de l’Ouest américain, qu’on appelle cottonwood. Et
Morena Butte, la montagne rose qui nous surplombe n’est pas très engageante
pour ce soir. On le regardera à nouveau demain…
J’ai en tout cas acquis un nouveau respect
pour les immigrants clandestins mexicains. Il faut avoir marché sur ce sentier très escarpé, brutal, sous un
soleil de feu, au milieu des buissons de poison oak, pour commencer à prendre la mesure du
désespoir qui doit les conduire à tout quitter, pays, amis, famille, pour
tenter leur chance dans un pays qui les pourchasse par tous les moyens,
hélicoptères, gardes frontière avec chiens, sans équipement particulier, et en
marchant de nuit sur des kilomètres en espérant ne pas être capturés et pouvoir
parvenir à se fondre dans la masse des grandes villes telles que Los Angeles.
La phrase du jour:
Lorsque j’ai demandé à Rob de m’excuser
pour le long trajet que je lui faisais faire jusqu’à la frontière mexicaine, il
a répondu: “On the globe, it is all
downhill. We’ll have gravity working for us”.
Sur le globe, c’est tout en descente. La
gravité va nous aider….
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