jeudi 12 avril 2012

9 avril Hauser Canyon


 Le relais wi-fi, où je me trouve, est trop faible pour mettre les photos. Je les ajouterai quand je pourrai...

Un toast pour le cinglé.



Il m’aura fallu deux heures. Deux heures pour me rendre à l’évidence que j’étais un âne. Bon, d’accord, deux heures, c’est un peu long comme introspection, dans la mesure où c’est tout de même une évidence. Un âne, parce que mon sac est vraiment trop lourd et que ce n’est pas gérable comme ça. Je le savais, mais j’ai fait semblant de penser que j’avais encore 25 ans. Et encore, à 25 ans, ça m’aurait cassé quand même.
Mais d’abord, retour sur les événements de ce jour tout de même extraordinaire.

Rob et moi sommes arrivés au monument, devant la clôture qui marque la frontière avec le Mexique, vers 7 h 15. Il y avait déjà plusieurs randonneurs, accompagnés par Barney Mann (trail name Scout). Barney est un trail angel de San Diego qui récupère la plupart des hikers qui arrivent là-bas, les loge, et les conduit tous les jours au monument, à Campo. À mon avis, deux bonnes heures de route aller-retour. Heureusement que Barney est retraité, si j’ose dire, avec un cynisme simulé…
Inutile de cacher que j’étais un peu stressé et contrarié, aussi, parce que je venais de sortir mon sac de la voiture de Rob et j’ai vite compris qu’il y aurait comme un problème, avec les six kilos d’eau et quatre kilos de nourriture. Un p’tit supplément de dix kilos.
Il faisait un temps magnifique, mais peu avant notre arrivée à Campo, avant que le soleil ne se lève, il ne faisait que 1 ou 2°. Mais on est bien dans le désert, et dès que le soleil est sorti, pendant que je signais le registre, et qu’on faisait les présentations officielles, États-Unis obligent, la température a commencé à grimper en flèche, un peu trop vite à mon goût. C’était vaguement inquiétant.



Les autres randonneurs, aussi émus que moi: Justin, Southern — un garçon barbu aux yeux bleus et au visage rieur —, Alaska, un couple — Bone Lady et Swiss Cheese (leurs trail names, c’est quelque chose. Je reviendrai plus tard sur ce dont ils me menacent déjà) —et deux hommes… d’âge mûr, dirons-nous, dans mon style, quoi.
Tout le monde fait ses adieux et s’égaye rapidement en direction du sentier. Campo est en contrebas et visiblement, nous avons tous hâte d’aller voir comment ça se passe, et de tenter de gagner du terrain avant la chaleur. Après avoir dit au revoir à Rob, un moment émouvant, je pars. Très vite, je me retrouve avec Southern, une vingtaine d’années, originaire du Tennessee, qui a déjà parcouru l’Appalachian Trail en 2010, et vise la triple couronne. C’est la première fois qu’il vient en Californie, et il arbore une jupe écossaise rouge tout à fait ravissante. Oui, oui, la jupe fait partie de la tenue de certains hikers: plus léger, ventilé,…


Southern au 1er mile.


Nous passons Campo, et peu après, Southern  part en avant. La végétation est plutôt luxuriante, contrairement à l’image qu’on s’en forme. Visiblement, il doit rester des traces d’humidité et les plantes en profitent. Ça ne va pas durer. La température monte très vite, au milieu du chaparral, que nous qualifierions probablement de garrigue. Une garrigue tout de même assez exotique, avec de nombreux cactus et yuccas de tous types, et des parfums de thym et de romarin.





Des "hikers" mexicains sont passés par là...


Frontière mexicaine.



Et là, les choses commencent à se gâter légèrement. La température devient vraiment pénible et le poids du sac aussi. C’est sûr, il va falloir procéder à des ajustements drastiques si je veux continuer. Et puis, c’est clair, toutes les séances de tapis roulant du monde ne sauraient remplacer la randonnée avec un sac lourd dans des conditions aussi difficiles. D’un autre côté, sans l’entraînement en salle de sport, je n’écrirais pas ce journal: je serais mort entre Campo et Lake Morena.
L’expérience est bien intransmissible, je le confirme: j’avais bien lu toutes les informations sur le PCT, bien écouté (?) tous les conseils, lu les avertissements de Halfmile concernant cette première rude étape. “Vous ne parviendrez pas à Lake Morena si: 1. Votre sac est trop lourd (ok, je coche), 2. Si vous n’êtes pas assez en forme (bon, je coche aussi), 3. Si vous manquez d’eau (ah oui, je coche)”. Eh ben, j’avais la grille complète, le jackpot.
Tout en marchant, je réfléchis déjà à ce que je vais renvoyer chez Rob à la prochaine poste. Un peu plus loin, dans un désert calciné, au propre et au figuré, je tombe sur un randonneur allongé à l’ombre de son ombrelle en Mylar, la tête sur son sac. Il ne semble pas en grande forme, lui non plus. Il n’est pas tout jeune, lui non plus. Drew arbore un embonpoint certain, pas un certain embonpoint. Il vient de prendre sa retraite et a décidé de partir sur le Pacific Crest Trail, alors qu’il n’a, en tout et pour tout, randonné que 4 jours au cours de sa vie. J’aime bien les dingues, je l’ai déjà dit. En plus, Drew est originaire de Reno, que j’adore, et où se trouvent plusieurs de mes amis. Je laisse Drew se reposer, mais nous jouerons au chat et à la souris, parce que j’en arrive moi aussi à faire de nombreuses pauses, sous un soleil brûlant. Coups d’œil au GPS, les miles ne défilent pas très vite. Ce qui défile très vite, en revanche, c’est l’eau, et je commence à m’inquiéter. Je n’en suis pas encore à la moitié du parcours, mais j’ai déjà vidé plus de la moitié de ma réserve. Et la gorge se déssèche presque instantanément. On commence le rationnement. Visiblement, ça ne va pas le faire, d’autant que je n’avance pas à cause de ce p… de sac. Je repense à Warner Springs Monty  dont la devise est “le plaisir augmente quand le poids diminue”. Les photos de Monty tenant son sac du bout du doigt avaient tendance à m’agacer, je suis en train de réviser ma position.


Le Pacific Crest Trail ne fait pas vraiment de cadeau. En guise d’introduction, on a droit à une entrée en matière plutôt brutale, agrémentée de fantaisies propres à ces régions. Je suis content d’être parvenu à identifier très vite les deux plantes vénéneuses principales, Poison Oak et Poodledog Bush. Il ne faut sous aucun prétexte les toucher, ni les effleurer, elles déposent aussitôt une huile extrêmement urticante, et bougrement résistante, qui peut vous envoyer à l’hôpital. Les éviter n’est pas si facile que ça, d’ailleurs, parce que le sentier est souvent envahi par la végétation, pas toujours amicale. Lors d’une pause, je m’assieds sur un rocher pour me soulager du poids du sac. Au bout d’un moment, je vois que sous le rocher, il y a un buisson de Poison Oak, une plante plutôt sournoise, protéiforme, dont la caractéristique principale est ses feuilles vernissées, et je pense que les dragonnes de mes bâtons ont été en contact. Que faire? Rien, je réfléchis quelques secondes, mais je n’ai pas le choix, je remets les dragonnes et on verra bien. Pour les pauses suivantes, je suis beaucoup plus attentif à la végétation environnante, mais c’est sans compter avec la faune. Non, pas les serpents à sonnette, les fourmis rouges. Mes pieds sont posés… sur une fourmilière et les fourmis ont vite fait d’attaquer en bon ordre en remontant le long de ma jambe. Et elles piquent, les bougresses. Je n’ai pas trop à me plaindre: Southern, que je retrouve plus tard, a été attaqué par des frelons devant le nid desquels nous sommes tous passés. Il a été piqué deux fois sous les yeux et une fois à la main.


Drew refait surface, un peu en titubant, mais ça ressemble à ma propre démarche, alors... Il m’annonce qu’il va jeter l’éponge pour aujourd’hui et renoncer à la descente, puis la redoutable remontée, de Hauser Canyon. À la fin de l’étape, on descend dans un profond canyon, pas encore tout à fait à sec, ce qui est une bonne nouvelle, avant de devoir remonter une montagne de granit rose plutôt abrupte. Lake Morena se niche derrière la montagne. Pour ma part, en arrivant en haut du canyon, je suis inquiet pour l’eau. S’il n’y a pas d’eau dans Hauser Creek, je suis très mal. Je vois un 4x4 des gardes frontière, omniprésents, tout comme leurs hélicoptères qui tournoient sans cesse au-dessus de nous. Je vais à sa rencontre pour lui demander s’il y a de l’eau dans le “torrent” (ou ruisseau, comme vous voulez). Il me dit qu’il n’en reste presque plus et m’offre son eau, que nous vidons dans ma gourde. Rassuré, je descends vers le canyon, en me demandant si je vais avoir la force de remonter vers Lake Morena. J’ai de sérieux doutes. Mais je rencontre Southern, Alaska, et Justin qui sont installés près du ruisseau, sous un bosquet de cottonwood. L’affaire est entendue, je reste là pour la nuit. C’est plus raisonnable.
Nous avons naturellement droit aux histoires d’anciens combattants d’Alaska, qui avait entamé le PCT l’an dernier, un peu trop tard. Arrivé dans le désert de Mojave, écrasé par une température de près de 40°, il décide de planter la tente pour marcher la nuit. Il se lève vers 21 h, il fait toujours plus de 35°. Il se recouche pour faire un nouveau somme et repartir au milieu de la nuit. La température était toujours la même. Il est rentré chez lui.

Hauser Canyon: Bone Lady, Swiss Cheese, Southern.

Mais lorsque je sors le MacBook pour rédiger mon journal, les trail names commencent à fuser: Steve, Double Steve (pour Jobs et Wosniak), n’en jetez plus. J’essaie pour le moment de leur faire oublier cette mauvaise idée…

Nous sommes en compagnie des grenouilles et des moustiques, déjà, mais l’endroit est agréable, à l’ombre de ces grands arbres caractéristiques de l’Ouest américain, qu’on appelle cottonwood. Et Morena Butte, la montagne rose qui nous surplombe n’est pas très engageante pour ce soir. On le regardera à nouveau demain…
J’ai en tout cas acquis un nouveau respect pour les immigrants clandestins mexicains. Il faut avoir marché  sur ce sentier très escarpé, brutal, sous un soleil de feu, au milieu des buissons de poison oak,  pour commencer à prendre la mesure du désespoir qui doit les conduire à tout quitter, pays, amis, famille, pour tenter leur chance dans un pays qui les pourchasse par tous les moyens, hélicoptères, gardes frontière avec chiens, sans équipement particulier, et en marchant de nuit sur des kilomètres en espérant ne pas être capturés et pouvoir parvenir à se fondre dans la masse des grandes villes telles que Los Angeles.

La phrase du jour:
Lorsque j’ai demandé à Rob de m’excuser pour le long trajet que je lui faisais faire jusqu’à la frontière mexicaine, il a répondu: “On the globe, it is all downhill. We’ll have gravity working for us”.
Sur le globe, c’est tout en descente. La gravité va nous aider….

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire