dimanche 22 avril 2012

20 avril Hiker's Oasis - mile 140

224 kilomètres de la frontière mexicaine.


Le téléphone arabe fonctionne à merveille sur le PCT. Nimble Foot et Ron nous ont appris que Justin et Southern, avec qui j'ai démarré, ne sont qu'à une journée de marche devant nous. Nous savons aussi, malheureusement, qu'on annonce, à partir d'aujourd'hui, une flambée des températures, qui devraient frôler, voire dépasser, les 40°. Une nouvelle rude journée, ça, c'est stable, nous devons atteindre Nance Canyon où il devrait encore y avoir un filet d'eau, après une escale ravitaillement en eau intermédiaire à Tule Spring.
Nous nous levons tôt et je quitte le camping-car de Mr. White et Jesse (les connaisseurs apprécieront. Ceux qui ne savent pas de quoi je parle ont tort et devront, toutes affaires cessantes, regarder les trois premières saisons de l'extraordinaire Breaking Bad, une série TV d'anthologie).
Ça commence bien sûr par grimper, ô surprise, le PCT ne rate JAMAIS la moindre éminence. C'est même sa raison d'être. Mais bientôt, Alaska et moi entamons une descente infernale dans un désert torride. Vers 11 heures, ça se gâte encore. L'air devient brûlant et l'ombre a depuis longtemps disparu, éliminée du programme des festivités.
Je rencontre un couple de randonneurs en route vers le sud. Comme Ron et Nimble Foot, comme beaucoup, ils convergent vers Lake Morena pour le pèlerinage annuel, la grand-messe, le raout du "kick-off". Le point de départ officiel de la saison des cinglés. On aurait pu penser qu'ils y seraient allés en voiture. Que nenni, de nombreux randonneurs sont en marche pour deux semaines de marche dans le désert calciné, afin d'arriver à Lake Morena comme il sied, à pied, pour le kick-off de quatre jours qui commence la semaine prochaine. Vu les conditions actuelles dans le désert, mon opinion? Ils sont bien cinglés, gravement.

Le désert devient à nouveau effrayant. Il est calciné, même si la tempête de la semaine dernière a permis aux cactus de fleurir. Un bref spasme de vie, avant la longue mise en sommeil de l'été brûlant.
Mais le stress est encore et toujours le même. Impossible sur ces sentiers pelés de prendre son temps. C'est une course contre la montre. Il faut parvenir au prochain point d'eau, il faut y parvenir vite, parce que la chaleur est à la limite du supportable. Et vous vous demandez constamment si vous aurez assez d'eau pour atteindre l'objectif visé. Pas vraiment une marche de détente, non, non.
Vers midi, nous atteignons Tule Spring. Ça devient surréaliste. Pour y accéder, il faut plonger dans un profond ravin par une piste poussiéreuse, avec la hantise d'avoir à remonter ensuite. Je suis épuisé (refrain connu) et j'ai besoin de manger, là, tout de suite. J'avale un sachet de purée en poudre réhydratée sauvagement. J'en ai déjà complètement marre des barres de céréales. Je ne peux plus les avaler.

Allez, dernier effort vers Nance Canyon, un décor brûlé, calciné, incinéré. Chaleur étouffante. Alaska et moi y parvenons enfin, dans ce ravin carbonisé, où coule pourtant encore un filet d'eau verdâtre. Un gros cottonwood nous offre un peu d'ombre temporaire. Nous nous affalons, nous pensons initialement passer la nuit ici. Mais au bout d'une heure, j'entends au loin cet appel sidérant, venant du fond d'un canyon du désert: "Hey, Philippe!!" Gourmet arrive, en compagnie d'un randonneur du nom de Charlie. Gourmet, adorable, m'explique qu'il me poursuit depuis le matin, que les randonneurs croisés lui ont dit que j'étais une heure devant lui. "Je n'ai pas réussi à te rattraper", ajoute-t-il.  Ma modestie dût-elle en souffrir, cette phrase me fait plaisir, parce que Gourmet n'est pas vraiment du genre à tricoter sur les sentiers. En fait, ça me paraît même incompréhensible, parce qu'il marche bien plus vite que moi. " I knew you were an hour ahead of me. Many people told me so. I shouted your name in the canyons!" "Je savais que tu étais une heure en avance sur moi. Plusieurs personnes me l'ont dit. Je criais ton nom dans les canyons!" Vous imaginez le choc d'entendre quelqu'un crier "Philippe!" au fin fond du désert d'Anza-Borrego, sans savoir de qui il s'agit??!
Gourmet est originaire de Seattle, professeur de musique, une trentaine d'années. Charlie et lui s'arrêtent pour une longue pause, où la conversation va errer de l'équipe de hockey de Vancouver au sujet de ma thèse. Qu'un Français ait pu enseigner l'histoire américaine les intrigue toujours.
Charlie finit par nous quitter, dans le but de tenter d'atteindre la route 74 qui mène à l'escale d'Idyllwild pour eux, de Palm Springs pour moi. Sans oublier l'essentiel arrêt à Paradise Café pour se goinfrer. Rude challenge.

Après quelques discussions, Alaska, Gourmet et moi décidons de repartir pour sortir du profond Nance Canyon et rejoindre une importante cache d'eau, qui s'appelle Hiker's Oasis. Nous espérons que la température aura un peu baissé, et ce qui est présent à l'esprit de tous est de s'approcher de Paradise Café. On annonce encore plus chaud pour demain.

La remontée sera infernale, je ne peux trouver d'autre qualificatif. La température, vers 17 heures, n'a pas vraiment baissé, nous commençons à parler de continuer la marche de nuit, pour échapper à la folie qui nous attend demain.
Nous parvenons à la cache vers 19 heures. Le plein, s'il vous plaît, les registres à remplir, les remerciements à rédiger. Avachi sur un rocher à tenter de reprendre mon souffle, suffoqué par la chaleur. Nous n'avons plus guère le courage de continuer. On s'arrête là. Et pendant que nous recherchons un endroit à peu près plat pour trois, nous trouvons des traces toutes fraîches de puma!! Un vraiment très gros chat, je vous l'assure. Nous ne voulons cependant plus bouger. Gourmet et Alaska montent leur tente, j'étends une couverture de survie, mon duvet, et en avant pour une nuit à la belle étoile. Le puma est quand même très présent dans les esprits et Alaska de me dire: "Philippe, si ce puma se montre, tu te taillades vite fait les mollets, et tu pars en courant dans cette direction, ok?"
Gourmet veut nous montrer que son trail name est bien justifié. "Philippe, are you hungry?" D'après toi, Gourmet? "Je peux vous faire à manger". Ça tombe bien, Gourmet, parce que j'ai épuisé mes stocks de purée. Je n'ai plus rien, en fait.
Et nous allons assister à une scène plutôt déroutante: à la tombée de la nuit dans le désert, Gourmet se met à nous cuisiner une sorte de ragoût de légumes au saumon, avec les petites herbes, l'huile d'olive, et tout ce qu'il faut. Moi, je suis scié, et un comique troupier, à côté. Décidément, mon peu de goût pour la cuisine se voit ici aussi. Et pendant que nous patientons, la bave aux lèvres, Gourmet nous prépare... des toasts au pesto et à la crème d'ail! Si, si.


La phrase du jour:
Alaska:
"There are many more people sitting in front of their flat screen TVs than outside doing something."
Il y a beaucoup plus de gens assis devant leur télé à écran plat que dehors à faire quelque chose.


Le camping-car de Breaking Bad.


Paradise Café: 25 miles!


Alaska, Nance Canyon.






Ouaip, c'est par là!

Nance Canyon.

Une p'tite soif?

Alaska.

À l'ombre du cottonwood.

Gourmet.

Charlie.

Remontée de Nance Canyon.





Gourmet. Notez les ossements au pied du poteau.

Hiker's Oasis.

Coucou, le puma!

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